Toussaint 2024

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Solennité de la Toussaint

Vendredi 1er Novembre 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Nous avons récemment appris que notre Pape François a désormais canonisé 926 saints. Et l’Apocalypse nous a parlé il y a quelques instants de 144000 serviteurs de Dieu marqués au front du signe de leur filiation divine, puis d’une

« foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Et ils s’écriaient d’une voix forte : “Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau !” » (Ap 7, 9-10).

Avec bonheur, nous célébrons aujourd’hui cette grande famille de Dieu, l’assemblée des saints à laquelle nous espérons appartenir à jamais.

Au ciel, les bienheureux jouissent tous ensemble de l’éternelle et béatifiante vision de Dieu. Mais déjà durant leur séjour sur cette terre, ils étaient bienheureux, bien qu’ils fussent entourés de souffrances et d’infirmités, car ils vivaient les béatitudes proclamées par le Christ. Sur terre, les disciples du Seigneur appartiennent déjà à la grande communion des saints.

Qu’est ce que cette « communion des saints » dont nous entendons si souvent parler ? Est ce que j’en fais partie ? Est-ce que j’en « bénéficie » ? Le Catéchisme de l’Église catholique est simple : « La communion des saints est précisément l’Église1. » Tout baptisé a sa place dans la communion des saints qui est cette possession commune d’un unique trésor : l’amour de Dieu. Cette communion entre les âmes habitées par la grâces s’appuie sur une vérité fondamentale : les âmes unies au Christ sont unies entre elles. Et par conséquent, chaque âme bénéficie du progrès des autres. C’est un trésor commun auquel contribuent tous les membres de l’Église, et auquel tous puisent.

Saint Thomas d’Aquin, dans son commentaire du Credo, éclaire cette belle réalité avec l’image paulinienne du corps de l’Église :

Puisque tous les croyants forment un seul corps, le bien des uns est communiqué aux autres. […] Il faut de la sorte croire qu’il existe une communion des biens dans l’Église. Mais le membre le plus important est le Christ, puisqu’il est la tête. […] Ainsi, le bien du Christ est communiqué à tous les membres, et cette communication se fait par les sacrements de l’Église2.

« Le terme “communion des saints” a dès lors deux significations, étroitement liées : “communion aux choses saintes” et “communion entre les personnes saintes3”. »

Dans l’ordre des âmes, ce sont souvent les plus humbles, les plus ignorés, et même ceux qui n’appartiennent qu’invisiblement à l’Église qui obtiennent des grâces et parfois même le salut pour ceux qui sont les plus en vue. Car si la hiérarchie de l’Église est visible, utile et respectable, elle n’est pas pour autant gage de sainteté. Elle est là pour conserver le dépôt de la foi et gouverner au nom du Christ. Elle le fait d’autant mieux qu’elle est sainte. Mais cette sainteté n’est pas inhérente à la fonction, alors Dieu veille à ce que le reste de l’Église vienne suppléer.

Cette conscience de la communion des fidèles est attestée dans l’Église depuis la communauté primitive de Jérusalem dont les membres « étaient assidus […] à la communion fraternelle » (Ac 2, 42). Elle est l’œuvre principale des sacrements qui nous unissent au Christ et à son Église. Le baptême, en particulier, nous insère dans le Corps du Christ. La pénitence aussi a son importance, elle qui réunit ce que le péché avait divisé. L’Eucharistie surtout nous plonge profondément dans le Christ et son Église : elle est vraiment communion.

Avons-nous le souci de vivre ainsi en communion avec nos frères et sœurs, dans nos familles, dans notre paroisse, dans notre diocèse et dans l’Église entière ? Est-ce que nous mettons tout en commun ? Le Catéchisme de l’Église catholique nous dit encore : « Le souci de la communion est signe de la véritable prière dans l’Église4. » Est-ce que nous avons le réflexe de prier pour le reste de l’Église, d’offrir nos sacrifices pour le salut des pécheurs, pour la délivrance des âmes du purgatoire, pour les prêtres et la fécondité des œuvres missionnaires, pour les laïcs dans leurs diverses difficultés ?

De même que chacun de nos péchés blesse autour de nous (et c’est pour cela que le sacrement de pénitence a une dimension sociale qui fait du bien à toute l’Église), de même toute bonne action rayonne. Saint Paul dit : « Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même : si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. » (Rm 14, 7-8). Rappelons-nous cela : « Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même ».

