Nativité du Seigneur 2021

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Solennité de la Nativité du Seigneur

Samedi 25 Décembre 2021

Mes bien chers frères, mes très chers fils,

 

« Puer natus est nobis, et filius datus est nobis — Un enfant nous est né, et un fils nous a été donné ». C’est par ces mots et sur une douce mélodie que s’ouvre la Messe du jour de Noël. L’Église, la famille des fidèles, chante la joie d’une naissance. La liturgie met sur nos lèvres et dans notre cœur les mots et les sentiments qui conviennent. Si la Mère Église ne nous dictait pas ces paroles si simples, si paisibles et si joyeuses, aurions-nous eu aujourd’hui l’inventivité et l’audace de les proférer ? La question est étonnante, n’est-ce pas ? Oui, demandons le nous, sans la suggestion de l’Esprit-Saint, nous serions-nous réjouis de cette naissance ?

D’où vient la joie ? La joie naît de la possession d’un objet aimé. Et pour nous autres, les hommes, petites créatures limitées, la joie est en proportion de l’attente. Et donc pour pouvoir nous réjouir profondément de la naissance d’aujourd’hui, il faut que nous l’ayons ardemment désirée.

Mais notre infirmité en ce domaine, c’est que nous sommes blasés, nous sommes repus par les biens de la terre. C’est ce que les Anciens appelaient l’acédie.

Et pourtant, elle est lancinante, la conscience que nous avons besoin d’autre chose que ces conforts matériels pour atteindre le bonheur. Même, nous sentons que ce bonheur est accessible malgré toutes les difficultés.

Mais ces aiguillons vers une vie plus dégagée et libre, ne nous empêchent pas de nous laisser facilement engluer… Une grande partie des occidentaux ne souffrent plus du froid, ni de la faim, ni même, grâce aux nouvelles technologies, des distances physiques. Et certains poussent même la folie jusqu’à se promettre d’éliminer la mort… Nous n’avons plus rien à désirer, semble-t-il. Et nous perdons même le désir fondamental : le désir du salut. La civilisation post-chrétienne, en même temps qu’elle gave les corps par les biens de consommation, anesthésie les âmes quant au péché. L’un après l’autre, les commandements divins, inscrits dans la nature humaine et redits par la Révélation, sont tournés en dérision. Nous ne nous reconnaissons plus pécheurs devant Dieu. Nous ne ressentons plus le besoin d’un salut donné par notre Dieu. Et c’est pour cela, semble-t-il, que la joie chantée dans l’Introït ne nous touche plus. Nous ne sommes plus des hommes de grands désirs. Enfin si, le grand désir de Dieu est toujours là, au fond de l’âme, mais prêtons-nous l’oreille ?

Par liturgie de l’Avent, l’Esprit-Saint a enseigné à prier à son Église, il nous a appris à crier : « Viens ! Viens, Seigneur Jésus ! » Il nous a débarrassé de nos entraves. Et nous sommes enfin en mesure d’entendre les grands textes théologiques de cette Messe, les premiers versets de l’Épître aux Hébreux et ceux de l’Évangile de saint Jean, qui nous redisent chacun à sa façon quel moyen Dieu emploie pour nous donner ce salut dont nous avons si profondément besoin : le Fils de Dieu, qui se fait homme !

Avez-vous remarqué que ces lectures, qui veulent introduire la figure de Jésus dans notre histoire, nous parlent d’abord de la naissance éternelle du Verbe. Et ce Verbe éternel a connu cette nuit une nouvelle naissance, il est né de la Vierge Marie. Cette naissance n’a qu’un but, celui de nous libérer de la vieille servitude sous le joug du péché. La collecte le dit très manifestement : « Unigeniti tui nova per carnem Nativitas — La nouvelle naissance selon la chair de votre Fils unique » nous rend la vie. Elle nous fait renaître à notre tour. Comme lui, nous naissons une deuxième fois, comme le dira plus tard le Seigneur à Nicodème. Deux naissances, chez lui et chez nous, pour rétablir une communion.

