Dimanche 1er avril 2018, Solennité de la Résurrection du Seigneur

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Dimanche 1er avril 2018, Notre Dame de Triors,

Solennité de la Résurrection du Seigneur.

 

 

Mes bien chers Frères, mes Très chers Fils,

Mors et vita duello. Depuis Caïn et Abel, depuis le Patriarche Joseph vendu par ses frères et rendu par Pharaon maître de toute l’Égypte, depuis Jonas englouti par le monstre et rejeté sur le rivage, mort et vie sont en duel. Mais il y a maintenant plus que Jonas (Luc 11,32) ; le duel atteint ici la victoire décisive. La mort rode encore autour du Saint Sépulcre, mais la vie triomphe quand Jésus en sort vivant par sa propre puissance. Depuis elle ne cesse de triompher pour qui veut bien regarder avec l’œil de la foi, victorieuse du monde (I Jn. 5,4). Les femmes ne venaient pas encore la célébrer : leurs aromates achetées au tout petit matin devaient embaumer un mort. Leur inquiétude se focalisait sur la pierre du sépulcre : qui pourra les aider à l’ôter (Mc. 16,1s) ? Leur cœur était fermé, leurs yeux appesantis, dit S. Bède, elles ne pouvaient voir encore la gloire de ce tombeau ouvert.

Mors et vira duello. Mieux informée que les saintes femmes de ce tout petit matin, la Sainte Église chante à plein cœur la foi pascale. Juste avant la proclamation de l’évangile, elle le fit avec la séquence Victimae paschali laudes, développement grégorien plein de piété, datant d’un millénaire et provenant du Nord de la France et la Rhénanie avant d’aborder la liturgie romaine. Mors et vita duello la mort et la vie se sont affrontées dans un duel gigantesque : le Prince de la vie, bien qu’ayant été mort, règne vivant. C’est un écho fidèle de la foi antique, étincelante et joyeuse : Ô mort, où est ton aiguillon, s’interrogeait S. Jean Chrysostome au IVème s. Enfer, où est ta victoire (I Cor. 15,55) ? Le Christ est ressuscité et tu as été terrassée ; le Christ est ressuscité et les démons sont tombés ; le Christ est ressuscité et les anges sont dans la joie ; le Christ est ressuscité et voici que règne la vie (dans la liturgie melkite). Regnat vivus.

Pourtant la mort qui rodait autour du Saint Sépulcre, continue de roder encore un peu partout. L’histoire est jonchée de cadavres comme d’autant d’Abel, elle menace au surplus notre vie morale, entravant la victoire pascale. La résurrection finale rendra évidente pour tous la victoire de la vie sur la mort, par Jésus ressuscité, l’unique Sauveur de l’humanité. Mais pour l’heure, elle est encore l’objet de la foi pascale qui chante avec Marie-Madeleine : Nous savons désormais que le Christ est vraiment ressuscité des morts. Et cela change nos vies.

Avec la seconde guerre mondiale, puis depuis les dernières décennies, la mort rode autour de nous. Notre société, acculée au mur de l’angoisse, cherche une fenêtre pour voir l’avenir que Dieu lui prépare, alors que, contradictoirement, peu à peu l’homme veut créer seul son avenir. Mais l’avenir, n’est-ce pas que chacun se réconcilie avec l’enfant à naître, avec son conjoint et avec ses propres enfants, avec la personne âgée que l’on trouve bien encombrante, comme avec les membres de sa famille ? Chacun doit se réconcilier avec son propre corps à respecter, avec son prochain, avec la nature et ses lois qui ne pardonnent pas quand on les enfreint. La liste pourrait s’allonger de ce qui agresse la personne, la famille et l’écologie. En un mot, on a à choisir la vie et non la mort, à aimer le bien et fuir le mal, comme le dit le Psaume (Ps. 33,15). Mors et vita duello.