Et dans l’autre sens, est-ce que nous avons aussi la simplicité enfantine de venir puiser, sous le regard de notre Mère à tous, dans le trésor ecclésial ?

Ainsi, les saints que nous fêtons aujourd’hui, ce ne sont pas seulement tous les saints canonisés, mais encore tous les saints inconnus à qui nous devons tant.

Amen.

1CEC 946.

2Saint Thomas d’Aquin, In Symbolum Apostolorum, a. 10.

3CEC 948.

4CEC 2689.

 

Dédicace 2024

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Solennité de la Dédicace

Samedi 5 octobre 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Cet édifice est la maison de Dieu, bien fondée sur une pierre ferme. Cette maison de prière est bâtie avec art, elle est revêtue de sainteté et de gloire. Ici, le prêtre et toutes les âmes bien tournées vers le Seigneur peuvent entrer aisément en conversation avec le Dieu trois fois saint.

La liturgie de notre fête chante et répète avec ferveur toutes ces vérités, et nous remercions Dieu du don qu’il nous a fait d’un temple pour le rencontrer. Nous sommes heureux d’avoir à notre usage une telle demeure sacrée. Au fil des antiennes et des répons, il est un thème qui revient fréquemment, c’est celui de la Cité sainte appelée Jérusalem ou Sion. L’hymne des Vêpres, en particulier, détaille les beautés de cette ville, et l’art déployé lors de sa construction. Au sens spirituel, il s’agit de la construction de la sainte Église et de l’organisme spirituel de tout chrétien. Cette hymne chante dès le premier vers la « bienheureuse ville de Jérusalem », « Vision de paix ».

Oui, notre relation avec Dieu n’est pas seulement un simple rendez-vous, seul à seul dans un sanctuaire, mais vraiment toujours aussi un culte social, fondement réel d’une cité nouvelle, où tout un peuple se constitue, dans la fraternité d’une même vie divine qui circule dans les âmes.

Toutes ces merveilles sont mises à notre portée. Et cela nous rend profondément heureux. Pouvons-nous pour autant estimer qu’il n’y a plus rien à désirer ?

Certes, Dieu nous a donné dès à présent la charité qui demeurera dans l’autre monde : dès à présent nous l’aimons et nous nous aimons mutuellement d’un Amour divin, fort et pur. Cependant, Dieu nous a encore laissé quelque temps sous le régime de la foi et de l’espérance. Pour l’instant nous n’adhérons aux vérités éternelles que par la foi, qui scrute dans l’obscurité les bontés de Dieu sans pour autant les cerner entièrement.

Saint Augustin, dans son Discours sur le Psaume 9e, nous explique que notre citoyenneté dans la ville sainte est appelée à évoluer. C’est avec justesse que la ville consacrée à Dieu est appelée « Sion » ici-bas, et « Jérusalem » dans l’éternité. Le saint évêque d’Hippone développe ainsi :

« Chantez au Seigneur, qui habite dans Sion » [dit le Psaume 9e (v. 12)]. Le Psalmiste s’adresse à ceux que le Seigneur n’abandonne point parce qu’ils le recherchent. Ils habitent Sion, qui signifie « chercher du regard », et qui est le symbole de l’Église présente ; comme Jérusalem est le symbole de l’Église à venir, c’est-à-dire de la cité des saints admis à jouir de la vie des Anges, parce que Jérusalem signifie « vision de paix ».

En effet, la recherche par le regard précède la vision, comme l’Église actuelle précède la cité immortelle et éternelle qui nous est promise. Mais elle la précède par le temps et non par la dignité ; parce que le but auquel nous nous efforçons de parvenir est plus excellent que ce que nous faisons pour mériter d’y parvenir : or nous agissons par le regard, afin d’arriver à la vision1.

