Noël 2020

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Noël 2020, vendredi 25 décembre,

messe de minuit à Notre Dame de TRIORS.

Le recensement demandé par César Auguste obligea Joseph et Marie à aller de Nazareth à Bethléem (Luc 2,1s). Or Marie en était à son neuvième mois : la venue du Messie attendu intervenait donc au moment le moins opportun, faisant de ce voyage un noviciat de chemin de croix pour Marie sa Mère (2,4s). Une pierre plate sur le chemin est encore présentée aux pèlerins : la future mère s’y serait assise épuisée, à quelques kilomètres de Bethléem.

Pourtant la merveilleuse Naissance nous enchante chaque année, enjolivée par l’aspect bucolique de sa nuit étoilée et le contexte écologique des bergers qui plaît tant à la mentalité citadine ignorante du poids exact de la réalité rurale (2,8). Enfin, avec le Gloria in excelsis Deo, les anges annoncent explicitement la bonne nouvelle à tout le peuple (2,13s), génération après génération. À nous maintenant d’entrer dans le beau mystère de Noël.

Celui-ci est magnifique en son fond plus encore qu’en chacun de ses détails : il s’agit bien sûr de la venue parmi nous de Jésus, décrite ici avec tant de pudicité et de pureté. Selon l’évangile, arrivés à Bethléem, le temps où Marie devait enfanter s’accomplit, et elle mit au monde son fils premier-né, l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie (2,6s). Noël, c’est d’abord le grand mystère de l’Incarnation de la seconde Personne de la Très Sainte Trinité, venue prendre notre condition pour nous sauver, car nous avons besoin de salut.

S. Jean Chrysostome remarque que l’on se serait attendu plutôt à un ébranlement des cieux, faisant trembler la terre ou cracher la foudre ; or, admire-t-il, ce fut l’inverse, car le Seigneur venait pour sauver l’homme et fouler aux pieds son orgueil, et, c’est ce qu’il fait dès sa naissance. S. Grégoire de Nysse, lui, s’extasie devant l’insondable mystère de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, rapetissé en la sainte Vierge qui a porté son enfant sans souffrance : la conception de celui-ci fut immaculée, sa naissance sans souillure, sans déchirement et sans douleurs. Ève qui avait déposé en nous le germe de la mort par sa désobéissance fut condamnée à enfanter dans la douleur ; mais ici la mère de Celui qui est la vie enfante dans la joie : l’Enfant entre dans notre vie mortelle par la pureté incorruptible d’une vierge.

Le concert angélique indiquait cet événement insolite et hors pair. Outre les anges, on aurait aimé que Joseph nous donne sa version de l’évènement : le pape vient de lui confier l’Église dans le proche avenir ; comment ce témoin privilégié parle-t-il de la naissance virginale ? Or ce grand silencieux ne nous en a rien dit, le mystère reste donc secret, comme enfermé dans son écrin de pureté. Néanmoins l’intimité de Joseph avec le mystère de Noël nous a valu cette belle prière médiévale : O felícem virum, beátum Joseph – Oh ! heureux Joseph, à qui il a été donné de voir le Dieu que beaucoup de rois auraient voulu voir sans le voir eux-mêmes ; c’est à vous qu’il a été donné de le voir ; mieux encore, vous l’avez porté, étreint, embrassé, vêtu et vous l’avez gardé (Chancelier Gerson, vers 1400).

À l’autre bout de sa vie terrestre, Jésus a daigné se faire connaître à Thomas l’apôtre incrédule de la Résurrection ; il lui offrit ses plaies à palper avec respect, et devant l’évidence, Thomas dit alors, confondu et éperdu : Mon Seigneur et mon Dieu, (Jn. 20,29). Joseph a du ressentir des sentiments analogues. La naissance virginale comme le silencieux triomphe du tombeau ne relève-t-elle pas de la même toute-puissance divine ? Celle-ci s’écoule en sa création, comme elle le veut, pour y apposer son sceau de pureté et nous purifier de tous les désordres liés au péché d’Adam.

On peut penser aussi à l’Apôtre Jean qui eut le privilège reposer sur la poitrine du Seigneur lors de la dernière Cène (Jn. 13,23). Jean et Joseph sont tous deux un peu à part dans l’ordre de la proximité avec le mystère du Christ. Pour Origène celui qui repose sur le Cœur du Christ, s’insère dans le Verbe divin vivant lui-même in sinu Patris, vivant dans le sein de son Père en sa vie éternelle. Reposer sur la poitrine de Jésus, dit-il en commentant le Cantique des cantiques (in Cant. I, Cf. Col. 2,3 ; Cf. in Jn. I,23 & XXXII,264), c’est reposer sur son Cœur, dans l’intimité de sa pensée, c’est contempler les trésors de la sagesse et de la science cachés dans le Christ. Pour lui, Jésus chasse loin de lui par son amour toute ténèbre (in Jn. XXXII, 314).

