La Vie Bénédictine
Saint Benoît
Saint Benoît est né en 480 d’une famille romaine chrétienne. Sa vie a été racontée par le pape saint Grégoire le Grand qui a vécu peu d’années après lui. Le jeune Benoît quitta le monde par crainte de se laisser entraîner par ses séductions et, par une vie d’austère pénitence, il s’éleva jusqu’à un fervent amour de Dieu ; le Seigneur le récompensa en lui donnant dès cette vie le don des miracles, ce qui le remplit de confusion, car cela le fit connaître malgré lui. Néanmoins de nombreux disciples furent ainsi attirés par son genre de vie : il fonda pour eux douze petits monastères dans la région de Subiaco. Lui-même s’établit plus tard au Mont-Cassin : c’est là qu’il écrivit sa Règle « remarquable de discrétion et riche d’enseignements », selon la remarque de saint Grégoire lui-même ; il y mourut en 547.
Saint Benoît a conduit jusqu’à la sainteté nombre de fils en les instruisant par sa Règle sur les chemins sûr de la vie spirituelle. Il enseigne en effet une manière authentique à suivre le Seigneur par la voie des vertus évangéliques : l’humilité, la douceur, la pureté, le renoncement, l’esprit de foi et d’action de grâces, le bon zèle dans la charité fraternelle et l’obéissance. Saint Benoît est ainsi devenu le Père des moines d’Occident. Pie XII l’a reconnu comme Père de l’Europe en 1947 ; Paul VI l’a établi Patron de l’Europe en 1964 : « C’est lui principalement et ses fils qui, avec la croix, le livre et la charrue, apporteront le progrès chrétien aux populations s’étendant de la Méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande aux plaines de Pologne » (24 octobre 1964) Par la suite, le 31 décembre 1980, saint Jean Paul II lui adjoignait comme co-patrons saints Cyrille et Méthode et le 1er octobre 1999, trois co-patronnes : sainte Édith Stein, sainte Brigitte de Suède et sainte Catherine de Sienne.
La famille bénédictine
« Écoute, ô mon Fils, les préceptes du Maître et incline l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’avertissement d’un Père plein de tendresse, et mets-le efficacement en pratique… ». Que nous apprennent ces premiers mots de la Sainte Règle ? Ils nous apprennent que le moine est fils et disciple donc membre d’une famille qui est en même temps une école du service du Seigneur. C’est ainsi que saint Benoît, dès la première phrase, s’adresse à l’âme qui désire chercher Dieu dans le monastère.
Le monastère est gouverné par le Père Abbé au temporel, comme surtout au spirituel : c’est lui, le père de famille, qui reçoit le candidat et l’introduit dans la famille dont tous les membres sont tenus de tendre à la même fin, l’union à Dieu, et cela par le même moyen, la pureté de cœur ; tous cherchent à réaliser la belle définition du moine : « Est moine celui qui dirige son regard vers Dieu seul, qui s’élance en désir vers Dieu seul, qui est attaché à Dieu seul, qui prend le parti de servir Dieu seul, et qui, en possession de la paix avec Dieu, devient encore cause de paix pour les autres. » (Saint Théodore Studite, VIII-IX s.)
Il est clair que pour parvenir lui-même à cette paix, le moine doit consentir de bon cœur à bien des renoncements, dans l’élan du désir de rencontrer Dieu, de l’aimer et de lui rendre gloire dès ici-bas, en attendant de le faire éternellement au ciel. Cette vocation de fils et d’« écolier » se résume à l’adage qui est traditionnellement appliqué à la vie bénédictine : « ora et labora ».
