Solennité de l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge Marie, samedi 8 décembre 2018

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Solennité de l’Immaculée Conception

de la Très Sainte Vierge Marie, samedi 8 décembre 2018.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils, et vous tout particulièrement qui allez émettre vos vœux solennels dans un instant, Marie est immaculée, tout entière immaculée ! Tota pulchra es Maria et macula originalis non est in te. Par ces mots, Marthe Robin définissait le mystère de ce jour, et elle poursuivait : Certes, Marie appartient à la race des rachetés et tout en elle est le fruit de la Rédemption. Gratia plena : la première plénitude de grâce l’emporte et l’élève sans comparaison aucune sur la grâce consommée de tous les saints du Ciel et des saints à venir (R. Peyret, Prends ma vie Seigneur, p 113). L’Ancien Testament (Sag. 7,26) la voyait par avance comme le Miroir de la justice divine, c’est-à-dire le reflet exact de la pensée divine pleine de bienveillance, speculum justitiae ; l’expression est désormais dans ses litanies. L’image et ressemblance divine en Adam et Ève avaient été ternies par la chute originelle. En Marie, nouvelle Ève, le miroir est sans tache, aucune ombre n’y obscurcit la pureté divine et son amour qui ne demande qu’à se répandre. L’être de Marie est marqué au sceau de Dieu, son agir ne fait que confirmer cette adhésion intégrale au plan de Dieu. L’incarnation du Verbe requérait cela : l’évangile qui vient d’être chanté lève le voile sur l’indicible mystère, gratia plena. Le mystère de l’Église se situe, lui aussi, à ce niveau, miroir de justice, dans le rayonnement de Jésus, notre unique Sauveur, et de Marie, la première des rachetés ; le Concile accepte avec grande joie et fierté le titre traditionnel, socia Christi, la Mère du divin Rédempteur, écrit-il, généreusement associée à son œuvre à un titre absolument unique (LG 60). Oui, aux côtés de Celui qui ôte le péché du monde, Marie est sans péché, l’Église aussi est sans péché, mais hélas non pas sans pécheur, précisent les théologiens, c’est trop clair En Marie rien n’échappe à Dieu ; en nous, en l’Église des pécheurs, quelque chose peut lui échapper. Aussi l’Église n’est-elle pleinement elle-même qu’en se réajustant sans cesse sur Marie, pleine de grâce. Oui, c’est vrai, l’actualité, surtout depuis quelques mois, se porte en faux contre ce beau mystère de sainteté, en pointant les pécheurs graves qui la déshonorent. La profession religieuse de ce matin au contraire affirme avec fermeté et joie cette sainteté, apportant son humble et solennel démenti à ce lamentable épisode de la vie de l’Église. Ce n’est pas la première fois que son mystère de pureté est traîné dans la boue, alors que l’Église possède pourtant en elle cette indéfectible vigueur de foi et d’humilité qui récupèrent les pauvres pécheurs pour les plonger dans la pureté divine venue jusqu’à nous par Jésus, fils de Marie, pour les embraser du véritable amour qui ne trompe pas, et purifie tout, jusqu’aux lamentables conséquences de leurs péchés. Par là la profession de ce matin entend révéler à notre monde inquiet et confus la pureté et la loyauté intouchables du mystère de l’Immaculée, mystère imprimé continûment dans l’Église. La cohorte des saints évêques et prêtres mentionnés dans sa prière de neuvaine témoigne de ce dessein du profès, appuyé sur ces saints. Puissent-ils faire rayonner le don qu’il fait de sa vie en se cachant dans le secret de la Face de Dieu (Ps. 31,21), oui, faire rayonner par les prêtres et les évêques l’authentique fécondité de l’Immaculée, eux qui sont les ministres authentiques du seul remède décisif face aux contrefaçons diaboliques…

 

Homélie de la Toussaint 2018

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SOLENNITÉ de la TOUSSAINT,

JEUDI 1er NOVEMBRE 2018, NOTRE DAME de TRIORS.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

S. Jean vient de nous faire admirer la foule immense, serrée autour du trône de l’Agneau (Apoc. 7,2-12). L’Agneau, c’est le Seigneur Jésus avec cette turba magna au ciel. Je vais vous préparer une place, a-t-il dit à ses disciples (Jn. 14,2) ; les voilà réunis autour de lui. Il nous attend nous aussi à notre tour si nous devenons ses disciples. Lui être disciple, c’est se mettre à son école, pour apprendre de lui la douceur et l’humilité du cœur (Cf. Mt. 11,29). S. Benoît a justement défini son monastère comme une école du service du Seigneur. Toute l’Église est à l’école de sa douceur et de l’humilité de son cœur (Cf. RB Prol.).