L’actuel débat sur la bioéthique a fait dire à l’un de ses promoteurs qu’il ne savait pas ce que sont le bien et le mal : Nous avons tous des doutes, écrivait-il. À quoi le nouvel archevêque de Paris a répondu qu’il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour faire la différence entre le bien et le mal (La Croix, 27 mars). Il s’agit de la simple réalité, du bon sens sans lequel la tyrannie a beau jeu. La bioéthique est née à la fin des années 70. Au lendemain de la guerre, les procès de Nuremberg voulaient mettre fin à la chosification de l’être humain qui a tristement caractérisé l’idéologie totalitaire. Malgré cela, des dérives ont continué, symptôme d’une science sans conscience, par souci mercantile, pire, par négation de l’image de Dieu dans l’homme (La Recherche, n. 260, déc. 1993). Un eugénisme larvé tente notre temps, l’amour humain est horriblement et égoïstement rétréci au plaisir fugace, l’euthanasie rappelle l’horrible solution finale à peine maquillée, le transhumanisme nous livre à une caricature de la nature humaine et de sa liberté. Ces dérives graves créent une hiérarchie monstrueuse de personnes à dignité réduite. Voilà où mène le refus de la foi pascale, et cela, ce ne sont pas de pieux aromates : mépris de la vie et abandon à la mort.

Devant un parterre de scientifiques, la sainte femme pascale qu’est Mère Teresa voyait dans l’avortement la transgression emblématique et le lieu crucial de ce duel entre mort et vie qui perdure : Le plus grand destructeur de la paix, aujourd’hui, est le crime commis contre l’innocent enfant à naître. Si une mère peut tuer son propre enfant, dans son propre sein, qu’est-ce qui nous empêche, à vous et à moi, de nous entre-tuer les uns les autres ? (12 décembre 1979).

Nous devons à S. Jean Paul II une analyse vraiment prophétique de ce cancer social. Ève sollicita Adam dans la chute originelle, mais ici l’homme le plus souvent sollicite le drame de l’avortement en fuyant sa responsabilité. Le saint pape dénonce la part du père de l’enfant non né ; la famille aveuglée se profane, écrit-il, dans sa nature de communauté d’amour et dans sa vocation à être sanctuaire de la vie (Ev. Vitae n.59). La maternité est alors crucifiée. Puisse le Ressuscité aider la femme à refuser les sollicitations perverses qui la blessent à l’intime, qu’elles viennent de la famille ou même du milieu médical. Le saint Pape suppliait les législateurs et les instances internationales de cesser d’avilir ainsi le climat social. Ceux qui devraient être les constructeurs et les défenseurs de la société ont contribué au contraire à instaurer cette mentalité de permissivité sexuelle honteuse et de mépris de la maternité.

Mors et vita duello. Chacun est invité à réagir avec foi et simplicité dans le cadre de sa vie, avec la grâce de Dieu qui ne manque jamais à qui lui fait confiance. Arnaud Beltrame vient de faire son devoir, tous admirent cet héroïsme tout simple. Le pape François nous encourage : Il n’y a pas beaucoup de personnes qui luttent pour la vie. S’il vous plaît, prions pour que notre peuple soit plus conscient de la défense de la vie, en ce moment de destruction et de mise au rebut de l’humanité (Angelus du 4 février 2018). Le combat pour la vie est assumé par Jésus sortant du tombeau, vainqueur des ténèbres de la mort. Il est ressuscité, oui il est vraiment ressuscité. Il demeure avec nous, nous donnant de nous réjouir avec sa Sainte Mère, fidèle jusqu’au bout, Regina caeli laetare, amen, alleluia.

Jeudi Saint 29 mars 2018

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Jeudi Saint 29 mars 2018, Notre Dame de Triors.