Confions à Marie et à Joseph la grâce de ce Noël-ci. Elle vient à point nommé pour apaiser les craintes de ces jours d’incertitude pénible. Mieux, Jésus tout petit a la puissance de conforter la foi de Thomas qui fléchit. Il veut aujourd’hui purifier nos cœurs leurs laideurs, racheter ce monde envoûté par un charme morbide qui multiplie les flétrissures les plus abjectes. Chaque communion renouvelle Noël avec sa pureté divinement conquérante qui vient racheter ceux qui veulent sortir de ces laideurs. Puisse la beauté du Nouveau-Né s’imprimer sur chacun de nous, sur notre pays et le monde entier. Nous allons le chanter à l’offertoire : Le ciel se réjouit, la terre exulte à l’unisson en présence du Seigneur venu à nous par Marie en présence de Joseph, amen.

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Immaculée Conception 2020

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SOLENNITÉ de L’IMMACULÉE CONCEPTION,

Mardi 8 Décembre 2020, Notre Dame de TRIORS.

Avec l’Avent, l’antienne mariale Alma a réapparu. S. Louis-Marie Grignion de Montfort se fait l’écho des anciens en traduisant le mot Alma par Mère cachée et secrète ; pour lui, elle se cachait à elle-même son propre mystère (VD 2). Mais voici l’ange Gabriel près d’elle ; brièvement, mais avec intensité, en la saluant comme pleine de grâces, gratia plena (Luc 1,28), il dévoile son mystère caché avant tous les siècles dans le Christ en Dieu (Cf. Éph. 3,9 & Col. 3,3). Et l’on sait qu’elle en fut bouleversée, turbata est Maria (Luc 1,29).

À la suite de l’ange, l’Église a scruté l’ineffable mystère avec un émerveillement progressif. Avant les siècles, il ne fut connu que de Dieu seul, lui-même si bien caché dans son mystère indicible au dire d’Isaïe : Vraiment vous êtes un Dieu caché (Is. 45,15). Mais la salutation de Gabriel annonce le Sauveur venu du mystère caché de Dieu, confié au sein virginal et au Cœur très Pur de Marie qui acquiesce avec fermeté et humilité : Ecce, Fiat – Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon votre parole (Luc 1,38).

Aujourd’hui, c’est notre tour de contempler avec allégresse la splendeur de l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge Marie. Gratia plena, ces deux petits mots de Gabriel la lui ont révélé, avec ses immenses perspectives. Par vagues successives la réflexion des saints a chanté ce privilège unique, dans le sillage parfaitement homogène du salut angélique que nous venons d’entendre encore une fois avec joie. S. Ambroise, fêté hier, tout comme S. Jérôme s’unissent à la célébrer, S. Germain de Constantinople s’est fait son chantre infatigable à l’office de ce matin. Le Moyen Âge n’y a pas manqué : il suffit de penser à S. Bernard de Clairvaux. Au siècle passé, si éprouvé, la vraie piété s’est encouragée à scruter son mystère, comme S. Maximilien-Marie a su le faire, ou plus proche de nous encore, Don Stefano Gobbi. 

Laissons-nous attirer par sa lumière immaculée, suivons l’onde suave de son parfum céleste, en adaptant les mots même que ce dernier Lui attribue (N° 483, 8 décembre 1992). Parce qu’elle était sans péché, le Père a posé sur Elle son regard de prédilection, le Verbe l’a choisie pour devenir sa Mère et l’Esprit-Saint s’est uni à Elle avec un lien d’amour sponsal. Elle est entrée ainsi au cœur même de la Très Sainte Trinité.

Le texte poursuit : Oui, parce que sans péché, la divine Trinité l’a choisie comme Généralissime et Victorieuse, dans la terrible lutte contre Satan et tous les Esprits du mal. Oui, parce que sans péché, Jésus l’a intimement associée, comme Mère, à son dessein de salut et l’a faite la première collaboratrice de son œuvre de la Rédemption, socia Christi, en lui confiant comme fille, toute l’humanité rachetée et sauvée par Lui. Elle est donc Mère de l’humanité.

Par voie de conséquence il faut conclure qu’il appartient à son dessein de nouvelle Ève et à sa mission de Mère de réordonner l’humanité toute entière à la pleine communion de vie avec Dieu, en l’aidant à naître et à croître dans la grâce et la sainteté. C’est pourquoi sa tâche toute particulière consiste à éloigner de l’Église et de l’humanité l’ombre ténébreuse du péché et du mal, pour nous conduire tous à la Cité Sainte de la pureté et de l’amour.

Le mystère de l’Immaculée Conception de Marie, caché avec le Christ en Dieu avant tous les siècles, révélé par l’ange et par lui à l’Église, fut explicité de mieux en mieux pour aider les temps de plus en plus hostiles au rayonnement de la foi. Quand le Bx Pie IX déclara que ce mystère a toujours fait partie du noyau révélé, au cœur de notre foi chrétienne (Bulle Ineffabilis, 8 déc. 1854), il permit à la nouvelle évangélisation de prendre un premier essor, avant même que S. Jean-Paul II usât de l’expression : notre Congrégation de Solesmes doit tant à ce magistère du Bx Pie IX ! Et ce mystère resplendissant joue désormais un rôle de phare pour éclairer notre époque désarçonnée et inquiète : celle-ci ressemble à un navire sans voile ni rame ni boussole, mais le phare indique du moins la direction opportune à prendre. En cela, la sainte Vierge montre à ceux qui savent voir avec les yeux de la foi qu’elle est là pour éclairer la route, mais nous savons qu’elle est de plus le pilote pour redresser la situation désespérée en apparence.