Puis nous avons entendu l’évangile des Béatitudes, épelées une à une (Mt. 5,1-12), chacune indiquant les diverses harmoniques de cette « école ». Bienheureux les pauvres en esprit, la première fait penser spontanément au Poverello. Les doux et les affligés, ce sont les martyrs de toutes sortes avec, désormais, la cohorte actuelle de ceux dont la vie est broyée d’une façon ou d’une autre, et qui n’attendent d’autre consolation que celle de Dieu Lui-même. Cette béatitude fait penser au chant liturgique du Rorate tiré d’Isaïe : Consolamini, consolamini – Consolez, consolez mon peuple (Is. 51,12-16). Le discours après la Cène met en scène la venue du divin Consolateur (Cf. Jn. 13 à 16). La sixième béatitude, la pureté du cœur, forme comme une synthèse de l’ensemble, selon la glose médiévale : La pureté du cœur, on pense au sixième jour où l’homme a été créé à l’image de Dieu, image qui, hélas, fut obscurcie en lui par le péché, avant d’être heureusement réparée par la grâce qui, justement, purifie le cœur.

Vient ensuite la béatitude des artisans de paix. C’est en effet tout un art et un immense labeur, pétri d’humilité, de patience et de modestie. Ils sont nombreux à en revendiquer le titre, mais éviter les contresens est ici bien délicat. Heureux les pacifiques, tel est le titre d’un ouvrage de l’immédiat après guerre, écrit par un marxiste des années 20 devenu ensuite pro-nazi, avant de chercher à sortir de ces humiliantes confusions par une fuite dans la gnose : J’ai vaincu la nausée et atteint l’anesthésie, témoigne-t-il. Je ne suis plus qu’un robot qui fut inspiré, une machine enregistreuse qui se déglingue, un automate aux ressorts fatigués, qui s’avachit (R. Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 358). La béatitude évangélique est bien sûr autre chose que ce sauve-qui-peut. Le pacifique, appelé fils de Dieu, a une attitude simple et sans ambiguïté, humble et énergique à la fois.

L’ouvrage qui vient d’être cité parle d’anesthésie. L’auteur indique par là l’origine de sa méprise. Oui, l’anesthésie pervertit les meilleures intentions ; croyant faire la paix, on s’éloigne de l’école du service du Seigneur. Le cœur illusionné perd sa noblesse, s’égare avec ivresse dans un prétendu progrès, en une fuite en avant dans le vide. C’est là la menace qui grève le présent débat sur la bioéthique. Cultiver par artifice des embryons humains pour flatter des désirs en apparence légitimes, mais bien souvent ambigüs, cela est une négation de la primauté du Créateur. L’embryon n’est pas un objet indifférent, il n’est pas un matériel de recherche, pouvant servir de réserve d’organes, censés devoir servir à d’autres êtres humains. Non, cela n’est pas la paix, cela n’est pas le progrès humain. Le Cal Ratzinger déplorait que ces pratiques horrifient désormais si peu de personnes. Le progrès l’exige, pense-t-on. Si l’homme, dès son origine et au niveau de ses racines, n’est plus qu’un objet pour lui-même, qu’est-ce que l’homme ici-bas peut penser de l’homme ? (Opera Omnia IV, 2014, p. 43). En amont de tout cela, la mentalité contraceptive engendre tristement l’anesthésie morale. L’être créé libre et responsable, est considéré alors comme un simple kleenex, une chose jetable au sens figuré, et hélas trop souvent au sens propre (Cf. Famille chrétienne, 25 novembre 2014).

Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes, écrivait Bossuet en son temps. C’est dire, a contrario, que Dieu encourage les hommes qui savent dépister et éviter les causes nocives : voilà les authentiques artisans de paix. Cet « art » requiert l’effort moral pour échapper à cette anesthésie qui rend insensible à la vérité et à la réalité créée qui nous entoure. La sainteté pacifique cherche Dieu, en se mettant à l’école de Jésus pour y apprendre sa douceur et l’humilité de cœur. Ignorant des intentions des uns et des autres, elle ne cherche pas à les soupçonner, elle dénonce les dérapages objectifs de l’eugénisme. Ceci dit, le combat de l’artisan de paix est d’abord à l’intime et au dedans, pour fleurir ensuite en paix contagieuse.