 

 

Mes bien chers Frères, mes Très chers Fils,

« Aimer jusqu’au bout » et « le lavement des pieds », tels sont les deux pôles de l’évangile de ce soir (Jn. 13,1-15). Le premier geste de cet amour jusqu’au bout (Jn 13,1), c’est précisément le lavement des pieds, remarquait le Pape François il y a deux ans (20 mars 2016). De son côté, le Pape émérite souligne que ces deux pôles se rattachent au grand sacrement de l’Eucharistie, sacrement de l’amour jusqu’au bout (Ex. Ap. Sacramentum caritatis, n.21), tandis que le saint baptême introduit à la vie dans la foi : voilà les deux trésors de la vie chrétienne, fruit exquis l’un et l’autre des mérites infinis de la Passion de Jésus inaugurée à la Cène. S. Thomas compare ainsi ces deux sacrements majeurs (IIIa Qu. 73, a. 3 ad 3m) : Le Baptême est le sacrement de la mort et de la passion du Christ en tant que l’homme est régénéré dans le Christ en vertu de sa passion. Tandis que l’Eucharistie est le sacrement de la passion du Christ en tant que l’homme est rendu parfait par son union au Christ dans la passion. Par suite, comme le baptême est appelé sacrement de la foi, laquelle est le fondement de la vie spirituelle, l’Eucharistie est appelée sacrement de l’amour, lequel est le lien de la perfection, comme le dit S. Paul aux Colossiens (3,14).

Le lavement des pieds introduit donc avec une solennité singulière à la sainte Cène. Ces trésors de Dieu s’y dévoilent, reconnaissons-les comme tels, aimons-les et respectons-les comme tels avec humilité et pureté. Évoquant le labeur des prêtres pour initier les fidèles à ce trésor inouï, le pape François les invite à se laisser laver eux-mêmes les pieds pour être à la hauteur : Le Seigneur nous lave et nous purifie de tout ce qui s’est accumulé sous nos pieds pour le suivre. Et c’est sacré. Il ne permet pas qu’ils restent sales. Il les embrasse comme des blessures de guerre, de sorte que la saleté du travail, c’est lui qui la nettoie (Jeudi Saint, 2 avril 2015). Mais l’invitation vaut évidemment pour tous : tous débarrassons-nous par la confession pascale de la vanité et de la rancune, de l’impureté ou de la jalousie, nous laissant ainsi laver les pieds par Jésus. Avec bonhomie, le Saint Père transmet ainsi la grande pensée conciliaire concernant le fondement de notre foi : À la dernière Cène, dit le Concile, la nuit où il fut livré, Notre Sauveur institua le Sacrifice Eucharistique de son Corps et de son Sang pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles, jusqu’à ce qu’il vienne. Mais ce n’était pas tout, poursuit-il, car il confiait à son Église ce sacrement de l’amour, mémorial de sa mort et de sa résurrection (S.C. 47). Recevons avec respect et infinie gratitude le trésor du don divin contenu dans la sainte Eucharistie; laissons la Mère Église nous y disposer avec soin.

Le Pape Benoît XVI explique clairement le lien entre le Sacrement et le lavement des pieds : Jésus «aima jusqu’au bout» (Jn 13,1). Par cette expression, l’Évangéliste introduit le geste d’humilité infinie accompli par Jésus : avant de mourir pour nous sur la croix, se nouant un linge à la ceinture, il lave les pieds de ses disciples. De la même manière, dans le Sacrement de l’Eucharistie, Jésus continue de nous aimer «jusqu’au bout», jusqu’au don de son corps et de son sang… Quelle merveille alors doit susciter aussi dans notre cœur le Mystère eucharistique! (Exh. Ap., Sacr. Caritatis, n.1).

Le lavement des pieds purifie prêtres et fidèles des négligences, des indifférences, des outrages même dont le Très Saint Sacrement est l’objet plus ou moins consciemment, selon ce qu’a appris l’ange de Fatima aux trois enfants. Puis il leur apprit les prières de réparation pour demander la conversion des pécheurs par les mérites infinis du très Saint Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie. Sœur Lucie précisait que ce qui afflige le plus le Cœur Immaculé de Marie et celui de Jésus, c’est la chute des âmes religieuses et sacerdotales. Le démon sait que les religieux et les prêtres, en manquant à leur belle vocation, entraînent de nombreuses âmes en enfer… Le démon emploie toutes les ruses, allant même jusqu’à suggérer de retarder l’entrée dans la vie religieuse (au Père Fuentès, 26 décembre 1957).