Oui, saint Augustin a raison : notre obscurité relative ne nous autorise pas à laisser de côté les lumières que le Seigneur Jésus donne dans son Évangile et proclame par son Église. C’est en nourrissant notre foi que nous développerons notre vie d’enfants de Dieu. Ne nous laissons pas égarer par les lueurs naufrageuses de ce monde, et scrutons les vérités salvifiques. Le Seigneur s’y trouve, pour les chrétiens en chemin, afin d’éclairer leurs pas. Saint Augustin poursuit en effet :

Mais si le Seigneur n’habitait aussi dans l’Église présente, les recherches les plus ardentes n’aboutiraient qu’à l’erreur. Aussi est-il dit à l’Église : « Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous » (1 Co 3, 17), et encore : « Le Christ habite par la foi dans vos cœurs, dans l’homme intérieur » (Ep 3, 16).

Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite dans Sion, c’est-à-dire de louer, d’un commun accord, le Seigneur qui habite dans l’Église [, qui habite notre Communauté et notre église abbatiale de Triors]2.

Oui, chantons-le dans Sion, c’est-à-dire là où l’on cherche du regard, en attendant la joie de le chanter à Jérusalem, dans la Vision de paix, avec les bienheureux, au premier rang desquels trône la Vierge Marie, reine des Saints, Mère de l’Église triomphante, souffrante et militante, Mère de notre abbaye et Mère de chacun de nous.

Amen.

1Saint Augustin, Enarratio super Ps. 9, n. 12.

2Saint Augustin, Enarratio super Ps. 9, n. 12.

Assomption de Notre Dame 2024

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Solennité de l’Assomption
de la Bienheureuse Vierge Marie

Jeudi 15 août 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Aujourd’hui, la Vierge Marie est montée avec son corps auprès de son Fils, auprès de Dieu. Réjouissons-nous !

C’est pour elle le voyage du triomphe, elle qui a sans cesse pèleriné sur cette terre à la suite de son Fils Jésus. En hâte, elle était allée rendre visite à sa cousine. C’est l’Évangile que nous venons d’entendre. Dans une pauvreté confiante, elle avait pris la route pour se rendre à Bethléem. Avec fidélité aux lois de son peuple, elle avait présenté Jésus au Temple, et avec inquiétude, elle l’avait recherché dans la caravane. Pendant les années de vie publique, elle suivait encore son Fils avec une docilité qui a mûri en com-passion au jour du sacrifice. Et voici, pour terminer qu’elle le suit encore au Ciel, l’âme unie au corps. Il y a dans son cœur un unique désir : être au plus tôt en présence de Dieu dans la pleine lumière céleste. C’est pourquoi, selon le Pape Benoît xvi :

L’assomption nous rappelle que la vie de Marie, comme celle de chaque chrétien, est un chemin d’imitation, à la suite de Jésus, un chemin qui a un objectif bien précis, un avenir déjà tracé : la victoire définitive sur le péché et sur la mort et la pleine communion avec Dieu, car — comme le dit Paul dans la Lettre aux Éphésiens — le Père « nous a ressuscités ; avec lui, il nous a fait régner aux cieux, dans le Christ Jésus » (Ep 2, 6). Cela veut dire qu’avec le Baptême, nous sommes fondamentalement déjà ressuscités et que nous siégeons dans les cieux en Jésus-Christ, mais que nous devons corporellement rejoindre ce qu’il a commencé et réalisé dans le Baptême. En nous, l’union avec le Christ, la Résurrection, est inachevée, mais pour la Vierge Marie, elle est accomplie, malgré le chemin que la Vierge a dû elle aussi accomplir. Elle est entrée dans la plénitude de l’union avec Dieu, avec son Fils, et elle nous attire et nous accompagne sur notre chemin1.

[Oui, pour nous comme pour la Vierge Marie notre Mère,] toute la vie est une ascension, toute la vie est méditation, obéissance, confiance et espérance, même dans les ténèbres ; et toute la vie est cette « sainte hâte », qui sait que Dieu est toujours la priorité et que rien d’autre ne doit susciter de hâte dans notre existence2.

Notre Dame est désormais corporellement au Ciel. En elle comme dans son Fils ressuscité se réalise l’union de la terre et du ciel. Le Verbe est maintenant la demeure de celle qui a été la demeure du Verbe sur terre.