Soljenitsyne qui aurait eu cent ans à la fin de cette année-ci évoquait souvent la force de la simple vérité, ce mot de vérité capable de renverser le monde menteur. La Providence l’a donné à son immense pays et au monde. De façon douce et intransigeante à la foi, Lech Walesa et Jean-Paul II ont mis en pratique ce remède-là, dénonçant et détruisant par la douceur de la vérité le totalitarisme violent qui a ensanglanté le siècle passé et menace le nôtre. Tous trois ont alerté le reste du monde, notre Occident en particulier, du grand préjudice encouru par la perte l’esprit de transcendance. Le cri récent de jeunes Australiens au synode romain qui vient de s’achever rejoint la prophétie de ces géants : Nous ne voulons pas seulement un accompagnement dans des terres en friche ; Pères Synodaux, plantez-nous dans le jardin mystique.

Nous avons sur terre l’aide puissante de la Reine de la Paix. Confions-lui la pureté de notre conscience et la force de nous arracher aux illusions ambiantes, nos efforts pour être ainsi d’authentiques artisans de paix pour être appelés fils de Dieu en son divin Fils, et l’être en réalité, car nous le sommes, dit S. Jean (I Jn. 3,2), pueri in Puero, per Mariam, amen.

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Solennité de l’Assomption de Notre Dame, mercredi 15 août 2018

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Solennité de l’Assomption de Notre Dame,

Notre Dame de TRIORS, mercredi 15 août 2018.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils, et vous plus spécialement qui fêtez vos 60 ans de profession monastique,

Signum magnum, mulier, Le mystère de l’Assomption nous met en face de la Femme qui est un grand signe dans le Ciel : il s’agit de Marie, la Mère de Jésus, montée au ciel avec son âme et son corps. Au début de la messe, nous avons chanté ce verset de l’apocalypse en son honneur (12,1). Avec l’évangile qui vient d’être proclamé, le décor change totalement, au moins en apparence. Deux femmes se rencontrent sur la terre, grand signe également de par la noblesse de leur état de future mère. La première sort à peine de l’adolescence, la seconde au contraire que l’on disait stérile (Luc 1,36), va mettre au monde Jean Baptiste. Dans le sein de leur mère respective, les enfants fêtent cette rencontre, les mères parlent du mystère qu’elles portent, et le Magnificat jaillit, souvenir merveilleux de cet échange sur terre qui a un parfum de ciel.

Signum magnum, mulier. À partir du mystère marial de la gloire au ciel, nous voulons contempler celui de la Femme, grand signe aussi sur la terre. Pourtant Ève, victime de confusions diverses, porte souvent le rôle de l’accusée. Guerric d’Igny au XIIème s. s’en fait l’écho amer : On l’appelle “mère des vivants” ; en réalité, elle est plutôt meurtrière des vivants, mère de ceux qui vont mourir. Pour elle, engendrer n’est rien d’autre que de communiquer la mort (Assomption, Serm. 2). Il ose l’appeler ‘marâtre’ plutôt que ‘mère’, alors que d’autres à l’inverse vantent la mère comme la relation protégée malgré la chute. Ces outrances verbales obligent donc à regarder de près le mystère de la femme sur la terre comme au ciel. Dieu ne fait rien en vain ; en créant, il ne nous tend pas de piège. Au début du siècle passé Charles Péguy aurait pu être tenté de le croire : sa conversion à la foi n’eût pas son prolongement sacramentel à cause du refus que lui imposait la femme qui partageait sa vie. Pourtant, derrière la femmeobstacle, il a respecté, patienté, allant à pied confier son souci à Notre Dame de Chartres peu avant sa mort, et de façon posthume, il fut exaucé.

Il y a heureusement une foule de signes positifs et héroïques en faveur de la femme sur la terre. Marie Goretti a fait des émules. Anne-Lorraine assassinée dans le RER il y a 10 ans avait écrit peu avant son désir du martyre pour la dignité féminine, Jeanne-Marie Kegelin est encore dans notre mémoire. Des chrétiennes irakiennes revenues à Qaraqosch après que Daech eût quitté la ville l’an dernier, veulent redonner la vie après la guerre : dans l’église vandalisée elles s’encouragent mutuellement selon leur vocation à refonder la vie sociale : Tout est difficile ici, dit l’organisateur, mais nous voulons reconstruire les femmes avant de reconstruire les maisons; car si nous reconstruisons les femmes, alors nous pouvons reconstruire les enfants, puis la famille, et après cela toute la communauté.