Cela est si important que la Secrète et la Postcommunion redisent la même chose. Il n’y a pas de motif plus profond à notre joie d’aujourd’hui et de tous les jours ! La Secrète demande que cette nouvelle nativité du Fils de Dieu purifie les taches de nos péchés, et la Postcommunion que la naissance du Sauveur du monde nous donne l’immortalité avec la génération divine.

Voilà pourquoi nous pouvons avoir cette profonde joie lors de la naissance du Christ. Voici celui qui nous fait naître à la vie divine, qui rétablit notre communion avec Dieu. Le Christ, l’Oint de Dieu. Il est imprégné par l’Esprit-Saint. L’huile imprègne la pierre qu’elle oint. Il y a un contact complet. Le Christ est l’Oint, celui qui est en contact absolu avec Dieu, et il est venu pour une seule chose, rétablir l’union, le contact des hommes avec Dieu. Saint Irénée a dit : « Unxit Pater, unctus est Filius, in Spiritu qui est unctio — Le Père oint, le Fils est oint, dans l’Esprit qui est l’onction ». On pourrait ajouter : « Nos quoque christiani, in Christo uncti sumus, et Maria prima uncta — Et nous aussi, chrétiens, nous sommes oints dans le Christ, et Marie est la première ointe ». Lorsque nous accueillons le Fils de Dieu incarné, nous adhérons enfin à Dieu. Les conséquences de notre péché sont anéanties, il n’y a plus cet éloignement de la source de toute vie, de toute paix de tout amour. « À Noël, disait Benoît xvi, le Verbe éternel est entré dans le monde comblant le fossé entre le fini et l’infini, le visible et l’invisible ».

Accueillons donc allègrement ces horizons magnifiques que nous offre le Nouveau-Né. Il ne faudrait pas que cette fête de Noël passe sur notre âme comme l’eau sur les plumes d’un canard. Laissons-nous imprégner, jusqu’au cœur, par cette présence du Christ. Origène déjà le remarquait avec acuité : « À quoi peut te servir que le Christ soit jadis venu dans la chair, s’il n’est pas venu jusqu’en ton âme ? »

Regardons sans nous lasser l’Enfant de la crèche. Allons plus loin que l’aimable icône d’un papa, d’une maman et d’un nourisson. Comprenons que sa venue répond à la plus profonde de nos aspirations : le désir d’être délivré du mal et unis à Dieu notre Père. Son silence et sa paix, sous le regard maternel de Marie, sont tout à fait victorieux.

Au nom de Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.

immaculée conception 2021

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Solennité de l’Immaculée Conception

8 Décembre 2021

« Ave, gratia plena : Dominus tecum : benedicta tu in mulieribus. — Je vous salue, vous que l’on appelle, dans les régions d’où je viens, la Pleine de grâce. »

Ce jour-là, l’Archange saint Gabriel a initié la longue série de nos Ave qui ne s’achèvera jamais. Après lui, les foules redisent leur amour et leur admiration à celle qui fut choisie pour sa Mère par le Fils de Dieu. Il l’a choisie pour être La Mère, la sienne et celle de tout son corps mystique, de toute l’Église, de nous tous. À la grotte de Lourdes, les pèlerins venus des horizons les plus contrastés se relaient nuit et jour, dans une fraternité retrouvée, pour égrener ensemble ces Ave.

Dans ce coin isolé des Pyrénées, la sainte Vierge a dit son nom à une bergère illettrée. Sainte Bernadette ne connaissait pas les finesses de la philosophie, et la belle Dame lui a dit, en patois : « Je suis l’Immaculée Conception ». La tournure même de ces mots nous étonne. Cette formulation bien abstraite, « Je suis l’Immaculée Conception », nous invite à regarder de plus près.