Outre des désastres d’ordre climatologique lourds à porter (mais qui obligent aussi à voir au-delà de la vie terrestre), notre temps souffre bien plus profondément de l’impasse où le conduit la logique d’enfer qu’il s’impose en cherchant à mettre de l’ordre dans l’univers du vice. Tout comme l’évangile, notre Règle bénédictine nous apprend à haïr le mal, en aimant et respectant les personnes qui en sont victimes (Cf. RB 64) ; sous prétexte de leur venir en aide, nos parlements multiplient les mesures qui multiplient au contraire et suscitent les maladies morales. La loi civile n’a pas autorité pour avaliser comme bien le mauvais comportement d’un grand nombre, prétendant alors à se faire reconnaître comme fait social respectable ; la loi civile a au contraire vocation d’éduquer et d’empêcher la contagion du mal. Faisant le contraire, elle tombe dans une souricière : d’ailleurs, telle une parabole pour tous, la Covid révèle ce débat impuissant contre la contagion du mal.

Puisse l’Immaculée montrer son pouvoir sur tous, bons et méchants, gouvernants et citoyens. Puisse-t-Elle délier la vigueur de son bras pour soulager ceux qui souffrent de tant de confusion, puisse-t-Elle éclairer ceux qui, au lieu de gérer publiquement le vice devraient aider la société à s’y opposer en faisant l’office du Bon Samaritain auprès de ceux qui gisent sur le bord du chemin de la vie, selon le leitmotiv du Pape François.

S. Ambroise a rédigé cette belle prière : Si tu veux guérir d’une blessure, Jésus est le médecin. Si la fièvre te brûle, Il est la source. Si tu es opprimé par l’iniquité, Il est la justice. Si tu as besoin d’aide, Il est la force. Si tu crains la mort, Il est la vie. Si tu désires le Ciel, Il est le chemin. Si tu es dans les ténèbres, Il est la lumière. Si tu es dans l’incertitude, Il est la vérité. Si tu cherches une nourriture qui te rassasie, Il est le pain qui nourrit pour l’éternité. L’Église nous confie sans cesse à la Mère Immaculée de Jésus, Alma Redemptoris Mater, Sainte Mère cachée, secourrez le peuple qui chancelle, relevez celui qui tombe dans l’anxiété, porte du ciel toujours ouverte, amen.

Toussaint 2020

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Solennité de la Toussaint, Notre Dame de TRIORS,

dimanche 1er novembre 2020.

Nous venons d’entendre le début du sermon sur la Montagne, introduit par un exorde solennel (Mt. 5,1-12). Le Seigneur y rejoint son auditoire en profondeur. Derrière la foule, il voit en effet l’humanité de tous les temps, il nous voit donc tous ce matin. Il voit la foule, il monte sur la montagne, il s’assoit, ce qui, pour S. Augustin, indique sa dignité de docteur et de maître; puis les disciples approchent afin d’entendre de plus près et proclamer ensuite la Bonne Nouvelle à toute la création, comme écrira S. Marc (16,15).

Le Maître prend alors la parole et il enseigne, proclamant la Loi nouvelle par les huit béatitudes que complète la neuvième. Sur ce nouveau Sinaï, il y a ici plus que Moïse pour nous énoncer la Loi définitive. La dernière béatitude, un peu à part, est adressée à la 2ème personne du pluriel ; elle nous est donc adressée : Bienheureux êtes-vous, quand tout se mettra en travers et semblera se conjuguer contre vous, ce qui arrive trop souvent. Le Golgotha se présente derrière le Mont des Béatitudes. Le prix de l’imitation de Jésus est dit ici sans fard : oui dans sa pensée, il n’y a visiblement qu’un pas entre les deux Monts.

Le Seigneur Jésus inaugure sa mission ; le voilà qui se met à l’ouvrage. On le dirait heureux et à son aise comme un charpentier, dit S. Jean Chrysostome, qui verrait un bel arbre capable de faire un chef d’œuvre. Jésus est là, voyant bien la foule, videns turbas. En écho, l’Apocalypse fait admirer le résultat de sa moisson, avec l’immense foule des saints, vidi turbam magnam (Ap. 7,9). Celle-ci est impossible à dénombrer, elle est à l’échelle de ce qu’entrevoit l’évangile de ce matin, à la hauteur du désir intense et impatient de Jésus de nous voir tous toutt à Lui, desiderio desideravi (Luc 22,15).