Notre vie surnaturelle de foi, d’espérance et de charité est une vie qui reçoit son origine de Dieu et qui remonte à Dieu. Cette vie d’enfants de Dieu a donc une valeur infiniment supérieure à notre activité simplement humaine. Elle vaut infiniment mieux que nos bonnes actions inspirées par la vertu simplement naturelle, ces bonnes actions dont tout homme de bonne volonté pourrait être capable. Et que dire alors de ces actes surnaturels qui nous viennent de la vie divine par rapport aux actes mauvais qui ne dépassent pas l’étroit domaine du créé ? Certes, les actes mauvais peuvent avoir un retentissement effrayant, au niveau d’un pays pour ce qui est d’une loi, au niveau mondial quand il s’agit d’un blasphème pseudo artistique, filmé et diffusé sur tous les continents. Mais le moindre de nos actes d’enfants de Dieu rachète tous ces outrages. Dom Delatte écrivait en effet :

Tant vaut l’agent, tant vaut l’acte ; [depuis mon baptême] il y a de Dieu en moi, et dans mon acte. Mon acte de foi pourra se prononcer par des lèvres humaines et au moyen de mots qui ont servi ; mais il est d’ordre et de valeur divine. [… Cet] acte de foi […] rend à Dieu plus de gloire que ne saurait lui en procurer toute la création matérielle, et avec elle, en dehors de l’ordre surnaturel, toute la création intelligente, les hommes et les anges réunis ; et ce, parce qu’il y a de Dieu en cet acte, parce qu’il y a en lui de Jésus-Christ. […] Il faut le redire : cet acte de foi si simple, si doux, que je puis multiplier à mon gré, tant la grâce de Dieu est toujours voisine et présente ; cet acte de foi trempé de charité rend plus de gloire à Dieu que ne sauraient lui en retirer tous les blasphèmes, toutes les rébellions humaines et angéliques3.

Alors oui, parcourrons avec joie et simplicité le chemin de notre vie. Avec ferveur, recommandons notre Patrie à Notre Dame qui, dans son assomption, est patronne principale de la France. Sous un tel patronage, il n’y a pas de place pour le désespoir. Au contraire, nous avons de très bonnes raisons de regarder le présent et l’avenir avec le regard paisible et enthousiaste de Dieu. De merveilleux signes sont là pour nous prouver que Dieu prend soin de nous et de toute l’Église. Entraînés derrière Marie, hâtons nous ensemble avec paix et allégresse vers l’objectif qui nous est fixé : la victoire sur le péché et la mort, et surtout la communion achevée avec Dieu qui est éternellement Père, Fils et Saint-Esprit.

Amen.

1Benoît xvi, Homélie du 15 août 2009.

2Benoît xvi, Homélie du 15 août 2009.

3Dom Delatte, Notes sur la vie spirituelle, p. 38s.

St Benoît 11 juillet 2024

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Solennité de Notre Bienheureux Père
Saint Benoît

Jeudi 11 juillet 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Nous connaissons bien l’Évangile que nous venons d’entendre, où Jésus promet le centuple à ceux qui laissent tout pour le suivre. De même, dans leur ensemble, les antiennes de cette fête nous sont bien familières.

Il y en a une cependant qui demeure discrète et moins connue, c’est la quatrième antienne des Laudes, que nous ne reprenons pas au cours de la journée. Et pourtant, cette antienne a du relief, elle qui nous présente si aimablement la physionomie de Notre Bienheureux Père :

« L’homme du Seigneur Benoît, nous dit-elle, avait un visage paisible, apaisant et agréable à regarder, en un mot un visage placide ; il était orné de mœurs angéliques, et la gloire lumineuse de Dieu s’était si bien développée à son endroit qu’ayant encore les pieds bien posés sur terre, il habitait déjà par l’âme dans le royaume des cieux. »

Oui, saint Benoît est connu comme un homme placide, comme un homme de paix : un homme en paix avec Dieu, un homme qui diffuse autour de lui la paix de Dieu.

La paix, nous dit saint Thomas d’Aquin, naît de la possession du bien que l’on aime1. Elle est cette tranquillité de l’âme en ordre, l’apaisement de toutes les tensions désordonnées héritées du péché. Elle est cette richesse que tout homme désire. Dans l’Ancien Testament, et de nos jours encore dans les cultures sémites, on se salue en se souhaitant la paix, shalom, la riche paix de Dieu. Lorsque Isaïe dit en effet : « Seigneur, vous nous assurez la paix » (Is 26, 12), ce n’est pas une simple absence de guerre, mais une abondance de vie reçue de Dieu, harmonie avec la nature généreuse, avec soi-même, avec Dieu.