Ces exemples émouvants et stimulants donnent du crédit à la pensée de l’Église concernant la vie de la femme unie à l’homme dans le mariage. Sa pensée est-elle préhistorique ou prophétique, a-t-on ironisé à propos des 50 ans d’Humanae Vitae (La Croix, 27 juillet 2018) ? Avec sa lucidité tranquille, le Cardinal Sarah vient de répondre dans sa conférence à Kergonan (4 août 2018). En voici quelques passages : Dieu lui-même a pris soin de nous révéler les voies du bonheur et du Bien pour le couple humain… Accueillir ‘Humanæ Vitæ’ n’est pas d’abord une question de soumission et d’obéissance au Pape, mais d’écoute et d’accueil de la Parole de Dieu, de la bienveillante révélation de Dieu sur ce que nous sommes et sur ce que nous avons à faire pour correspondre à son amour. L’enjeu est en fait celui de notre vie théologale, de notre vie de relation avec Dieu… Annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile sur la sexualité et le mariage, c’est ouvrir aux couples la voie d’une vie heureuse et sainte ! C’est notre devoir de pères, de guides, de pasteurs ! Bien entendu, plus nous prêcherons avec force la vérité, plus nous saurons accompagner les personnes avec ‘patience et bonté’.

On le voit bien l’enjeu est à la hauteur de la crise qui étreint notre société au-delà de ses faux débats. L’encyclique de 1968 répond au désarroi contemporain sur la sexualité qui n’a fait que s’accentuer depuis : l’actualité en la matière ressemble à d’impuissants soins palliatifs face à des affectivités déconnectées du réel. Seul contre presque tous, Paul VI voyait venir ces désastres, il fut réellement prophétique, comme l’ont dit ses successeurs. L’intuition profonde se ramène à cette notion toute simple de chercher dans le mariage à marcher au pas de Dieu, tandis que l’athéisme feutré agresse l’intimité des personnes. De plus en plus, il fait du plaisir sans sagesse une drogue qui asservit, tel un nœud coulant. Et c’est le piège.

Ne regarde pas le vin, prévient le Proverbe du Sage (Prov. 23,31-35) : comme il est vermeil; comme il brille dans la coupe, comme il coule suavement. Mais il finit par mordre comme un serpent, et par piquer comme une vipère. Tes yeux percevront des choses étranges, et ton cœur s’exprimera de travers. Tu seras comme un homme couché en haute mer, ou couché au sommet d’un mât. On m’a battu, et je n’ai point de mal ! On m’a rossé et je n’ai rien senti ! Et à mon réveil j’en redemanderai encore ! Quel contraste avec l’harmonie conjugale et la paix qu’elle rayonne : les époux s’aiment dans la durée sans chercher à échapper au rythme périodique ; l’homme considère le cycle féminin comme une richesse, heureux de s’y adapter et de se mettre à son école (Cf. G. Vialla, Billings F, recevoir le féminin).

Oui, il y a un joug, Jésus le dit et ajoute aussitôt qu’il est doux et léger (Mt. 11,30). Humanae Vitae cite le verset et insiste sur cette douceur (HN 25) : les époux qui entrent ainsi dans le beau projet de Dieu rendent visibles aux hommes la sainteté et la douceur de la loi qui unit leur amour mutuel. Coopérer ainsi à l’amour de Dieu auteur de la vie humaine sème la paix. Paul VI évoque bien sûr le prix à payer, l’effort moral, cet heureux piment de la vie. Il le confie au réalisme de la vie théologale et liturgique, spécialement au beau duo sacramentel que forment ensemble la Réconciliation et l’Eucharistie (Cf. HN 25 & 29).

Mais revenons à Marie et Élisabeth. Pour elles deux, Dieu est le maître de l’impossible. Gabriel associe par cette formule la virginité féconde, et la stérilité dépassée et vaincue (Luc 1,37, Cf. Gen. 18,14). Dans la transmission de la vie, qu’on le veuille ou non, Dieu est toujours le 1er acteur. La femme en est le sanctuaire : le cycle féminin, à l’image des quatre saisons, appartient ensemble aux deux époux qui en sont les témoins et les protecteurs privilégiés ; la masculinité apporte sa sécurité au projet commun dans le respect patient de ses saisons. La société ne doit pas intervenir dans cette intimité qui fonde l’amour reçu d’En-Haut, comme Marie et Élisabeth l’attestent dans cette page d’évangile.

Magnificat, puisse le chant que l’Église s’approprie chaque soir, devenir celui de toute l’humanité apaisée dans le respect admiratif de la vie de Dieu venue jusqu’à nous : Dieu fait ses grandes choses, à partir de notre humilité pleine de respect. Comme le profès d’il y a 60 ans, nous sommes tous invités à nous mettre sous l’intercession de Notre Dame, pour mieux chercher Dieu et jouir un jour de sa gloire au ciel, amen.

Homélie du 11 juillet 2018 St Benoît

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Solennité de La Translation de N. Bx Père S. Benoît,

Notre Dame de Triors, le mercredi 11 juillet 2018.