Dom Delatte relève et explique, devant les moniales de Sainte-Cécile, quelques paroles du Seigneur qui ont la même consonance :

[Jésus déclare :] « Ego sum resurrectio et vita — je suis la résurrection et la vie » Ayez la bonté de remarquer la forme même de l’expression du Seigneur ; il ne dit pas : « Je suis celui qui ressuscite les autres ou qui me ressuscite » ; il ne dit pas : « Je suis vivant » […] L’expression [« je suis la résurrection »] est extraordinaire de soi, elle est abstraite, en dehors des usages humains. Nous disons de temps en temps : « Je suis sage », peut-être avons-nous tort de le dire ; mais nous aurions encore plus grand tort de dire : « Je suis la sagesse. » Personne ne réussirait sans ridicule, à dire de lui à l’abstrait : « Je suis la beauté, je suis la grandeur… ».

L’expression abstraite [du Seigneur] me semble signifier trois choses. La première, c’est qu’il n’a emprunté à personne ; la seconde, c’est qu’il possède immuablement ; la troisième, c’est que la possession est tellement opulente qu’il peut donner, qu’il peut distribuer et faire des largesses sans s’appauvrir.

[… Au contraire,] lorsque [nous,] nous parlons sous une forme concrète, il y a l’affirmation de trois choses : la première c’est que nous avons reçu ; nous sommes vivants, mais nous avons emprunté la vie ; nous sommes vivants non seulement parce que nous avons emprunté la vie que le Seigneur nous a prêtée, mais le Seigneur peut nous la réclamer à telle heure qui lui convient. […] Nous affirmons l’infirmité originelle de notre être, ce n’est pas à notre source que nous puisons ; c’est l’affirmation de la précarité, de la pauvreté essentiellement limitée, réduite de ce que nous possédons […], pauvreté qui ne nous permet pas de donner. […] Nous sommes trop pauvres pour faire des largesses.

Il n’y a pour faire des largesses que Celui qui possède de lui-même : Dieu n’a rien reçu, rien emprunté : quis prior dedit illi, et retribuetur ei ? (Rm 11, 39) [Qui a donné d’abord au Seigneur ? À celui-ci le bien fera retour]. Dieu qui possède non pas d’une façon précaire, indécise, ébranlable ; Dieu qui possède d’une façon immuable, éternelle, est autorisé par l’opulence infinie qui est en lui-même à faire des largesses : il prend de cette richesse qu’il porte en lui-même et qui est lui-même pour donner à toutes créatures. […]

Et Dom Delatte nous rejoint dans le mystère d’aujourd’hui, en poursuivant en ces termes :

Notre-Dame parle de la même façon lorsqu’elle parle d’elle ; elle dit : « Je suis l’Immaculée Conception » : vous cherchez pourquoi il convient à Notre-Dame de parler d’elle à l’abstrait, comme il convient à Dieu d’en parler… Vous chercherez, je crois que vous trouverez1.

Dieu n’a emprunté à personne, mais Notre-Dame a emprunté. Elle n’est pas la première à être née Immaculée. Le Fils est l’éternel engendré dans une sainteté absolue, dans une lumière divine. Si Notre-Dame a emprunté la pureté de sa conception à quelqu’un, ce n’est qu’au Verbe éternel. Nul sur terre, depuis qu’Adam et Ève ont perdu leur intégrité première, n’a pu être à la source de la Toute-Pure. C’est un don qu’elle a reçu par une première obombration de l’Esprit :

Ainsi, dès le début, note un théologien byzantin2, Marie était unie à l’Esprit source de vie : aucune particule de son être n’est venue au jour sans la participation de l’Esprit.

Le terme abstrait nous montre du moins qu’elle possède immuablement. Oui, la grâce initiale de la petite Marie ne sera jamais voilée. Jamais, elle ne fera défaut aux sollicitations de l’Esprit. Elle grandira même continuellement en lumière et en amour, jusqu’au jour de son entrée au Ciel où l’attend son Fils.