La paix est ainsi « l’attitude que prend spontanément notre âme unie à Dieu dans la charité2 », selon Dom Delatte. La paix avec Dieu est un don de Dieu. Jésus est venu nous la donner. Il est le « Prince-de-paix » promis par Isaïe (9, 5) qui, pardonnant les péchés de la femme pécheresse, a pu l’encourager à aller « en paix » (Lc 7, 50). Au soir du Jeudi saint, le Seigneur nous a donné « sa paix » (Jn 14, 27). Il a rétabli la communion entre l’homme et Dieu dont il a conquis le pardon « en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 20).

Par sa grâce, nous apprenons à vivre selon la loi nouvelle de amour, et nous expérimentons la « Grande paix [promise] pour ceux qui aiment [sa] loi » (Ps 118165).

Et pourtant, saint Benoît demeurait dans les conditions d’ici-bas, et dans toute leur pesanteur. Lutte contre les tentations, rudesse de la nature, persécutions en tout genre… La paix du Seigneur qui l’habitait déconcerte les idées préconçues : elle s’enracine en-haut et demeure malgré les désagréments de notre condition que le Seigneur n’a pas voulu supprimer en nous sauvant. Jésus n’a-t-il pas dit : « Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien la division. » (Lc 12, 51) ? Cette division est à comprendre un peu comme la digue, la jetée d’un port : elle abrite du monde houleux un espace où règne en paix la grâce.

Saint Benoît a trouvé ce havre, et il présente un visage paisible, un visage apaisant.

Parce que de fait, la paix se diffuse. Il y a souvent un phare qui est au bout des digues, des jetées. L’épître a comparé notre Bienheureux Père à l’étoile du matin, à la lune en son plein, et même au soleil resplendissant. Dans nos nuits agitées, comme dans la pleine lumière des jours paisibles, il est la lumière qui guide et qui rassure.

Un phare, en soi, ce n’est pas très beau : un cylindre massif, peint avec des couleurs aux forts contrastes. Et pourtant, les hommes aiment à les contempler. Pourquoi ? Parce qu’ils devinent ou se rappellent l’angoisse du navigateur chahuté dans la nuit, ils prennent conscience du bienfait qu’apporte la lumière qui indique le port.

De même, saint Benoît, dans sa massive tranquillité, sans recherche d’esthétisme, témoigne qu’il existe dès ici-bas des lieux de paix où l’âme peut vivre dans l’amitié avec Dieu, dans la charité, quelles que soient ses infirmités.

« Beati pacifici : quoniam filii Dei vocabuntur. — Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Mt 5, 9). Demandons donc à la Vierge Marie de savoir nous mettre toujours mieux à l’école de notre Père, pour recevoir cette paix des enfants de Dieu. En Notre-Dame et saint Benoît, le monastère réalisera en petit ce que l’Église est en grand pour l’humanité entière : une jetée et un phare et un havre où Dieu nous offre son amitié.

Amen.

1Saint Thomas, Somme, IIa IIae, q. 29

2Commentaire, p. 12

St Pierre St Paul 2024

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Solennité de saint Pierre et saint Paul

Samedi 29 Juin 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

L’Église fête aujourd’hui avec ampleur les deux apôtres majeurs, saint Pierre et saint Paul, le premier Pape et l’annonciateur infatigable de la grâce divine. L’un et l’autre ont ressenti l’infirmité de notre nature. Ils ont aussi expérimenté la puissance de la grâce divine qui renouvelle les âmes. Par le témoignage de cette vie retrouvée, ils offrent à l’Église le fondement le plus stable.

Pourquoi peut-on dire que l’Église les fête avec ampleur ? C’est qu’il y a leur fête proprement dite, aujourd’hui, mais puisque saint Pierre y est plus explicitement célébré, le jour suivant est consacré spécialement à la mémoire de saint Paul. Et de plus nous nous y sommes préparés par une vigile.

L’oraison de cette vigile nous a fait justement contempler la stabilité du fondement apostolique, sur lequel s’élève l’Église :

Præsta, quǽsumus, omnípotens Deus : ut nullis nos permíttas perturbatiónibus cóncuti ; quos in apostólicæ confessiónis petra solidásti. — Dieu tout puissant, veuillez ne permettre que nous soyons ébranlés par aucun bouleversement, puisque vous nous avez scellés sur la pierre de la confession apostolique.

