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Solennité de l’Assomption de Notre Dame,
Notre Dame de TRIORS, mercredi 15 août 2018.
Mes bien chers Frères, mes très chers Fils, et vous plus spécialement qui fêtez vos 60 ans de profession monastique,
Signum magnum, mulier, Le mystère de l’Assomption nous met en face de la Femme qui est un grand signe dans le Ciel : il s’agit de Marie, la Mère de Jésus, montée au ciel avec son âme et son corps. Au début de la messe, nous avons chanté ce verset de l’apocalypse en son honneur (12,1). Avec l’évangile qui vient d’être proclamé, le décor change totalement, au moins en apparence. Deux femmes se rencontrent sur la terre, grand signe également de par la noblesse de leur état de future mère. La première sort à peine de l’adolescence, la seconde au contraire que l’on disait stérile (Luc 1,36), va mettre au monde Jean Baptiste. Dans le sein de leur mère respective, les enfants fêtent cette rencontre, les mères parlent du mystère qu’elles portent, et le Magnificat jaillit, souvenir merveilleux de cet échange sur terre qui a un parfum de ciel.
Signum magnum, mulier. À partir du mystère marial de la gloire au ciel, nous voulons contempler celui de la Femme, grand signe aussi sur la terre. Pourtant Ève, victime de confusions diverses, porte souvent le rôle de l’accusée. Guerric d’Igny au XIIème s. s’en fait l’écho amer : On l’appelle “mère des vivants” ; en réalité, elle est plutôt meurtrière des vivants, mère de ceux qui vont mourir. Pour elle, engendrer n’est rien d’autre que de communiquer la mort (Assomption, Serm. 2). Il ose l’appeler ‘marâtre’ plutôt que ‘mère’, alors que d’autres à l’inverse vantent la mère comme la relation protégée malgré la chute. Ces outrances verbales obligent donc à regarder de près le mystère de la femme sur la terre comme au ciel. Dieu ne fait rien en vain ; en créant, il ne nous tend pas de piège. Au début du siècle passé Charles Péguy aurait pu être tenté de le croire : sa conversion à la foi n’eût pas son prolongement sacramentel à cause du refus que lui imposait la femme qui partageait sa vie. Pourtant, derrière la femme–obstacle, il a respecté, patienté, allant à pied confier son souci à Notre Dame de Chartres peu avant sa mort, et de façon posthume, il fut exaucé.
Il y a heureusement une foule de signes positifs et héroïques en faveur de la femme sur la terre. Marie Goretti a fait des émules. Anne-Lorraine assassinée dans le RER il y a 10 ans avait écrit peu avant son désir du martyre pour la dignité féminine, Jeanne-Marie Kegelin est encore dans notre mémoire. Des chrétiennes irakiennes revenues à Qaraqosch après que Daech eût quitté la ville l’an dernier, veulent redonner la vie après la guerre : dans l’église vandalisée elles s’encouragent mutuellement selon leur vocation à refonder la vie sociale : Tout est difficile ici, dit l’organisateur, mais nous voulons reconstruire les femmes avant de reconstruire les maisons; car si nous reconstruisons les femmes, alors nous pouvons reconstruire les enfants, puis la famille, et après cela toute la communauté.
Ces exemples émouvants et stimulants donnent du crédit à la pensée de l’Église concernant la vie de la femme unie à l’homme dans le mariage. Sa pensée est-elle préhistorique ou prophétique, a-t-on ironisé à propos des 50 ans d’Humanae Vitae (La Croix, 27 juillet 2018) ? Avec sa lucidité tranquille, le Cardinal Sarah vient de répondre dans sa conférence à Kergonan (4 août 2018). En voici quelques passages : Dieu lui-même a pris soin de nous révéler les voies du bonheur et du Bien pour le couple humain… Accueillir ‘Humanæ Vitæ’ n’est pas d’abord une question de soumission et d’obéissance au Pape, mais d’écoute et d’accueil de la Parole de Dieu, de la bienveillante révélation de Dieu sur ce que nous sommes et sur ce que nous avons à faire pour correspondre à son amour. L’enjeu est en fait celui de notre vie théologale, de notre vie de relation avec Dieu… Annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile sur la sexualité et le mariage, c’est ouvrir aux couples la voie d’une vie heureuse et sainte ! C’est notre devoir de pères, de guides, de pasteurs ! Bien entendu, plus nous prêcherons avec force la vérité, plus nous saurons accompagner les personnes avec ‘patience et bonté’.