Chez, l’Immaculée, la possession est enfin tellement opulente qu’elle peut donner, qu’elle peut distribuer et faire des largesses sans s’appauvrir. Elle est la source de toute pureté créée. C’est en elle que nous puisons l’eau qui lave nos âmes de la souillure ordurière du péché. C’est en elle que nous buvons à longs traits l’eau de la grâce. Elle est à la source de notre naissance, de notre filiation divine. Notre conception surnaturelle est enveloppée dans son Immaculée conception.

Chaque jour de cet Avent, accueillons notre Mère dans nos cœurs. Sa lumière aimante nous préparera au mieux à la rencontre avec notre Rédempteur, la nuit de Noël.

Assomption 2021

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Assomption de Notre Dame,

dimanche 15 août 2021, Notre Dame de Triors.

 

Avant la gloire, il y a l’humilité, lit-on au livre des Proverbes (18,12). L’évangile vient de se faire l’écho de cette vérité, associant le Magnificat à la gloire de Notre-Dame montant au ciel : Magnificat, quia respexit humilitatem. Dieu a vu son humilité, il fait monter les humbles (Luc 1, 48 & 52). Marie monte glorieuse au ciel, car Dieu se complaît en son humilité, sa création atteint là son but : Et Yahvé vit que c’était vraiment très bon, tout à fait excellent, Lui qui est pure Bonté. Oui, le Bon Dieu est vraiment content, d’un contentement d’un autre ordre que nos petits plaisirs.

En revanche, le contraste saute aux yeux avec l’actualité d’ici-bas si pleine d’épreuves humiliantes. La terre doit-elle donc se résigner à être orpheline, séparée de Marie qui est au ciel, notre temps est-il condamné à demeurer prisonnier en ses déboires et angoisses ? À cette question déprimante, la liturgie de ce matin apporte sa réponse, simple et forte : Marie dénoue nos imbroglios, mais non pas sans nous. Désemparés comme nous le sommes, regardons et crions vers Elle, Elle nous apprendra ou ré-apprendra à voir les choses du point de vue décisif du Bon Dieu, pour éviter de les gérer de mal en pis. Dieu alors regardera l’humilité, issue de l’humiliation offerte et dépassée, ne soyons pas revêches à la vertu, jouons le jeu.

L’évangile qui vient d’être proclamé en offre un bel exemple : Élisabeth, celle qu’on appelait la stérile ouvre son cœur et sa joie à l’Immaculée pleine de grâces (Luc 1,35 & 28). La virginité féconde glorifiée veut visiter aussi nos efforts stériles pour les vaincre. La stérilité de la vieille cousine fut dénouée, non par des moyens humains honnêtes dont elle avait sans doute déjà usé, mais par la seule Mainmise divine qui, de son côté, glorifie Marie en magnifiant son humilité.

À l’origine le Créateur nous a donné le précepte de dominer la création pour en user et la faire progresser (Cf. Gen. 1,28). Voulu par Dieu, le progrès dû à l’homme dans la création ne fut pourtant pas sans risque ; l’histoire est jalonnée d’échecs et de reprises en main. Le progrès humain va donc cahin caha. C’est que le progrès n’est pas linéaire et horizontal, la croissance ordonnée concernant notre rapport au choses matérielles implique un essor moral concomitant, un effort de verticalité.

De fait, on ne peut échapper à cette évidence que notre maîtrise concernant la vie et à la mort est gravement perturbée. La vie : grâce à un authentique progrès médical, la mortalité infantile a disparu pour le bien de l’humanité ; la mort, soins palliatifs et maîtrise de la douleur donnent de quoi l’aborder dans l’abandon et la confiance, ces suprêmes dignités de la créature face à son Créateur. La mainmise humaine sur notre existence a donc réellement progressé. Mais voilà des décennies pourtant que l’avortement et l’euthanasie larvée témoignent dans le sens inverse du progrès : l’humanité régresse vers une infâme barbarie, chacun le sent bien.

