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Solennité de la Translation de saint BENOÎT,
samedi 11 juillet, Notre Dame de TRIORS.

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,
Pater venerabilis, saint Benoît est souvent appelé Père vénérable par son biographe, saint Grégoire le Grand : deux mots simples et denses qui nous en disent beaucoup sur lui. Pater : en tant que membres de l’Ordre qu’il a fondé, nous autres moines le nom-mons depuis, Notre Bienheureux Père saint Benoît, bien avant que Pie XII reconnaisse en 1947 de façon nettement plus élargie son influence en lui conférant le titre de Père de l’Europe. Comment comprendre cette paternité, sinon comme une immense fécondité, à la fois visible et spirituelle, monastique et sociale ? Ce n’est pourtant pas qu’il ait con-voité une quelconque renommée hypothéquant sur l’avenir monastique, et moins encore sur l’avenir européen. Son dessein précis, souligné par son biographe, fut très explicite-ment la recherche de Dieu seul, soli Deo placere cupiens – ne désirant plaire qu’à Dieu seul : sa recherche fut exclusive, absolue, farouche même et jalouse, comme l’attestent certains traits de sa vie. D’où lui est donc venue cette large et aimable fécondité de Père ? L’his-toire donne une partie de la réponse, le reste restant le secret de Dieu.
Peu après la désagrégation de l’Empire romain, les contemporains vivaient dans l’angoisse face à la dégradation endémique des ressorts de la société civile : cela n’arrive donc pas qu’avec l’épreuve du Covid. Son exemple silencieux devînt alors comme un cri muet, mais un cri perçant aussi qui a touché les âmes, les encourageant à ces gestes simples et patients qui recousent les déchirures sociales, les apaisant peu à peu en les orientant vers la Paternité inaltérable de notre Père des cieux.
Saint Grégoire lui attribue l’Esprit de tous les justes, à partir d’épisodes de sa vie faisant penser aux grandes figures de saints que contient l’Écriture. L’Esprit qui anima la vie morale de Benoît en héritier du passé de l’Histoire sainte, a envahi ensuite par lui les siècles suivants, jusqu’à ce que Charlemagne, bon an mal an, adapte largement sa Règle à tous les échelons de la société, depuis la vie simple des écoliers jusqu’à l’organisation générale de l’Empire qu’il rétablissait. La Renaissance carolingienne coïncida ainsi avec ce qu’on nomme de nos jours à juste titre les siècles bénédictins. Par la suite, les Ordres Mendiants, puis plus tard, d’autres courants religieux imprimèrent leur influence sur la société ; néanmoins, la douce emprise de la Règle laisse des traces qui justifient l’appella-tion de Pie XII, Père de l’Europe ; et saint Paul VI déclara ensuite en 1964 son Patronage sur cette partie de l’univers qui reçut l’Évangile avant de le diffuser partout. De nos jours, avec une légèreté coupable, on soupçonne ce fait européen qui est indéniable
Pater venerabilis. Car cette Paternité est dite en outre vénérable. L’étymologie du mot évoque un grand charme et un vif attrait, l’usage courant rajoutant au qualificatif une note de beau respect qui n’ôte rien à l’attrait. Benoît serait-il alors un Grand-Père en une version particulièrement réussie ? Non, une telle image ne lui convient pas plus qu’au Bon Dieu imaginé de façon puérile avec une grande barbe blanche. Il serait plus juste de dire que la séduction qu’inspire saint Benoît nous vient tout droit de Dieu lui-même, Paternité vénérable, qui doit être aimée et respectée. Car nulle paternité au monde n’a ressemblé à la Paternité divine comme celle de saint Benoît, selon la remarque avisée du 3ème abbé de Solesmes (Dom Delatte, Com. p. 2). Pater venerabilis, c’est dire l’aimable dimension patriarcale de la sainteté de Benoît. Notre Père des cieux nous l’a donné comme un cèdre à l’ombre duquel l’évangile triomphe silencieusement et souverainement. Aussi est-ce en tant que Père que le Patriarche de la vie monastique en Occident a donc été reconnu par la Mère Église comme Patron de l’Europe, avant que d’autres patronages soient reconnus en son sillage de premier de cordée. Ayant voulu n’appartenir qu’à Dieu, sa sainteté a rayonné profondément sur la société, donnant à notre vie chrétienne de quoi s’épanouir entièrement en nous et autour de nous.
Mgr Gay il y a un siècle et demi a rédigé une belle prière bien connue qui éclaire la fécondité rayonnante de saint Benoît tout en encourageant notre temps inquiet et imprudent en ses débats publics : Jésus, Vous êtes toujours un don universel. Si Vous prenez une âme, c’est un gain pour le monde entier. Où Vous commencez de régner, la paix commence de s’établir et la charité d’abonder. Vous êtes la délivrance, le bien-être, la fête du genre humain, et pour devenir bons et heureux, heureux de toute manière, nous n’aurions qu’à Vous recevoir, Vous qui ne demandez qu’à venir, Vous qui entrez par toute porte ouverte et frappez à toutes celles qu’on ne Vous ouvre pas. Mais cela qui est magnifique n’empêche pas les ombres du temps présent que l’auteur déplore ainsi pour le sien : Hélas ! Et l’on a peur de Vous, et l’on n’a peur que de Vous, et l’on Vous éconduit, et l’on Vous chasse ! On cherche la justice et on la réclame souvent à grands cris; on veut que les hommes soient assistés sinon aimés par les hommes ; et Vous qui êtes l’unique remède au mal d’où sort toute injustice, Vous qui êtes l’unique foyer des amours saints et généreux, source des vrais services, ils Vous excommunient de partout et ne souffrent même plus qu’on Vous nomme ! C’est un principe, dit-on, c’est un droit et une liberté, c’est le droit et la liberté même que de tout bâtir ici-bas sans Vous et hors de Vous, et de gouverner les hommes, abstraction faite de Vos doctrines. Quelle tristesse, quelle déchéance !
Tandis que notre pays délibère sur le retranchement de la paternité et même son absence, cherchant à ratifier le divorce total entre le plaisir conjugal et la fécondité, comme des enfants sûrs d’être exaucés en s’appuyant sur l’amour du Père des cieux pour notre époque, nous recourrons au Père vénérable qui a si efficacement protégé l’Europe chrétienne au long des siècles. Demandons-lui que notre temps retrouve en les goûtant bien le sens et la douceur rassurante de la paternité, y compris charnelle, car nos contemporains sont devenus des orphelins mal aimés, orphelins sans l’avoir choisi. À de jeunes époux, Pie XII disait : Être Père, c’est communiquer l’être, bien plus, c’est mettre dans cet être le mystérieux rayon de vie (19 mars 1941). Avec saint Benoît, mettons-nous à l’école de Jésus qui, dans le Saint-Esprit nous apprend à dire, Abba-Père, à la suite de Notre Dame, la Servante du Seigneur qui nous fait dire le Fiat à l’amour offert, amen.