Avant la neuvième béatitude qui s’adresse donc à chacun de nous, les huit premières forment un tout ordonné, orienté vers l’ultime, comme pour tempérer l’effroi devant les menaces évoquées, avec le risque de fuir et de l’esquiver. Enfin, la première comme la huitième est conclue pareillement, le Royaume des cieux est à eux. Toutes deux, elles enchâssent l’ensemble en vue de préparer les esprits aux exigences de la dernière : le Seigneur se fait excellemment pédagogue. Le Royaume est promis, mais aux pauvres en esprit, le Royaume est ouvert, mais pour les persécutés : oui, car leur précarité, leur épreuve les configure au Grand Patient, à savoir Jésus en Croix, après avoir été le Maître sur la Montagne. Par la blessure de son Cœur ouvert, il se montre à nous comme le premier de cordée vers le Royaume. Il nous tire nous aussi avec nos épreuves, connues ou cachées.

La dernière béatitude est en effet celle du martyre. Tous, nous y sommes appelés d’une façon ou d’une autre. Donne ton sang et reçois l’Esprit, dit un Père du désert, comparant le labeur spirituel à une agonie. Le martyre au sens strict, le martyre sanglant fut d’emblée l’apanage des premiers siècles ; la liturgie de ce jour s’en ressent, dédiée dans l’Antiquité à la Reine de martyrs. Pourtant le voici de retour sous nos yeux comme l’ont remarqué les papes de Jean-Paul II au Pape François inclus.

De façon étrange et merveilleuse à la fois, la dernière béatitude éclaire alors l’âpre actualité avec ses énigmes sévèrement meurtrières. À dire vrai, depuis de longues décennies, notre pays s’appuie ostensiblement sur des principes savamment ambigüs, prêts à verser le sang. Exemple flagrant : le fallacieux droit au blasphème, prétendument fleuron de notre société des lumières, se révèle brutalement n’être qu’une torche allumant une poudrière : ridiculiser ce qui est le plus précieux pour l’autre ne saurait jamais semer la paix. Et il y a pourtant pire, quand le désordre moral est entretenu de façon législative, là est la source d’une guerre redoutable.

À l’orée de son ministère papal, Benoît XVI dénonçait la dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Et il déplorait qu’on vante ce relativisme comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle : se laisser entraîner à tout vent de doctrine (18 avril 2005). Dans sa récente encyclique (Fratelli tutti, n° 206), le pape François insiste : Le relativisme n’est pas une solution. Sous le couvert d’une prétendue tolérance, il finit par permettre que les valeurs morales soient interprétées par les puissants selon les convenances du moment.

Le vice a toujours été la voie facile qui mène à l’abîme, et il coûte cher à tous points de vue. La vertu en revanche qui paraît difficile et requiert de l’effort, donne la joie de s’être dépassé, sans rien coûter à la société. Mieux, l’énergie morale profite ensuite au bien de tous, prêt à éponger le sang et adoucir la panique. Le pape émérite comme son successeur nous encourage : Allez à contre-courant, n’écoutez pas les voix qui sont nombreuses à faire la propagande de modèles de vie fondés sur l’arrogance et la violence, le succès à tout prix, l’apparence et les possessions matérielles (Benoît XVI). Gavés de connexions, nous avons perdu le goût de la fraternité, vient de nous dire la Pape (Fratelli Tutti, N°33).

Pas de religion d’État, pas d’irréligion d’État, disait Aristide Briand en 1905 pour maquiller la laïcité d’un visage neutre et aimable. Mais celle d’aujourd’hui en ridiculisant le respect, nous met tous en péril grave. Alors tout est piétiné dans la société, la famille, la vie naissante et la vie à son automne, en vantant au passage l’homosexualité que l’on prétend apaiser en la légalisant comme un état normal et naturel : justifier par la loi tous les désordres, ne saurait jamais créer l’ordre, le droit lui-même se corrompt à ce jeu sinistre. Tout cela finit de façon sanglante, dans la rue ou même à l’église.

Au lieu d’aider l’homme blessé du chemin, on avive ses blessures et on l’empêche de voir que réellement, profondément, la vie est belle : elle est toujours belle et plus que nous ne pouvons le dire, comme nous le crient chacune des béatitudes : puisse notre société les laisser crier et convaincre chaque âme éprouvée. À dire vrai, l’Immaculée verse sur ce monde la beauté synthétique du beati mudo corde, son Cœur très Pur fait voir Dieu à ceux qui se mettent à son école, amen.

Assomption 2020

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Samedi 15 Août 2020, Notre Dame de TRIORS,

Assomption de Notre Dame.