On le voit bien l’enjeu est à la hauteur de la crise qui étreint notre société au-delà de ses faux débats. L’encyclique de 1968 répond au désarroi contemporain sur la sexualité qui n’a fait que s’accentuer depuis : l’actualité en la matière ressemble à d’impuissants soins palliatifs face à des affectivités déconnectées du réel. Seul contre presque tous, Paul VI voyait venir ces désastres, il fut réellement prophétique, comme l’ont dit ses successeurs. L’intuition profonde se ramène à cette notion toute simple de chercher dans le mariage à marcher au pas de Dieu, tandis que l’athéisme feutré agresse l’intimité des personnes. De plus en plus, il fait du plaisir sans sagesse une drogue qui asservit, tel un nœud coulant. Et c’est le piège.
Ne regarde pas le vin, prévient le Proverbe du Sage (Prov. 23,31-35) : comme il est vermeil; comme il brille dans la coupe, comme il coule suavement. Mais il finit par mordre comme un serpent, et par piquer comme une vipère. Tes yeux percevront des choses étranges, et ton cœur s’exprimera de travers. Tu seras comme un homme couché en haute mer, ou couché au sommet d’un mât. On m’a battu, et je n’ai point de mal ! On m’a rossé et je n’ai rien senti ! Et à mon réveil j’en redemanderai encore ! Quel contraste avec l’harmonie conjugale et la paix qu’elle rayonne : les époux s’aiment dans la durée sans chercher à échapper au rythme périodique ; l’homme considère le cycle féminin comme une richesse, heureux de s’y adapter et de se mettre à son école (Cf. G. Vialla, Billings F, recevoir le féminin).
Oui, il y a un joug, Jésus le dit et ajoute aussitôt qu’il est doux et léger (Mt. 11,30). Humanae Vitae cite le verset et insiste sur cette douceur (HN 25) : les époux qui entrent ainsi dans le beau projet de Dieu rendent visibles aux hommes la sainteté et la douceur de la loi qui unit leur amour mutuel. Coopérer ainsi à l’amour de Dieu auteur de la vie humaine sème la paix. Paul VI évoque bien sûr le prix à payer, l’effort moral, cet heureux piment de la vie. Il le confie au réalisme de la vie théologale et liturgique, spécialement au beau duo sacramentel que forment ensemble la Réconciliation et l’Eucharistie (Cf. HN 25 & 29).
Mais revenons à Marie et Élisabeth. Pour elles deux, Dieu est le maître de l’impossible. Gabriel associe par cette formule la virginité féconde, et la stérilité dépassée et vaincue (Luc 1,37, Cf. Gen. 18,14). Dans la transmission de la vie, qu’on le veuille ou non, Dieu est toujours le 1er acteur. La femme en est le sanctuaire : le cycle féminin, à l’image des quatre saisons, appartient ensemble aux deux époux qui en sont les témoins et les protecteurs privilégiés ; la masculinité apporte sa sécurité au projet commun dans le respect patient de ses saisons. La société ne doit pas intervenir dans cette intimité qui fonde l’amour reçu d’En-Haut, comme Marie et Élisabeth l’attestent dans cette page d’évangile.
Magnificat, puisse le chant que l’Église s’approprie chaque soir, devenir celui de toute l’humanité apaisée dans le respect admiratif de la vie de Dieu venue jusqu’à nous : Dieu fait ses grandes choses, à partir de notre humilité pleine de respect. Comme le profès d’il y a 60 ans, nous sommes tous invités à nous mettre sous l’intercession de Notre Dame, pour mieux chercher Dieu et jouir un jour de sa gloire au ciel, amen.