Quelle est cette confession apostolique sur laquelle nous sommes scellés ?

Confesser, c’est dire hautement une vérité à la face du monde. Dans l’Évangile, nous venons d’entendre saint Pierre confesser devant Jésus, au nom de tous : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Plus tard, après sa chute et son relèvement, il témoignera devant les nations. De même saint Paul.

Et leur témoignage ultime, c’est leur martyre. Pour sa foi dans le Christ, saint Pierre fut crucifié comme son maître, mais la tête vers le sol par humilité, et saint Paul eut la tête coupée, cette tête qui avait proclamé si fortement la gloire de Dieu.

Pierre, homme ardent mais si impressionnable, devient ainsi le rocher sur lequel Jésus peut fonder l’édifice de toute l’Église, l’Église de tous les peuples et de tous les âges. C’est immense ! Voilà l’assemblée innombrable des brebis qui ont pu être nourries grâce à l’amour fougueux de saint Pierre pour Jésus le Sauveur.

Jésus nous a promis de demeurer avec nous chaque jours jusqu’à la fin du monde. C’est lui fondamentalement, qui assure la stabilité de son Église. Il est présent dans le tabernacle. Il est présent dans nos cœurs : il est là, dans mon cœur et dans celui de mes frères. Jésus est aussi présent dans les événements, et il est présent dans la hiérarchie ecclésiastique.

Et nous devons toujours affermir ce regard de foi. Les vrais saints se reconnaissent à leur humble docilité à l’égard des successeurs des apôtres. Regardons toujours avec foi le Saint Père, et le collège des évêques en union avec Pierre. Regardons avec foi l’œuvre et la parole des humbles prêtres qui servent le troupeau.

Il y a trois jours, nous recevions notre évêque. Quand l’heure est venue, il nous a quittés sous le porche de notre église, et il est parti, seul sous le puissant soleil du début d’après-midi, enveloppé du chant des cigales. Il marchait seul sur notre vaste parvis désert, appelé silencieusement à servir d’autres diocésains qui l’attendaient. Mais il n’était pas abattu. Il nous avait manifesté quelques instants auparavant sa joie et sa paix dans le ministère épiscopal.

Un évêque a tant à porter. Il n’y parviendrait pas seul, sans le Christ pour le soutenir. Oui, c’est vraiment le Christ qui soutient et qui mène son Église. L’Évêque ne parvient à satisfaire joyeusement à son devoir que dans la mesure où il est tout à fait donné, consacré, offert à son ministère, et seulement s’il laisse Jésus agir à travers lui.

Tout homme, toute femme qui a reçu une mission de la part de Dieu, par le biais de l’Église, doit renoncer à rechercher la satisfaction de ses goûts propres. Et Dieu, dans sa surabondante bonté, donne tout de même à son serviteur un épanouissement et une fécondité qui réunissent trois bienfaits : la gloire de Dieu, le progrès de son Royaume, et la sanctification béatifiante de l’âme.

Saint Augustin souligne que si c’est à Pierre seul que Jésus s’adresse quand il lui donne les clés du royaume, et si c’est aussi à lui seul qu’il confie le soin de paître les brebis, pourtant ailleurs, le Seigneur confie à l’ensemble des disciples le pouvoir de remettre ou de maintenir les péchés, et il les envoie tous nourrir les hommes par l’annonce de la vérité. Si Jésus parle ainsi individuellement à saint Pierre, et enjoint en même temps les mêmes directives à toute son Église, c’est, dit saint Augustin, pour souligner que saint Pierre est le pivot de l’unité ecclésiale. En lui se rassemblent tous les charismes de l’Église1.

On peut deviner qu’après l’Ascension, la Vierge Marie s’est appliquée à suivre les indications de Pierre, et qu’elle a aidé les autres apôtres et saint Paul en particulier, à demeurer unis au premier des apôtres. Sous son manteau maternel, nous sommes assurés de vivre toujours de la vie ecclésiale.

Amen.

1Cf. Saint Augustin, Sermon 295, 1-2, 4, 7-8 : PL 38, 1348-1352.