S. Pierre refusa d’abord le lavement des pieds, puis avec maladresse, il l’accepta. Notre temps également a du mal à se remettre en cause face aux injonctions du Seigneur et de sa sainte Mère : on croit trop vite que nos intentions sont belles et pures, là où nous nous cherchons âprement nous-mêmes. Puissions-nous recevoir avec gratitude les appels de Notre Dame, sans scrupule, mais avec une humble ferveur. D’ailleurs comme elle, de grands serviteurs de l’Église se font l’écho du grand soin à apporter avant d’approcher les saints Mystères avec humilité et pureté de cœur. Le Cardinal Sarah en fait partie, lui auquel le Pape demande justement de veiller à ce que nos pieds soient bien lavés avant d’aller à l’autel : La sainte Messe n’est pas un divertissement, dit-il. Non, il s’agit du sacrifice vivant du Christ mort sur la croix pour nous libérer du péché et de la mort et en vue de révéler l’amour et la gloire de Dieu, le Père. La sainte liturgie de la messe a pour but la gloire et l’adoration de Dieu, le salut et la sanctification des hommes : «Dieu y est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés», explique le Concile (SC, n. 7). Benoît XVI a souvent souligné, remarquait-il encore, qu’à la racine de la liturgie, se trouve l’adoration, et donc Dieu.

Nos sanctuaires chrétiens sont comme notre petite patrie commune à tous, die Heimat : la formule est heureuse ; l’homme n’est pas un apatride liturgique (Mgr Klaus Gamber, + 1989). Un Cardinal polonais voyait dans le Cénacle le lieu où puiser pour affronter la dureté de ce temps de crises qui menacent, de guerres qui affligent, de terrorisme qui sème tant de victimes innocentes. Mais, affirmait-il, Jésus et Marie sont toujours là pour nous faire comprendre qui nous sommes vraiment en tant que personnes humaines et quel est notre destin ultime (Cal Stanisław Ryłko, homélie 2 février 2017 à Sainte Marie Majeure).

La liturgie pascale affirme que les fidèles n’ont plus qu’un seul cœur dans la piété, et elle prie afin qu’ils gardent dans leur vie ce qu’ils ont saisi par la foi (Postc. Dim. de Pâques et Coll. Octave). C’est de la liturgie, en déduit le Concile (S.C. n. 10), et principalement de l’Eucharistie, comme d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu, que recherchent, comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Église. Laissons-nous laver par Jésus afin que son amour jusqu’au bout nous envahisse nous aussi. Le monde deviendra alors un peu plus liturgie de Dieu, selon le mot de Benoît XVI ; dans sa réalité, il devient alors adoration, atteignant son objectif, alors le monde aura la paix de Dieu, sain et sauf en Dieu et en la Mère de Dieu (Cf. Homélie, 20 juin 2008), amen.

Homélie du Transitus de N. Bx Père Saint Benoît, mercredi 21 mars 2018

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Transitus de N. Bx Père Saint Benoît,

mercredi 21 mars 2018.

 

 

Mes très chers Fils,

S. Benoît n’a pas enseigné autrement qu’il n’a vécu(Vita, c. 36). Cette affirmation de S. Grégoire souligne l’harmonie totale chez S. Benoît entre la parole et la vie. Le plus souvent en effet il y a chez nous, plus ou moins inconsciemment, une marge entre ce que nous disons et ce que nous faisons, c’est presque inéluctable. Dieu seul a la Parole décisive et infaillible, quia ipse dixit et facta sunt(Ps. 148,5). Chez nous, malgré notre horreur du mensonge, la vérité entière entre difficilement dans la vie.