Au risque de ne pas être compris, S. Jean-Paul II a dénoncé en son temps cette contradiction flagrante (à Sienne, 14 septembre 1980), même si le regard superficiel, de façon tenace, veut l’ignorer. Au lendemain de la guerre, Pie XII avait déjà mis en garde contre l’aspect totalitaire de l’emprise technique lors des reconstructions, dans la hâte du retour de la dolce vita d’avant guerre (Noël 1953). Mais il revenait sans doute au Pape François d’insister à ce sujet, haut et fort, dans l’encyclique Laudato Si sur l’écologie : l’écologie morale est de loin désormais la plus urgente, bien plus urgente que le climat ou la pandémie.

Cela vaut la peine d’être bons et honnêtes, écrit-il avec une pointe d’ironie contre ceux qui refusent de voir la gravité de l’enjeu. Depuis trop longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. L’heure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi, ose-t-il écrire (L.S. 229). Le Prophète Aggée dénonçait l’inanité des efforts de ses contemporains agités : Vous semez beaucoup et vous récoltez bien peu (1,6). Les succès tapageurs se révèlent vite éphémères, cachant mal la stérilité morale profonde de notre temps : celui-ci a un urgent besoin de nouer contact avec la gloire de la virginité féconde.

Notre Saint-Père dénonce implacablement la détérioration éthique et culturelle, qui accompagne la détérioration écologique. Le monde post-moderne court le risque permanent de devenir profondément individualiste, et beaucoup de problèmes sociaux sont liés à la vision égoïste actuelle axée sur l’immédiateté (L.S. 162 ; Cf. 4, 136, 210). Oui les temps sont durs, pourris disent certains. Un livre tonique va sortir : L’aubaine d’être né en ce temps ou l’Amour au temps du Corona (F. Hadjadj, Éd. Emmanuel) ; oui, il y a mieux à faire que de bouder et nous lamenter. Aujourd’hui comme hier, Notre-Dame veut visiter de nouvelles Élisabeth prêtes à la recevoir pour recevoir le message de l’Assomption : Magnificat, car Dieu a vu son humilité, il élève l’humble Marie et tous les humbles avec (Cf. Luc 1, 48 & 52). Salve Regina, amen.

St Benoît , 11 juillet 2021

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Solennité de N. Bx Père Saint Benoît,

dimanche 11 juillet 2021, Notre Dame de TRIORS.

Pour S. Benoît fêté ce matin avec joie, la vie monastique n’est authentique qu’à la condition de chercher vraiment Dieu – si vere Deum quaerit (RB 58). Sinon, bien évidemment ce serait une vie consacrée hypocrite, et nous voyons combien cela fait bien du mal à l’Église. Dans le contexte, il s’agit de savoir si le novice est bien à sa place au monastère, mais la Règle élargit la perspective en citant ailleurs l’évangile bien connu, qui vaut pour tous: Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et ce qui vous soucie vous sera accordé, mais comme par surcroît. Oui, quand disparaît la fébrilité liée à notre peu de foi, lorsque la liberté intérieure est là, la Providence manifeste sa générosité insatiable, c’est elle qui fait chanter si joyeusement les petits oiseaux (Cf. RB 2 citant Mt 6,33). D’une façon analogue, l’évangile que nous venons d’entendre proclamer, s’adresse d’abord aux apôtres et à ceux qui quittent tout, mais il concerne bien aussi tous les fidèles (Mt. 19,27s).