Fête Dieu 2024

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Solennité de la Fête Dieu

Jeudi 30 mai 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

La liturgie de la Fête Dieu, de la Fête du Corpus Christi, nous invite à considérer les humbles espèces du pain et du vin. Nous regardons l’Hostie et le Calice avec un regard de foi, nous discernons le Corps et le Sang du Christ vivant, et pourtant, l’œil du corps ne voit rien.

La liturgie tout autour est fastueuse, et l’ostensoir fait la synthèse de ce déploiement d’éclat, mais au centre, nous ne voyons rien qu’un léger morceau de pain azyme. Au milieu de toutes ces choses qui rayonnent, il y a, sans fard, le mystère fondamental de notre foi. Et l’Église ne dissimule rien. Elle ne fait pas d’effets spéciaux. Le Christ est là, débordant de vie, mais sous l’apparence d’un pain sans apparence.

Mais alors, si l’on ne ressent rien, pourquoi Jésus a-t-il institué l’Eucharistie ? Quel est son effet ultime ?

Le but de l’Eucharistie est de nourrir nos âmes en les unissant à la vie glorieuse du Seigneur. Le rayonnement le plus réel de l’Eucharistie, ce n’est pas le soleil de l’ostensoir, mais l’âme qui rayonne d’une vie et d’une joie nouvelle. Quand nous regardons l’Hostie avec foi, elle est déjà pour nous une nourriture et nous commençons à rayonner. « Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage », dit le Psaume 33 (v. 6).

Déjà, « lorsque Moïse descendit de la montagne du Sinaï, ayant en mains les deux tables du Témoignage, il ne savait pas que son visage rayonnait de lumière depuis qu’il avait parlé avec le Seigneur » (Ex 34, 29). Et ce rayonnement plongeait les Hébreux dans une telle crainte que Moïse devait se voiler le visage.

Le Seigneur Dieu s’est incarné et depuis, nous pouvons tous le contempler sans intermédiaire. Saint Paul nous dit que cela nous donne une gloire bien supérieure à celle de Moïse : « Le ministère de la mort, celui de la Loi gravée en lettres sur des pierres, avait déjà une telle gloire que les fils d’Israël ne pouvaient pas fixer le visage de Moïse à cause de la gloire, pourtant passagère, qui rayonnait de son visage. Combien plus grande alors sera la gloire du ministère de l’Esprit ! » ( 2 Co 3, 7-8).

La Vierge Marie est celle qui a contemplé le Seigneur avec le plus d’intensité, dans tous ses mystères, aussi dans celui de l’Eucharistie. Notre Dame rayonne donc. Elle est le premier ostensoir qui reflète si bien la lumière de son Fils que saint Jean la décrit comme revêtue du soleil (Ap 12, 1).

Et nous sommes ses enfants. Nous ne rayonnons pour l’instant que d’une lueur modeste, celle d’une chandelle qu’on ne met pas sous le boisseau, mais « sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. » (Mt 5, 15-16). Notre regard de foi vers le Christ eucharistie nous donne une connaissance et une sagesse qui illumine notre vie quotidienne. L’Ecclésiaste nous dit combien cette sagesse donne aux choses et aux gens alentour leur vraie lumière : « Qui donc est comparable au sage ? Qui sait expliquer le sens des choses ? La sagesse d’un homme fait briller son visage ; la dureté du visage en est changée. » (Qo 8, 1). Et le prophète Daniel étend cette vérité jusqu’à l’éternité : « Ceux qui ont l’intelligence resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude brilleront comme les étoiles pour toujours et à jamais. » (Dn 12, 3).

Oui, dès aujourd’hui et jusque dans le royaume des cieux, nous sommes invités à être les ostensoirs du Christ. Jésus l’a dit en saint Matthieu : « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » (Mt 13, 43).

Dès lors, veillons à nous exposer à la lumière qui jaillit du visage du Seigneur dans l’eucharistie. Et redisons, pour nous et pour nos frères cette formule de bénédiction que le Seigneur a enseignée à Moïse : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » (Nb 6, 24-26).

Notre Dame a contemplé le Seigneur son Fils à tous les âges de sa vie, sauf lors de sa transfiguration. Heureusement, aujourd’hui au ciel, elle le contemple dans toute la gloire de son humanité transfigurée par son union à sa divinité. Qu’en ce jour où nous adorons particulièrement Jésus hostie, notre Mère reflète sur nos âmes un rayon de cette lumière.

Amen.