Mais nous ne sommes pas voués irrémédiablement à ce décalage qui grève notre légitime désir d’unité et de vérité. Depuis l’Incarnation, l’humilité se montre comme le moyen assuré de notre salut, elle nous rend vrais peu à peu et réduit cette disparité intime. Puis lorsqu’elle est parfaite, en son 12ème degré, l’harmonie devient souveraine, rayonnant de toutes parts sans effort, sans même qu’on s’en rende compte. Toute cachée comme elle est, l’humilité affronte sereinement la vérité de Dieu, mieux, elle adhère et rejoint son Cœur. Puis quand elle est parfaite, l’adéquation est totale, la volonté de Dieu se réalise sur la terre comme au ciel.

Aussi l’humilité si parfaite de N. Bx Père lui a-t-elle donné la grâce de cette conformité de volonté, faisant mentir chez lui l’adage du psalmiste : Tout homme est menteur (Ps. 115,11). Grâce à quoi, vraiment, il ne pouvait enseigner autrement qu’il ne vivait, devenant l’exemple vivant de ce qu’il enseignait. De ce don de Dieu si rarement vécu à un tel degré, découle l’équilibre paisible de sa Règle. Puisse l’habitude de vivre chez lui ne jamais estomper à nos yeux ce génie rare que le Bon Dieu lui a donné.

Son génie, c’est d’abord celui d’un Romain dont la sagesse s’est épanouie dans la clarté de la foi, sous la lumière de la grâce. L’histoire l’a fait fils d’une Rome humiliée par l’invasion récente des Barbares, sans qu’il ait pourtant cédé au désespoir qui guettait ses contemporains. Il voyait dans cette humiliation sociale une permission divine, invitant à cultiver l’humilité plus profondément qu’auparavant.

Son génie, c’est donc celui d’un Saint dont la vie d’une pureté extra-ordinaire est unifiée d’un bout à l’autre de l’existence. La sainteté ici comme toujours, c’est essentiellement la mainmise divine, la volonté de Dieu passant dans la vie quotidienne, sans heurt, sans peine même, semble-t-il, puisque les ordres divins ne sont que douceur pour qui les perçoit comme venant de Dieu.

Son génie, c’est dès lors celui d’un grand contemplatif pour qui vivre, c’est le Christ (Phil. 1,21). Oui, le Christ a pu alors en faire un artisan remarquable de son œuvre qu’est la Sainte Église, Opus Dei. Elle lui doit tant : depuis 15 siècles son patronage protège directement ou indirectement les avancées du Royaume de Dieu. Ainsi, dans la pénombre de sa vie cachée dans l’humilité, il rejoint les saints qui ont le plus marqué l’Histoire de l’Église, à côté des Augustin, des Grégoire le Grand qui nous a si bien parlé de lui, ou plus près de nous de S. Thomas d’Aquin, cet autre saint d’Italie qui a marqué la pensée théologique universelle de façon décisive.

Nous pouvons être fiers de Notre Bx Père, fiers aussi de ceux qui nous rattachent à lui : Dom Guéranger, fils authentique de S. Benoît au dire du Bx Pie IX, Dom Delatte, ce grand docteur de la Congrégation, Mère Cécile Bruyère auquel ce dernier doit tant, après qu’elle ait tout reçu du premier. À eux trois, ils ont rendu ses lettres de noblesse à la devotio antiqua. Par delà cinq siècles de malaise endémique et, de façon chronique, de révoltes violentes entre foi et raison, ils renouaient avec l’équilibre bénédictin des siècles précédents entre piété sociale et personnelle, piété basée sur la prière de l’Église, société de la louange divine : on sort de l’Office choral pour poursuivre la liturgie d’âme dans le va-et-vient de nos occupations. Le Père abbé Édouard nous a légué la pensée de N. Bx Père ravivée par eux, et, en cela, il participe à sa façon à leur rôle refondateur.