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

S. Pierre interroge le Seigneur sans arrière pensée ni inquiétude. Il souhaite plutôt donner un sens au bel effort moral qu’il s’est joyeusement proposé en suivant Jésus (Mt. 19,27s) : son tempérament est ardent, on ne trouve chez lui aucune trace de l’indolence plaintive du jeune homme riche trop enraciné dans le matériel : ce dernier venait de quitter Jésus tout triste (Mt 19,22). De son côté, Pierre avait sûrement été heureux d’entendre le Seigneur dire naguère de ne pas regarder en arrière une fois qu’on a mis la main à la charrue (Luc 9,62). Aller de l’avant est un signe de bonne santé morale, même si, dans un second temps, la crainte de la désillusion peut menacer la persévérance. Il en va ainsi en tout projet un peu conséquent, a fortiori en tout ce qui engage la vie entière.

Par sa Vie comme dans sa Règle, S. Benoît a connu cela : constatant comment les étudiants de son âge s’éparpillaient dans des mœurs marécageuses, il a pris ses distances à leur égard, pour vivre en vérité devant Dieu et devant lui-même (Vita introd.1 & 3,5). Puis il engage ceux qui viennent à lui à aimer la vie : Beaucoup, attirés par lui, se rassemblèrent en ce lieu en vue de servir le Dieu Tout-puissant (id° 3,13). Dans sa Règle (Prologue), S. Benoît leur pose la question naïve du psalmiste : «Quel est l’homme qui veut vraiment la vie et désire voir des jours heureux ?» (Ps 33,13). Bien sûr, répondre affirmativement va de soi. Par le psalmiste Dieu alors donne le mode d’emploi de cette belle vie : Si tu veux avoir la vie véritable et éternelle, interdis le mal à ta langue et à tes lèvres toute duplicité ; détourne-toi du mal et fais le bien ; cherche la paix et poursuis-la (Ps 33,14-15). Non pas Dom Quichote et ses hauts faits vaniteux, mais une fidélité simple dans le quotidien, obscur ou non. Pour un moderne, ces conseils semblent dérisoires. Le respect dû au psalmiste oblige d’y regarder de plus près, afin d’être simplement conséquent dans notre démarche morale et recevoir la vraie joie.

Tout grand projet humain garde ce caractère contrasté d’être à la fois attirant et inquiétant : l’amour qui le sous-tend veut tout prendre, et on hésite à faire le 1er pas avant de se jeter à l’eau. Une grande décision nous trouve bien souvent comme l’âne de Buridan, épuisé et indécis à la fois entre le seau d’eau et le sac d’avoine. Il en va ainsi pour la vocation sacerdotale ou religieuse derrière Pierre et Benoît, comme aussi pour le mariage humain avec toutes ses belles conséquences. Aimer en grand ne devrait pas faire peur, mais au contraire attirer. Pourtant on a peur de se donner, on a peur d’aimer. Le provisoire un peu valorisant et le court terme : cela paraît plus prudent à la foule grossissante des jeunes hommes riches.

Ces réticences de toujours prennent sous nos yeux une ampleur inquiétante qui oblige à réfléchir. Prisonnière de ses succès techniques enivrants, l’humanité y cherche son confort à court terme, mais refuse pratiquement l’effort moral concomitant qui approfondit ses découvertes en faisant grandir l’âme. Puisse l’exemple de S. Pierre, celui de S. Benoît et de tant de saints la pousser à courir dans la voie du commandement de l’amour et faire passer la fécondité du plan de Dieu en elle, pauvre humanité. «La fécondité spirituelle, la fécondité naturelle elle-même a son beau prix et sa grande noblesse derrière le terrible quotidien » (Pie XI). Un exemple : avoir vaincu la mortalité infantile est un vrai progrès, un indéniable succès de la vie ; il faut ensuite accepter qu’il ouvre sur un nouveau progrès, celui de conduire de façon plus concrète l’ouverture des conjoints l’un vers l’autre à une responsabilité plus merveilleuse concernant leur intimité : l’ouverture à l’autre devient de façon la plus évidente le B-A-BA du bonheur mutuel.

Voilà presque 50 ans jour pour jour le 25 juillet, à l’occasion de la fête de S. Jacques, le 1er apôtre qui a répandu son sang pour Jésus, le Bx Paul VI a signé l’encyclique Humanae Vitae. La date en fut choisie à bon escient, pour confier au jeune apôtre et 1er martyr le mariage humain qui veut chercher la vie et trouver des jours heureux, au-delà de l’effort qui rebute le jeune homme riche et lui fait rebrousser chemin.