Tout chrétien a quelque chose à apprendre de S. Benoît : ce dernier s’enfuit de la Ville aux mœurs corrompues, il s’en éloigne pour prendre du recul ; puis en un second temps, il part secrètement d’Enfide, bourgade paisible pourtant, dès que les gens se montrent trop entichés de lui : Plus désireux de souffrir les maux du monde que ses louanges et de se fatiguer pour Dieu plutôt que d’être flatté en cette vie, il s’éloigna en secret et gagna un lieu désert appelé Subiaco (Vita c. I,3). À notre époque, le vice est proposé de mille façons, les loups revêtus de peau de brebis prolifèrent. Mais l’homme vaut infiniment plus que leurs projets diaboliques qu’on lui propose de nos jours. Il mérite mieux également que ces satisfecit faciles et sans fondement, la vanité flirtant alors avec le mensonge et anesthésiant la conscience.

Si vere Deum quaerit- chercher vraiment Dieu. Les hommes ne peuvent avoir de relations saines entre eux qu’en suite de leur relation avec Dieu. Le regard intérieur de la conscience devient alors un petit paradis où l’on s’entretient avec Dieu : voilà la racine saine du contact social. Sinon, malgré la confiance qu’inspire la peau de brebis, l’homme est un loup pour l’homme, et la méfiance latente ou ouverte s’ensuit, étouffant l’honnête joie de vivre. La vie chrétienne authentique relève du grand paradoxe évangélique, rechercher d’abord Dieu, le reste venant ensuite, abondamment et comme en surcroît. C’est la grande urgence en ce temps en grand désarroi où on paralyse les foules, par peur de la maladie et de la mort. Alors écoutons bien S. Benoît nous disant répétant de chercher Dieu en tout premier lieu.

En 1964 lors de la restauration de Monte-Cassino après les bombardement de 1945, S. Paul VI déclara son patronage sur cette Europe qui se relevait alors difficilement de ses ruines fumantes, matérielles et surtout morales. Mais la voix du saint pape n’a pas été prise au sérieux : en refusant ses racines chrétiennes à Maastricht, Nice et Lisbonne, l’Europe semble accorder plutôt une victoire posthume à Hitler et à ses projets démoniaques : en témoigne sinistrement la loi récente, la loi honteuse qui est à la fois contre l’éthique et contre la vie reçue de Dieu.

Un grave malaise social couve depuis des années. Regardons donc S. Benoît qui propose, avec une douce et tenace insistance le remède venu tout droit de l’évangile, chercher vraiment Dieu : trois petits mots tout simples pour donner l’esprit d’une saine résistance, chercher vraiment Dieu avant d’agir et de parler de la vie. Benoît a vécu en Italie, ses reliques sont à Fleury en France ; le transfert de celles-ci est à l’origine de la fête de ce jour, indiquant le rayonnement de notre saint sur le continent, puis sur le monde. Des malaises sociaux endémiques et cruels envahissaient son univers, mais l’entraînement silencieux et probant de ses disciples imprima peu à peu le primat des choses de Dieu s’imposant dans la cité, et la paix médiévale a été conquise ainsi.

D’ailleurs, Dieu mérite bien qu’on le recherche pour Lui-même, puisqu’Il est l’Unique Nécessaire, puisqu’Il sera le dernier mot de notre destinée dans l’éternité partagée avec Lui : il es temps de lier connaissance avec Lui. Jésus l’affirma à Marthe trop affairée au dehors et souffrant de ne pas arriver à bien faire son ménage (Luc 10,42). Sa simple parole aide toutes les Marthe à mettre l’évangile en pratique: cherchez le Royaume de Dieu, le reste surviendra, aimablement et comme par surcroît : la divine Providence se montre alors dans son extrême libéralité.

Tournant le dos à cette salutaire et magnifique mesure, l’Europe choisit donc pour l’heure d’outrager sa référence au Christ Seigneur qui fit pourtant fleurir chez elle les arts et le progrès des peuples. Nous la voyons avec tristesse se débattre désormais dans le rôle de Faust fasciné par Méphistophélès. Il y a de quoi être effrayé quand on voit le déroulement des lois européennes depuis des décennies. Mais pour ne pas céder au défaitisme spirituel, une autre parole de l’évangile vient à notre aide : N’ayez pas peur petit troupeau (Luc 12,32). S. Benoît enseigne la crainte de Dieu, crainte d’amour qui remet une saine hygiène et rend la santé morale aux consciences (RB VII et passim).