Sursum corda : avant d’entrer dans la Prière eucharistique, peu avant que Dieu vienne nous visiter à la messe avec sa Croix glorieuse, l’Église invite les fidèles à élever leur cœur vers le Mystère rédempteur qui leur ouvre ainsi le ciel. La collecte de ce jour a également cette perspective céleste, ad superna semper intenti – tout tendus vers les réalités d’En-Haut. Notre Dame monte au ciel avec son corps et son âme, son Assomption nous donne d’espérer pour tout de bon les réalités d’En-Haut. La recevant chez elle, Élisabeth déjà témoignait qu’en entrant chez elle, c’était le ciel qui entrait. L’évangile de ce jour pétille déjà de l’éternité : Benedictus, benedicta, beata (Luc 1,41-50). Élisabeth atteste que le fruit du sein de Marie est le Béni du Père des cieux, aussi Marie est-elle bénie entre toutes les femmes, comme le dit nos Ave Maria. Avec Élisabeth nous répétons ces mots avec plus de vérité que lorsque le peuple d’Israël acclama Judith victorieuse d’Holopherne (Judith 13,18). Oui, il nous plaît de renchérir avec la vieille cousine : Bienheureuse êtes-vous, Marie, d’avoir cru à l’invitation divine d’œuvrer à l’Incarnation ; et elle-même constate que toutes les générations convergent vers sa personne en la déclarant telle : Beatam me dicent omnes generationes (Luc 1,48). Oui, le ciel est ouvert et Marie nous y attend.

Un ouvrage récent est consacré à l’éternité reçue (Martin Steffens, DDB 2020). C’est son titre et il annonce la couleur : la vie éternelle est le grand don désormais, à recevoir des mains de Dieu, un don et non pas un dû, une grâce à solliciter avec une humble déférence. Pourtant, par un étrange retournement des valeurs, ce désir d’éternité paraît étrangement absent autour de nous. L’homme en effet se veut satisfait de son sort, il se convainc qu’il est bien là où il est : alors que faire d’un autre monde ? Et il s’éloigne d’un même pas, et de Marie et du ciel, s’enfermant sur lui-même dans une fâcheuse clôture égoïste. L’absence de transcendance ne semble pas déranger le moins du monde la mentalité actuelle. Et le matérialisme pratique qu’on impose crée de façon à la fois feutrée et criante un immense malentendu entre notre millénaire encore bien novice et le triomphe de l’Assomption. Sous nos yeux, l’univers musulman semble le seul désormais à s’intéresser à l’au-delà, pourtant l’idée qu’il se fait du ciel est bien caricaturale et étroite, sans issue surnaturelle.

Quoi qu’il en soit, l’homme qui se croit ainsi libre méprise d’un même mouvement le passé et l’avenir éternel, et il gaspille alors le présent. Sa sagesse de camomille, comme dit l’auteur, sa sagesse de pacotille stérilise et empoisonne sa vie perçue secrètement comme frustrée, loin de Marie. Pour faire l’économie d’un au-delà, l’homme postmoderne invente cette pâle stratégie pour se rassurer lui-même, loin de sa Mère des cieux. Dès lors, on le voit bien, le plus grand adversaire actuel du christianisme n’est pas tant l’athéisme, que, plus précisément le refus de l’Incarnation : car si Dieu s’incarne en Marie et vient jusqu’à nous, c’est pour nous ouvrir le ciel et ses perspectives inouïes. À ce titre, la fête de Marie aujourd’hui est vraiment l’antidote du neuroleptique qui endort l’humanité présente.

À dire vrai, cela ne date pas d’aujourd’hui. Au XVIIèm es., Pascal y voyait la trace de son adversaire, le démon prompt à entraver notre destinée surnaturelle : Rien n’est si important à l’homme que son état; aussi rien ne lui est si redoutable que l’éternité… C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement non naturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause (Pensées).

Le soir approche et déjà le jour baisse. Par ce livre paru l’an dernier, le Cardinal Sarah réveille nos consciences. Depuis, la curieuse et mystérieuse pandémie corrobore ses intuitions. Une chape d’angoisse s’est imposée à nous, puisqu’un simple virus suffit à nous confiner dans l’évidence que notre vie est fragile, que la mort n’est pas loin. La question de la vie éternelle ne peut manquer de se poser, remarquait-il, quand on nous annonce tous les jours un grand nombre de contagions et de décès (Valeurs Actuelles 9 avril 2020, p. 15). Et cette société si sûre d’elle-même ne peut plus cacher que nous sommes mortels, tout en étant si malhabile pour en parler. Pourtant Marie s’immisce dans l’épreuve ; celle-ci n’est pas un piège ni une impasse. Le Père Lethel, un grand Carme, a vu dans ses 17 jours d’hôpital son plus grand acte de charité sacerdotale. Un enfant décédé du Covid disait avec la justesse de la foi : Mais maman, tout le monde prie pour ma guérison. Il faut demander des choses importantes comme la vie éternelle.

Des voix s’élèvent pour décrypter un peu le sens de ce que nous vivons, surtout si l’on y ajoute le drame du Liban, l’arrogance turque face au passé chrétien de l’Asie Mineure, et, pire que tout peut-être, ces lois libertaires votées à la va-vite, dans la canicule succédant au confinement, et encore, par le quart de la représentation nationale. La mort rode, et on continue de danser sur le volcan que l’on prétend nier ainsi.