Après Paul VI, le saint Pape Jean-Paul II a consacré à la beauté du mariage une grande partie de son enseignement. L’encyclique de Paul VI si belle, mais mal reçue en son temps, fut le point de départ de ses réflexions fortes, capables d’abattre les murs de Berlin qui emprisonnent la vie morale de tant de nos contemporains. Alors que les esprits timorés dénonçaient l’encyclique comme inopportune et inadaptée, le pape polonais disait au contraire : «Le mariage et la famille doivent constituer un milieu d’amour responsable, car précisément l’amour conjugal est orienté vers la vie. C’est ce que soulignait le Pape Paul VI dans son encyclique Humanæ vitæ, poursuivait Jean-Paul II, un texte qui, au fur et à mesure que passent les années, s’avère toujours davantage comme une intervention prophétique et providentielle» (22 décembre 1994, discours à la Curie).

Ce caractère prophétique du Magistère de Paul VI sur la responsabilité conjugale éclate partout dans l’encyclique pour qui la lit posément : faisons-le ces jours-ci. Elle entend bien promouvoir le progrès humain, en acceptant de bon gré et même avec joie et admiration toutes les conséquences du mariage. Paul VI dénonce la grave injustice qui consiste à rendre la divine Providence responsable ici d’un défaut de sagesse de gouvernement. «Ce qui manque, n’est-ce pas plutôt un sens insuffisant de la justice sociale, l’accaparement égoïste, ou encore cette blâmable indolence à affronter les efforts et les sacrifices nécessaires pour assurer l’élévation d’un peuple et de tous ses enfants ?» (HN 23 citant Encycl. Pop. progressio n. 48s).

«La salutaire doctrine du Christ sur le mariage est une forme éminente de charité envers les âmes», écrit encore Paul VI (HV 29). La Mère de l’Église la veut, surtout ici, accompagnée de patience et de bonté : le jeune homme riche peut alors revenir sur ses pas et goûter la joie, Gaude Maria, gratia plena, amen.

Homélie de St Pierre et St Paul 2018

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Solennité des Saints Apôtres Pierre et Paul,

Notre Dame de Triors, le vendredi 29 juin 2018.

 

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Sur la route de Césarée, Pierre affirme avec clarté et assurance : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt. 16,16). Cette clarté et cette assurance lui viennent non de la chair et du sang, mais du Père qui est dans les cieux, du Père de ce Jésus qu’il a sous ses yeux de chair et dont il révèle ici l’origine divine et céleste. Cette clarté et cette assurance s’enracine sur la foi, don de Dieu en son âme qui rend tellement plus perspicace que la vue liée aux yeux de la chair.

Le Seigneur ne fit connaître que peu à peu le mystère de son origine, même si les démons disaient parfois son identité par les possédés qu’il libérait. Il arrivait que les miracles eux-mêmes devenaient occasion de scandale pour les juifs, lorsqu’ils leur semblaient enfreindre la Loi : devinant une origine qui les dépassait, ils criaient au scandale. C’était pour les Juifs une raison de plus de chercher à le tuer, dit l’évangile, puisque non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son père, se faisant égal à Dieu (Jn. 5,17s). La mort du Seigneur fut décrétée pour une prétention inacceptable pour eux.

Mais sur la route Pierre confessa avec admiration et simplicité la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Origène le déduit ainsi : Pierre rejette toutes les fausses idées que les Juifs se faisaient de Jésus, et il confesse hautement cette vérité qu’ils ignorent : «Vous êtes le Christ», et surtout et plus encore, «le Fils du Dieu vivant», c’est-à-dire celui qui déclare partout dans les prophètes : «Moi je vis, dit le Seigneur». Le qualificatif «vivant» est à prendre d’une manière éminente, poursuit Origène, car il est supérieur à tous les êtres qui ont la vie ; car lui seul possède l’immortalité, car il est la source de la vie : nous le nommons au sens le plus véritable, Dieu le Père. Et comme Jésus dit en S. Jean, «Je suis la vie», c’est donc qu’il est bien lui-même la vie procédant du Père comme de sa source.