C’est la force de notre foi d’illuminer alors le quotidien d’un rayon du ciel, y tissant des liens sains. Certes, ceux qui refusent les racines chrétiennes de nos pays sont puissants, comme des Goliath ; l’urgence dès lors, ce sont les nombreux petits David, qui, sans payer de mine, visent juste avec des moyens dérisoires en apparence mais ciblés ? Le Bon Dieu ne demande que cela en attendant que le balancier social revienne au bon sens et à l’ordre de la charité quand Il le jugera opportun.

Nos épreuves ne doivent pas faire larmoyer. La joie fait partie de l’innocente revanche que nous ménage la vie saine dans la foi. Ave Maria, Gaude Maria, le chapelet, ce psautier des pauvres est à la portée de tous, amen.

Sacré Cœur 2021

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Solennité du Sacré Cœur, le 11 juin 2021.

La liturgie fait résonner bien fort aujourd’hui l’appel de l’amour miséricordieux qui nous vient de la Passion du Sauveur. En effet, après le cri qui précéda la mort de Jésus, l’eau et le Précieux Sang qui coulèrent de son Côté percé juste après, furent un autre grand cri, selon l’évangéliste, et il résonne jusqu’à nous et jusque dans l’éternité. On sait que pour les païens, pour Celse au IInd siècle comme pour l’islam de toujours, la vérité n’est probante et évidente qu’en cas de succès tangible ; la mort de Jésus et ses souffrances comme l’angoisse de Getsémani seraient pour toujours la preuve irréfutable de son échec : penser ainsi fut d’ailleurs la tentation latente des disciples, et pas seulement des deux pèlerins d’Émmaüs.

Scandale pour les juifs en même temps que pure folie pour les païens, S. Paul l’a remarqué d’emblée (I Cor. 1,23). Après lui, Origène, puis S. Ambroise ont répondu à Celse, voyant au contraire dans le Cœur ouvert du Seigneur le plus grand signe de la Révélation de l’amour de Dieu pour nous. L’apologétique divine, humblement et fermement, ne nous donne que cet argument de l’amour vrai jusqu’au bout : Ce n’est pas pour rire que je vous ai aimés, dit-il par Angèle de Foligno. Au cours des siècles récents, il y a eu les messages de Paray ou ceux de Ste Faustine encore à découvrir. Le Seigneur y répond aux allégations du froid rationalisme dont se meurt notre société quand elle refuse l’Amour Rédempteur.

De la même façon, les intuitions ferventes de la sainte de Lisieux sont un don providentiel pour notre temps ; le Bon Dieu attendait sa réponse, dans le Cœur de l’Église, je serai l’Amour (Ms B 3v°), ratifiée par son acte d’offrande à l’Amour miséricordieux le 9 juin 1895. Le saint Cardinal Newman (1801-1890) venait alors de mourir ; sa devise est de la même trempe : cor ad cor loquitur. Dieu est amour, Dieu a un Cœur ; Il l’a montré visiblement dans l’Incarnation rédemptrice, attendant en retour, humble et simple, le nôtre. L’évangile de ce jour veut continuer en nous : oui, en cet instant du Cœur transpercé, Dieu dit sans cesse son mystère intime. Le Christ est venu faire un nouveau monde, écrit le saint Cardinal. Il est venu pour rassembler et récapituler toutes choses en Lui. Car c’est là cette chose nouvelle que le Christ a apportée dans le monde (Douze sermons sur le Christ). En effet, en Notre Seigneur, Dieu communique personnellement avec nous, cor ad cor. À chaque instant et jusqu’à la fin des temps, rien ne lui échappe. C’est pendant toute notre vie, que le Christ nous appelle, écrit encore Newman. Il nous a appelés d’abord au baptême. Que nous obéissions ou non à sa voix, sans se lasser et toujours gracieusement, Il nous appelle encore (Le Chrétien,1905, p 96).