L’esprit de S. Benoît qui a fleuri chez tous les justes doit se retrouver chez les meilleurs de sa race. Carissimi propter Patres(Rom. 11,28) : à nos fondateurs immédiats, on peut bien sûr ajouter tant d’autres saints de notre Ordre. Mais soyons bien sur nos gardes : appartenir à cette race très forte de cénobites, fils de S. Benoît, cela nous compromet à chercher Dieu en vérité et sans jamais nous lasser : noblesse oblige. Alors, ne soyons pas des fils dégénérés. À la suite de N. Bx Père et de nos Pères abbés du ciel, soumis à la douce grâce du terrible quotidien, nous voulons ne rien préférer à l’amour du Christ, nous voulons garder la Règle qui, de son côté nous gardera, et nous voulons transmettre l’héritage, reçu il y a 24 ans désormais, en le confiant, dans ce but et pour sa joie, à l’Immaculée Mère de Dieu, à son Fiat qui a protégé le Suscipe de S. Benoît, avant de protéger maintenant le notre : Suscipe me Domine, Suscipe me Domina, amen.

 

Épiphanie du Seigneur, Samedi 6 janvier 2018

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Épiphanie du Seigneur, Notre Dame de TRIORS,

Samedi 6 janvier 2018.

 

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

À une encablure de Noël, voici l’Épiphanie. Depuis plus de dix jours, le nouveau-né commence à grandir, stimulant la croissance de notre foi elle-même. La fête des lumières, comme on l’a nommée, indique en effet le développement d’une vie pure et lucide en Dieu. Un évêque du Vème s., S. Maxime de Turin, présente ainsi la fête de ce jour : Le Seigneur grandit en âge pour lui, et en sainteté pour nous. Car sa sainteté à lui est éternellement parfaite, mais on dit qu’elle croît lorsqu’elle produit en nous un accroissement de foi. Quant à lui, après sa naissance dans le temps, même s’il n’est qu’un enfant dans son corps, il n’en reste pas moins Dieu par sa Majesté permanente (Hom. 21). Par leur intervention respective, les anges, les bergers, puis maintenant les Mages venus d’Orient adorent Dieu venu dans la chair pour nous, Emmanuel, Dieu-avec-nous, Dieu venu pour nous sauver, Jésus. Pax hominibus, paix aux hommes de bonne volonté, chantent les anges, paix donnée non pour être gaspillée, remarque encore S. Maxime, elle est proposée comme un don à choisir, à recevoir pour sa juste valeur. Seule une ferme volonté peut posséder le Sauveur qu’a engendré une virginité immaculée : Marie l’a conçu sans rien perdre de son intégrité, maintenant seul le cœur pur peut le garder.

On admire chez les bergers l’obéissance à l’ange de Noël : elle est tout à la fois immédiate et naïve :sans aucune tergiversation, ils ont le désir de voir l’Enfant pour re-devenir enfants à sa vue, c’est là l’innocence morale que confère la foi. Puis c’est l’étoile des Mages : elle fait entrer ceux-ci dans le même climat de joie admirative et de saine simplicité. Ils entreprennent leur long voyage à la suite de l’astre, osant aborder à la fin les grands de Jérusalem avec ces mêmes dispositions de docilité naïve et intègre. Pour S. Ambroise, l’étoile, c’est le chemin ; or le chemin c’est le Christ, car par le mystère de son Incarnation, il est comme une étoile, étoile brillante, étoile du matin. Certes on ne peut la voir dans les lieux où règne Hérode avec ses calculs fourbes, mais elle reparaît de nouveau là où habite le Christ pour nous ouvrir le chemin qui rend innocent (in Lucam). De plus les Mages ne viennent pas les mains vides, ils déposent leurs présents symboliques que recense l’évangile, l’or l’encens et la myrrhe, soit le signe de la puissance, du culte liturgique et de l’incor-ruptibilité (Mt. 2,11).