La Confession de Pierre sur la route de Césarée fut le 1er Credo de l’Église. À chaque étape importante de sa vie, l’Église l’a réédité : les grands Conciles des premiers siècles s’en sont fait l’écho, à Nicée en juin 325, à Constantinople en 381, au Latran en 640. Ainsi dans le Credo de la messe, nous répétons l’affirmation de S. Pierre. Au lendemain du Concile de Trente, après les confusions liées au Grand Schisme et à la Réforme protestante, Pie IV fit à nouveau une profession de foi, en novembre 1564. Il y a juste 50 ans en juin 1968, le Bx Paul VI fit de même après le IInd Concile du Vatican ; il a voulu ce Credo qui porte son nom, face à un monde en profonde mutation, dans lequel tant de certitudes sont mises en contestation ou en discussion. Dans le préambule du Credo, il s’adresse aux fidèles emblématiques de mai 68, menacés de se laisser fasciner par la nouveauté, sans esprit critique, sous l’impulsion du modernisme échevelé qui croit préparer l’avenir en perdant de vue le cri de Pierre sur la route de Césarée. La Révélation de Dieu ne saurait jamais être tenue pour une mode transitoire. La profession de foi du Paul VI associait le Concile au XIXème centenaire du martyre des SS. Pierre et Paul, l’année 1968 étant proclamée année de la foi dans ce dessein. Peu après Paul VI précisait : Une profession de foi n’est qu’un résumé, un «symbole» dit la théologie, une formule contenant les principales vérités de la foi, avec autorité, mais condensées et en raccourci. Dès les origines, une telle synthèse des dogmes fondamentaux de l’enseignement doctrinal était proposée aux catéchumènes qui devaient l’apprendre par cœur.

Le Credo de Paul VI fut suivi le 25 juillet par l’encyclique Humanae Vitae sur le mariage humain. Avec la proclamation de Marie Mère de l’Église en 1964, ce furent là les gestes majeurs du Magistère du futur saint pape, écho précieux de la confession de foi de S. Pierre sur la route de Césarée, rayonnant jusque dans l’intimité de la vie humaine, pensée par Dieu à son image et ressemblance. Ces gestes courageux de Paul VI préparaient ceux de S. Jean-Paul II avec le Catéchisme de 1992, puis ses grands textes sur le mariage et les fondements de la morale chrétienne. Nous lui devons en outre de contempler les liens entre l’acte de foi de S. Pierre avec tous ses prolongements d’une part et l’acte de foi de Notre Dame qui lui est antérieur, de l’autre.

Avant Césarée en effet, il y a eu l’annonciation : le Fiat et l’acquiescement de Marie à l’incarnation du Verbe, le Fils du Dieu vivant. S. Jean-Paul II aimait associer cette dimension mariale de l’Église à sa dimension pétrinienne, celle-ci découlant de celle-là de façon étroitement unie et complémentaire. Le Catéchisme a intégré cette analyse fine et fructueuse : Marie nous précède tous dans la sainteté qui est le Mystère de l’Église comme l’Épouse sans tache ni ride (Éph 5,27). C’est pourquoi la dimension mariale de l’Église précède sa dimension pétrinienne (CEC 772s, citant LG 48, et MD 27). Aussi l’Église de Pierre continue-t-elle le Magnificat de Marie pour chanter la foi confessée que la route de Césarée, amen.

 

Solennité de la Pentecôte, Dimanche 20 mai 2018

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Solennité de la Pentecôte, Dimanche 20 mai 2018.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Nous fêtons en ce jour la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres ; les Actes des apôtres nous en font le récit (2,1-11). Mais la portée de l’événement en est donnée dans le discours après la Cène dont nous venons d’entendre ce fragment (Jn. 14,23-31). Il nous apprend que le Bon Dieu souhaite habiter et faire sa demeure en nous (14,23), Il nous veut unis de tout cœur avec Lui par l’obéissance, vertu qui fait aimer avec Lui et en Lui les mêmes réalités : Si quelqu’un m’aime, il garde mes paroles (14,23). En conséquence de quoi, l’évangile dévoile le grand mystère du récit des Actes des apôtres, à savoir que le Consolateur, l’Esprit-Saint nous est envoyé par le Père pour nous enseigner l’unique Nécessaire de l’union à Dieu, l’unique Nécessaire de l’existence (Cf. Luc 10,42). L’union du Père et du Fils dans le Saint-Esprit met le sceau à notre foi en l’unicité de Dieu proclamée tout au long de la Bible. L’Esprit-Saint nous enseigne le mystère de Dieu, nous rappelant en outre tout ce que Jésus a dit pour que nous menions bien notre vie (14,26). A Jésus, prédicateur extérieur dans la vie publique, succède maintenant ce prédicateur intérieur, qui purifie notre conscience pour mieux l’éclairer et la faire courir dans la voie du précepte de l’amour (RB Prol.).