Néanmoins, à l’heure de cette messe pontificale en l’honneur de l’Assomption, la ville de Paris est aux pieds de Notre Dame de France qui pélerine dans le pays, pour y inscrire un grand M en son honneur. Élisabeth a reçu chez elle la jeune cousine. La France reçoit de même en son sein vieilli, ridé et fatigué la glorieuse Mère de Dieu. Certains pleurent l’absence cette année du Tour de France cycliste : puissions-nous être nombreux à acclamer Marie à la place, de près ou de loin : elle sillonne les rues de la capitale, puis dans un instant l’archevêque de Paris consacrera à Montmartre la ville de Paris aux Cœurs unis de Jésus et de Marie, en priant pour la France en cette période spéciale, dans la ligne du vœu national renouvellé à l’issue des Vêpres ce soir.

Les saints qui laissent les plus grandes traces sur terre ont crié leur désir du ciel. Laissez-moi m’en aller vers la maison du Père, disait Jean-Paul II en son dernier soir après avoir labouré l’univers entier (2 avril 2005). Jésus, je t’aime. Jésus, je t’aime, répétait sainte Mère Teresa au moment de mourir en 1997. Le Magnificat de Notre Dame chez Élisabeth happe nos cœurs vers Dieu, Tirez-nous vers le Haut à l’odeur de vos parfums, maintenant et à l’heure de notre mort, amen.

11 Juillet St Benoît 2020

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Solennité de la Translation de saint BENOÎT,
samedi 11 juillet, Notre Dame de TRIORS.

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,
Pater venerabilis, saint Benoît est souvent appelé Père vénérable par son biographe, saint Grégoire le Grand : deux mots simples et denses qui nous en disent beaucoup sur lui. Pater : en tant que membres de l’Ordre qu’il a fondé, nous autres moines le nom-mons depuis, Notre Bienheureux Père saint Benoît, bien avant que Pie XII reconnaisse en 1947 de façon nettement plus élargie son influence en lui conférant le titre de Père de l’Europe. Comment comprendre cette paternité, sinon comme une immense fécondité, à la fois visible et spirituelle, monastique et sociale ? Ce n’est pourtant pas qu’il ait con-voité une quelconque renommée hypothéquant sur l’avenir monastique, et moins encore sur l’avenir européen. Son dessein précis, souligné par son biographe, fut très explicite-ment la recherche de Dieu seul, soli Deo placere cupiens – ne désirant plaire qu’à Dieu seul : sa recherche fut exclusive, absolue, farouche même et jalouse, comme l’attestent certains traits de sa vie. D’où lui est donc venue cette large et aimable fécondité de Père ? L’his-toire donne une partie de la réponse, le reste restant le secret de Dieu.
Peu après la désagrégation de l’Empire romain, les contemporains vivaient dans l’angoisse face à la dégradation endémique des ressorts de la société civile : cela n’arrive donc pas qu’avec l’épreuve du Covid. Son exemple silencieux devînt alors comme un cri muet, mais un cri perçant aussi qui a touché les âmes, les encourageant à ces gestes simples et patients qui recousent les déchirures sociales, les apaisant peu à peu en les orientant vers la Paternité inaltérable de notre Père des cieux.
Saint Grégoire lui attribue l’Esprit de tous les justes, à partir d’épisodes de sa vie faisant penser aux grandes figures de saints que contient l’Écriture. L’Esprit qui anima la vie morale de Benoît en héritier du passé de l’Histoire sainte, a envahi ensuite par lui les siècles suivants, jusqu’à ce que Charlemagne, bon an mal an, adapte largement sa Règle à tous les échelons de la société, depuis la vie simple des écoliers jusqu’à l’organisation générale de l’Empire qu’il rétablissait. La Renaissance carolingienne coïncida ainsi avec ce qu’on nomme de nos jours à juste titre les siècles bénédictins. Par la suite, les Ordres Mendiants, puis plus tard, d’autres courants religieux imprimèrent leur influence sur la société ; néanmoins, la douce emprise de la Règle laisse des traces qui justifient l’appella-tion de Pie XII, Père de l’Europe ; et saint Paul VI déclara ensuite en 1964 son Patronage sur cette partie de l’univers qui reçut l’Évangile avant de le diffuser partout. De nos jours, avec une légèreté coupable, on soupçonne ce fait européen qui est indéniable
Pater venerabilis. Car cette Paternité est dite en outre vénérable. L’étymologie du mot évoque un grand charme et un vif attrait, l’usage courant rajoutant au qualificatif une note de beau respect qui n’ôte rien à l’attrait. Benoît serait-il alors un Grand-Père en une version particulièrement réussie ? Non, une telle image ne lui convient pas plus qu’au Bon Dieu imaginé de façon puérile avec une grande barbe blanche. Il serait plus juste de dire que la séduction qu’inspire saint Benoît nous vient tout droit de Dieu lui-même, Paternité vénérable, qui doit être aimée et respectée. Car nulle paternité au monde n’a ressemblé à la Paternité divine comme celle de saint Benoît, selon la remarque avisée du 3ème abbé de Solesmes (Dom Delatte, Com. p. 2). Pater venerabilis, c’est dire l’aimable dimension patriarcale de la sainteté de Benoît. Notre Père des cieux nous l’a donné comme un cèdre à l’ombre duquel l’évangile triomphe silencieusement et souverainement. Aussi est-ce en tant que Père que le Patriarche de la vie monastique en Occident a donc été reconnu par la Mère Église comme Patron de l’Europe, avant que d’autres patronages soient reconnus en son sillage de premier de cordée. Ayant voulu n’appartenir qu’à Dieu, sa sainteté a rayonné profondément sur la société, donnant à notre vie chrétienne de quoi s’épanouir entièrement en nous et autour de nous.
Mgr Gay il y a un siècle et demi a rédigé une belle prière bien connue qui éclaire la fécondité rayonnante de saint Benoît tout en encourageant notre temps inquiet et imprudent en ses débats publics : Jésus, Vous êtes toujours un don universel. Si Vous prenez une âme, c’est un gain pour le monde entier. Où Vous commencez de régner, la paix commence de s’établir et la charité d’abonder. Vous êtes la délivrance, le bien-être, la fête du genre humain, et pour devenir bons et heureux, heureux de toute manière, nous n’aurions qu’à Vous recevoir, Vous qui ne demandez qu’à venir, Vous qui entrez par toute porte ouverte et frappez à toutes celles qu’on ne Vous ouvre pas. Mais cela qui est magnifique n’empêche pas les ombres du temps présent que l’auteur déplore ainsi pour le sien : Hélas ! Et l’on a peur de Vous, et l’on n’a peur que de Vous, et l’on Vous éconduit, et l’on Vous chasse ! On cherche la justice et on la réclame souvent à grands cris; on veut que les hommes soient assistés sinon aimés par les hommes ; et Vous qui êtes l’unique remède au mal d’où sort toute injustice, Vous qui êtes l’unique foyer des amours saints et généreux, source des vrais services, ils Vous excommunient de partout et ne souffrent même plus qu’on Vous nomme ! C’est un principe, dit-on, c’est un droit et une liberté, c’est le droit et la liberté même que de tout bâtir ici-bas sans Vous et hors de Vous, et de gouverner les hommes, abstraction faite de Vos doctrines. Quelle tristesse, quelle déchéance !
Tandis que notre pays délibère sur le retranchement de la paternité et même son absence, cherchant à ratifier le divorce total entre le plaisir conjugal et la fécondité, comme des enfants sûrs d’être exaucés en s’appuyant sur l’amour du Père des cieux pour notre époque, nous recourrons au Père vénérable qui a si efficacement protégé l’Europe chrétienne au long des siècles. Demandons-lui que notre temps retrouve en les goûtant bien le sens et la douceur rassurante de la paternité, y compris charnelle, car nos contemporains sont devenus des orphelins mal aimés, orphelins sans l’avoir choisi. À de jeunes époux, Pie XII disait : Être Père, c’est communiquer l’être, bien plus, c’est mettre dans cet être le mystérieux rayon de vie (19 mars 1941). Avec saint Benoît, mettons-nous à l’école de Jésus qui, dans le Saint-Esprit nous apprend à dire, Abba-Père, à la suite de Notre Dame, la Servante du Seigneur qui nous fait dire le Fiat à l’amour offert, amen.