Madame l’abbesse nous a accoutumés à cette doctrine pure et forte. Le désir de Dieu qui nous aime empêche radicalement nos relations avec Dieu en ce monde de demeurer pure formalité ; notre cœur se tourne réellement vers le Sien, sous l’impulsion de notre intelligence. Nous renouons alors avec la conversation intime de Dieu avec Adam au paradis terrestre (Cf. VSO, p. 9). Dieu veut produire en nous, avec une efficacité souveraine, sa propre perfection, en allumant en nous le feu qu’il est venu apporter sur la terre. Le Sacré-Cœur réalise la tendresse du cantique de Moïse : Comme l’aigle qui excite ses aiglons à prendre leur vol et qui voltige au-dessus d’eux, il ouvre ses ailes, il prend l’âme et l’emporte sur ses épaules (Deut 32,11. Cf. VSO, p. 53).

Contemporain de Newman, de Thérèse ou de Madame l’abbesse, un autre cardinal, Merry del Val, témoignait du même abandon confiant : Ayez une grande dévotion à la Passion de Notre-Seigneur. Pensez à l’amour qu’il nous a témoigné en permettant que son Cœur fut percé pour nous prouver son amour. Prouvez-lui le vôtre, en acceptant, pour l’amour de Lui, les souffrances et les peines. Laissez la douleur ouvrir votre cœur comme elle a ouvert le sien… C’est le dernier mot de l’amour que l’expiation par amour (Notes de direction, p. 40).

L’Antiquité chrétienne et le Moyen Âge ont trouvé avant nous ce chemin du Cœur de Jésus pour y trouver le remède à toutes leurs langueurs et épreuves. À nous maintenant de mettre notre foi et humilité dans les traces des devanciers plus récents, nous invitant à nous déconfiner des mauvis soucis malsains que notre société multiplie, pour nous confiner, ou, plus exactement, nous clôturer dans le seul lieu qui soit à la hauteur de notre vocation, in abscondito Cordis et Faciei illius, .

En cette date anniversaire pour notre famille monastique, je fait nôtre, mes très chers fils, cette élévation de Newman : Ô très Sacré, très aimant Cœur de Jésus, Vous êtes caché dans la Sainte Eucharistie, et Vous battez toujours pour nous. Maintenant comme alors Vous dites: Desiderio desiderare – ‘J’ai désiré d’un grand désir’. Je Vous adore donc avec amour et crainte, avec une affection fervente et une volonté soumise et résolue. Ô mon Dieu, quand Vous condescendez à me permettre de Vous recevoir, de Vous manger et de Vous boire, et à faire de moi pour un moment Votre demeure, oh! faites battre mon cœur à l’unisson du Vôtre. Purifiez-le de tout ce qui est terrestre, fier et sensuel, de tout ce qui est dur et cruel, de toute atonie, de tout désordre, de toute perversité. Remplissez-le de Votre présence, afin que dans les événements de la journée, ni les circonstances du temps présent n’aient le pouvoir de le troubler; mais que Votre amour et dans Votre crainte il puisse trouver la paix (Méditations sur la doctrine chrétienne, Ad Solem, p. 134). Ô Jésus, par le Cœur Immaculé de Marie, je Vous offre mes prières, mes travaux, mes joies et les souffrances de cette journée, en union avec le saint sacrifice de la messe partout dans le monde, en réparation de péchés, pour la réunion de tous les chrétiens, pour les pauvres âmes du purgatoire, pour les intentions particulières du Saint-Père de ce mois-ci et pour le règne des Cœurs Sacrés et Immaculés (id. Prières ususelles). Amen.

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