Ils viennent de l’Orient, nous apprend encore S. Mathieu (Mt. 2,1) : Magi ab Oriente, la tradition a amplifié le sens de ces trois mots. Elle voit en eux des rois venus des trois continents qui jouxtent la Terre Sainte, celle-ci étant ainsi au carrefour des civilisations les plus anciennes, antérieures même à la culture gréco-latine. Cette tradition qui paraît passablement naïve, relève pourtant d’une intuition très juste : nous pouvons voir en effet dans l’adoration des Mages toutes les cultures et religions se soumettre à Jésus. Par eux, l’humanité entière se courbe ici avec déférence selon ce que prévoyait le psalmiste : le Seigneur règne, les peuples tremblent, le Seigneur règne, toute la terre exulte (Ps. 98 & 96).

Nous tenons là la source saine du dialogue interreligieux. Il ne s’agit pas là d’une attitude facile, d’un tiède dialogue de salon entre opinions qui ne compromet personne, mais au contraire, selon la formule ambitieuse du Bx Paul VI, il s’agit du dialogue du salut, c’est-à-dire le dialogue qui mène à l’unique Sauveur et nous compromet en lui ; voilà l’enjeu que se fixait à ce sujet le Concile, lumen gentium. Il faut préciser cela. Les sagesses venues d’Afrique, d’Asie et du monde indo-européen résument la recherche de toute l’humanité, cahin-caha bien souvent, mais aussi avec des splendeurs de désirs et de grande attente. Toutes, elles ont ici ou là leur noblesse à respecter et même à admirer, surtout en notre temps marqué par un vide culturel redoutable qui donne à ses propres conquêtes techniques une terrible ambiguïté. Mais derrière les Mages, nous voulons voir l’ardent désir de toute l’humanité de voir Dieu, se reposer en Lui, y trouver son appui, jouir ainsi de la paix promise par les anges, enfin adorer Dieu en Jésus avec joie.

Magi ab Oriente, voici donc nos Mages venus de l’Orient, des notables sans doute, puisqu’ils en imposent assez pour mettre en émoi Hérode et tout Jérusalem (Mt. 2,3). Les « trois rois » ne sont donc pas si légendaires que cela. Magi, le mot évoque aussi une recherche un peu ésotérique derrière laquelle se cache souvent l’illusion démoniaque. Mais l’étoile les a purgés de ces troublantes recherches pour les mener à l’Enfant innocent. Avec eux, notre temps n’a pas de plus grande urgence que de reconnaître enfin la douce vérité qui met à genoux. La conviction qu’elle engendre ôte du cœur toute illusion, tout calcul compliqué et complice, toute violence et brutalité. Le Roi de la paix, Rex pacificus, vrai Salomon, règne sur nous comme l’Enfant sur les Mages, sans effort et avec plénitude : Il a dépouillé ses ennemis, écrit S. Paul à ce sujet, il les a données en spectacle à la face du monde dans son cortège triomphal (Col. 2,15).

Ils revinrent chez eux par un autre chemin (Mt. 2,12), un songe dissuadant les Mages de revenir vers Hérode et ses calculs hypocrites. S. Maxime en déduit ceci : les Mages, grâce à leurs recherches, avaient trouvé qu’à partir de la nativité du Christ, ils n’avaient plus rien à chercher ; aussi l’art de leur magie cessait, puisqu’ils avaient appris n’en avoir plus besoin dorénavant.

Le mystère de Noël, c’est une naissance, Natus est. Celui de l’Épiphanie, c’est un rayonnement, une lumière victorieuse des ténèbres, Apparuit, en grec Épiphanie. L’Église issue de la tendresse du Christ est le lieu où Jésus rayonne ainsi et subjugue dans la joie, unifiant tous les hommes dans le cortège triomphal de sa paix. Une glose médiévale associe au Magnificat de Notre Dame cette joie des Mages devenue nôtre, car avec l’Enfant Marie règne aussi sur nous dans sa douceur invincible : On est transporté de joie quand on se réjouit pour Dieu, qui est la joie véritable. Aussi l’évangéliste parle-t-il ici « d’une très grande joie », parce que l’objet de notre joie est considérable, car Dieu est avec nous, Dieu apparaît chez nous, amen.