St Pierre et Paul 2020

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Solennité des Saints Apôtres Pierre et Paul, lundi 29 juin 2020.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Une nouvelle fois, nous venons d’entendre la confession de S. Pierre sur la route de Césarée (Mt. 16,13ss). De retour de Tyr et de Sidon, le groupe entourant le Seigneur abordait la Galilée par le Nord, c’est-à-dire par le Liban actuel. La confession de Pierre ! Le Seigneur le félicita alors, admirant sa réponse qui, semble-t-il, a fusé d’un seul jet, en contraste avec les opinions fluctuantes du public ; et cette spontanéité n’était pas alors la marque d’un tempérament impulsif, dont il lui sera souvent fait grief. Non, le Seigneur le félicite pour la docilité qu’implique cet aveu : Tu es Christus, Filius Dei vivi ; docilité à l’égard de la lumière divine, qui, répandue en Pierre par la foi surnaturelle, le fait témoigner de l’origine exacte du Seigneur, Deus de Deo. En retour, le Maître souligne la vocation incluse dans le nom qu’il lui avait donné dès leur première rencontre, Tu es Petrus. Et il lui précise maintenant : Et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam.

Avant d’en arriver là, les relations entre Pierre et le Seigneur avaient connu diverses étapes, l’orientant peu à peu vers ce rôle unique dans la fondation visible de l’Église. Plus tard, lors de la seconde pêche miraculeuse après Pâques (Jn. 21,15-19), après l’humiliation du triple reniement, ce privilège lui sera conféré à nouveau, avec une solennité accrue. Il ne s’agit pas d’un détail, Pierre est ici au cœur de la mission de Jésus.

Pierre, tu es Pierre ; le mot fait écho à la première rencontre près du Jourdain. Les disciples de Jean-Baptiste l’avaient entendu désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu (Jn. 1,36ss). André et Jean se mirent à sa suite, puis le lendemain, Pierre, et enfin Philippe et Nathanaël. Le IVème évangile relate le fait avec émotion, et le premier contact entre l’Agneau de Dieu et Pierre dit déjà tout du mystère pétrinien : Tu es Simon, fils de Jean, Simon Bar-Jona, comme dans la page de ce matin ; désormais, tu t’appelleras Céphas, ce qui veut dire Pierre (Jn. 1,42).