La paix apportée par Jésus peut alors se répandre ; elle ôte tout trouble (14,27), elle donne de comprendre l’importance de son départ, condition nécessaire pour bénéficier de l’influence du Saint-Esprit, autrement dit, pour nous faire admirer dès ici-bas l’union en Dieu des divines Personnes. Toute beauté, toute joie, toute paix vient de là ; toute beauté, toute joie, toute paix qui ne vient pas de là est fausse. Et cette effusion du Saint-Esprit à la Pentecôte n’est pas le dévoilement d’une spéculation purement intellectuelle, il ne s’agit pas d’une table des matières exhaustives de tout savoir possible : il n’est pas là avec des syllogismes irrésistibles. La doctrine surnaturelle qui survient sur les Apôtres va beaucoup plus profond, elle est intégrale et prend toute leur vie : sa chaude lumière transforme leur comportement.

Les épîtres catholiques que les Apôtres nous ont laissées (Pierre, Jean, Jacques, Jude), dénotent cette radicale transformation ; les pensées du ciel les soulèvent d’enthousiasme et leur donnent cette stratégie apostolique qui a changé la face du monde. Ils veulent nous les faire partager, non pas « du bout des lèvres », mais à plein cœur. Ignis, le feu de Pentecôte est celui de la charité qui ambitionne de brûler en holocauste la vie toute entière. Après eux, les Pères de l’Église ont renouvelé l’histoire humaine au contact de la Parole révélée devenue feu dévorant qui embrase et souffle, ouvrant toutes les portes blindées de l’histoire des hommes. Siècle après siècle, la Pentecôte poursuit sa marche de géant.

Pourtant sous nos yeux, l’inverse semble s’imposer. Les signes visibles de Dieu disparaissent, ceux du démon se multiplient : Tertullien dit de lui qu’il singe Dieu. Malgré tout la Pentecôte est là, humblement triomphante, dénonçant sans sarcasme l’inanité de ses caricatures falsifiées. Et cela est extrêmement concret : voici 50 ans en mai 68 de prestigieuses et fallacieuses promesses furent faites pour éviter tout effort moral. Faites-vous plaisir, tuer le temps : ces adages qui sévissent toujours, prétendent aider à supporter le triste présent avec son décor sans âme ; mais le divertissement pascalien cache mal le grand ennui qu’à juste titre, la jeunesse cherche à fuir. L’adage touche surtout la vie affective « sans risque » comme on dit, c’est-à-dire en révolte contre l’ordre divin. La loi Neuwirth a consacré cette transgression, enclenchant peu après la loi Veil.

Mais voici 50 ans également, le Bx Paul VI promulguait à l’automne l’encyclique Humanae Vitae pour réaffirmer à l’inverse le beau projet de Dieu sur le mariage et l’affectivité humaines. Le vent de Pentecôte continue : par là, le futur saint donne la clé de notre bonheur, à l’image et ressemblance divine. Les clichés et les refrains de l’époque -ils sévissent toujours et plus que jamais devant nous- y sont retournés, pour dégager en faveur de l’Esprit de Pentecôte les splendeurs du mariage humain. Ses exigences, certes, font peur au regard superficiel, mais le bel effort qu’il requiert, donne à l’affectivité de s’épanouir, la libérant du mensonge pour déployer son énergie de vie et toutes ses virtualités.

La Pentecôte se poursuit ainsi avec son vent qui décoiffe, mais surtout avec sa flamme qui réchauffe. La contre-Pentecôte continue de légiférer dans le vide, cherchant en vain à ordonner le désordre, à équilibrer les déséquilibres affectifs après les avoir adulés. On dirait un médecin sans foi ni loi, s’épuisant vainement en soins palliatifs pour les situations sans nom qu’il a créées.

L’évangile de la vie, comme l’eau chaude, n’est pas à inventer : il est là dans la droiture de tout cœur humain ; il est à respecter et à aimer. Un livre vient de paraître laissant chanter la beauté du projet divin qui passe par le respect de la femme. Titré recevoir le féminin (Gabrielle Vialla, édition fecOndite, avril 2018), il fait découvrir le trésor où Dieu a déposé tant de merveille et de délicatesse. Méditer l’objet de la fête de ce jour nous met nécessairement en contact avec la réalité de la famille, de la femme donc et de l’homme d’aujourd’hui. L’actualité la plus criante ne peut être éclairée que par l’Esprit-Saint qui donne d’analyser sans vaine peur le monde d’aujourd’hui. L’Esprit des prophètes a toujours vocation de renouveler la face de la terre, de la mettre dans la joie et dans Sa paix qui n’est que la tranquillité du cœur humain adapté au plan divin.

Le Cénacle fait sortir les apôtres dehors pour y mettre l’incendie d’amour. Au dedans, le recueillement de Marie la Mère de Jésus avec les autres Marie de l’évangile porte la fécondité de leur apostolat. Elle est fêtée désormais par la liturgie comme la Mère de l’Église, protégeant le rayonnement divin de celle-ci pour le salut des hommes, amen, alleluia.