À l’origine, le premier Adam eut pouvoir de nommer les êtres vivants, et surtout son épouse. Le second Adam fait ici un geste analogue, geste décisif en direction de l’Église, son Épouse pure et immaculée, comme dit S. Paul (Éph. 5,27). À nous de méditer ici et de goûter silencieusement le lien que pose le Seigneur entre Pierre sur lequel il bâtit son Église d’une part, et Marie Mère de l’Église, de l’autre. Le Sacré-Cœur fut transpercé après la mort de l’Agneau de Dieu : Jean l’évangéliste en fut témoin. Ce mystère profond, magnum mysterium, y assumait la maternité de Marie sur Jean, mais sur Pierre aussi et sur toute l’Église, engendrement mystérieux déclaré par l’agonisant, avant d’offrir la dernière goutte de sa vie comme signe de son amour pour nous jusqu’au bout (Jn. 19,32-37 & 25-27 ; Jn. 13,1).

La primauté indéniable de Pierre supporte avec aisance ce rôle de Jean si bien dépeint dans l’évangile, ici comme ailleurs, par exemple lors de la course de Pierre et Jean vers le sépulcre, ou plus banalement en apparence quand ils entrèrent au Temple par la Belle Porte à l’heure de None : deux antiennes de la fête mettent l’épisode en chant. On ne se lasse pas d’admirer en eux les premiers pas de l’Église au berceau de sa Rédemption. Ce n’est pas tout : un autre apôtre s’était immiscé de façon analogue entre Pierre et Jésus : André son frère a vu Jésus le premier et lui présenta ensuite Pierre, cette primauté d’ordre chronologique n’infirmant en rien la primauté d’ordre théologique de Pierre dans l’Église. Oui, c’est André qui poussa son frère Simon vers Jésus, qui d’emblée lui donna, on l’a dit, son nom emblématique et charismatique.

Associant cet épisode avec l’évangile d’hier, à savoir la pêche miraculeuse (Luc 5,1-11), Bossuet voit en Pierre le premier poisson pêché par André, avant tous ceux qui débordaient du filet, sous la responsabilité commerciale et mystique de Pierre. C’est André qui a pris son frère Simon, le prince sans conteste de tous les pêcheurs spirituels : Veni et vide (Jn. 1,16), dit le grand prédicateur qui accepte l’éloge des Orientaux concernant le premier appelé, le Protoclet : André est le premier-né des apôtres, la colonne premièrement établie, il est comme Pierre devant Pierre, fondement du fondement même ; il a appelé avant qu’on l’appelât, il a amené des disciples, Pierre lui-même, à Jésus avant que d’y avoir été amené lui-même (Hésychius, début Vème s., cité par Bossuet, Panégyrique de S. André, 2° point).

Mais c’est le sang de Pierre, non celui, d’André qui a fécondé Rome et l’a donnée au Christ unique Seigneur. Rome ne boude pas pour autant, ni ne fronce les sourcils à l’Orientale lumen qui l’a devancée en ceci ou en cela. Et désormais tous sont à l’école de Pierre, attendant sa parole avec la Catholica, l’Église universelle répandue partout. Il en va un peu comme de Marie-Madeleine que S. Grégoire le Grand a nommée sans aucune gêne apostola apostolorum, l’apôtre pascale des apôtres, eux-mêmes un peu lents à croire. Ni Madeleine, ni S. André ne mettent en péril le charisme pétrinien, pas plus que S. Paul dont la figure pleine de fougue est fêtée ce matin en même temps que le privilège de Pierre de confirmer ses frères dans la foi.

Tous ont suivi l’Agneau de Dieu partout où Il les menait. Le Baptiste l’a nommé ainsi pour nous orienter tous vers l’unique Rédempteur : ne fallait-il pas qu’il souffrit ainsi pour entrer dans sa Gloire et nous la faire partager. Pourtant nous savons que, malgré les prévenances dont il bénéficia, Pierre eut bien du mal à comprendre le lien entre la Croix et la Gloire. Les Juifs résistèrent au dogme eucharistique tiré pourtant tout droit de la manne de leurs Pères, ces paroles étant trop dures pour eux, tout comme les diverses prédictions de la Passion scandalisaient Pierre. Néanmoins, face aux juifs réticents, il sut s’en remettre totalement au Seigneur : À qui irions-nous, vous avez les paroles de la vie éternelle (Jn. 6,68).

Nul doute que Pierre, bien humilié désormais, eut sa bonne leçon de catéchisme sur la Rédemption en fin de matinée à Pâques, avant que le Seigneur ne la donnât à Cléophas et son compagnon sur la route d’Émmaüs (Cf. Luc 24,26). Pierre après Pâques, après Pentecôte surtout, confirme ses frères, et ses successeurs bénéficient du charisme de déclarer le contenu de la révélation comme une manne nécessaire à chaque siècle, sous la conduite de Marie, Mère de Jésus et Mère de l’Église, amen.