ora et labora
« Prie et travaille » : cette devise de la vie monastique est heureuse, elle avait déjà été indiquée du ciel à saint Antoine Le Grand. Le moine s’applique effectivement à ces deux emplois complémentaires : « les bénédictins, comme l’explique le cardinal Ratzinger, voulaient d’abord être simplement un espace pour la prière. Ce qui fut important dans leur démarche, c’est qu’ils ont réuni en un tout le travail manuel, la transformation de la terre en un jardin, et l’office divin. L’office divin a toujours la priorité. Il est de première importance parce que Dieu est le plus important. » (Cardinal Ratzinger, Voici quel est notre Dieu, p. 274 Plon – Mame 2001)
Le 12 septembre 2008 le pape Benoît XVI précisait dans son discours aux Bernardins la portée du terme « labora ». « Paul, comme rabbi, puis comme héraut de l’Évangile aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par le travail de ses mains. Le monachisme chrétien a accueilli cette tradition : le travail manuel en est un élément constitutif. Dans sa Regula, saint Benoît parle explicitement du travail (cf. chap. 48). Jésus, dans l’Évangile de Jean, défend son action le jour du shabbat : « Mon Père (…) est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » (5, 17)… Dieu Lui-même est le Créateur du monde, et la création n’est pas encore achevée. C’est ainsi que le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde. »
Pères et frères
Saint Benoît n’envisage nulle part dans la sainte Règle une finalité différente entre moines, cependant les deux composantes du monachisme « ora et labora » sont réalisées diversement selon les personnalités et les dons particuliers de chaque moine ; nous trouvons ainsi, dans une même communauté, deux modalités d’une même vocation à la sainteté monastique : celle des Pères de chœur et celle des moines convers ou « Frères ».
Les pères, ou moines de chœur, sont habituellement prêtres ou se préparent au sacerdoce ; leur mission est d’assumer intégralement la vie de prière liturgique du monastère que saint Benoît appelle « Opus Dei » , « Œuvre de Dieu ». Les heures de service qu’ils ne passent pas à l’église sont affectées à d’autres activités communes à la bonne marche d’une maison.
Les frères assument eux-aussi une part importante de l’Office Divin, mais leur emploi principal demeure le service de la communauté dans toutes les tâches petites ou grandes, domestiques et artisanales nécessaires à la vie du monastère : vie de service caché, vie de dévouement et d’humilité.
Cette distinction traditionnelle entre « père » et « frère » dans l’histoire monastique, a été confirmée par le Concile Vatican II qui reconnaît l’existence des religieux « qu’on appelle, dit-il, « convers », « coadjuteurs » ou d’autres noms » (Perfectæ Caritatis n°15).
Il y a donc dans le monastère, petite église dans la grande Église, un Père Abbé, des prêtres et des frères et enveloppant tout cela il y a l’ordre de la charité, l’ordre de la sainteté comme l’explique Pauline Martin à sa petite sœur et future sainte Thérèse : « Un jour, je témoignais à Pauline ma surprise de ce que le bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le ciel à tous les élus ; j’avais peur que tous ne fussent pas heureux. Alors elle m’envoya chercher le grand verre de papa et le mit à côté de mon petit dé ; puis, les remplissant d’eau tous deux, elle me demanda lequel paraissait le plus rempli. Je lui dis que je les voyais aussi pleins l’un que l’autre, et qu’il était impossible de leur verser plus d’eau qu’ils n’en pouvaient contenir. Ma petite Mère me fit alors comprendre qu’au ciel le dernier des élus n’envierait pas le bonheur du premier. » (Ms. A ch. 2)
Le CLOITRE (du latin claustrum ou claustra) désigne un lieu clos. A l’intérieur même de la clôture plus ou moins vaste du monastère, il est formé d’une galerie à colonnade entourant un jardin à ciel ouvert centré souvent sur une fontaine : c’est la clôture au cœur de la clôture. Son rôle architectural en fait l’artère vitale du monastère qui relie les principaux lieux conventuels : église, chapitre, réfectoire… Ces lieux sont dits lieux réguliers : le silence y est maintenu avec une rigueur plus particulière. Déambulatoire paisible, il forme un lieu de prière aisée et les moines aiment, en particulier y méditer le chapelet. Il est comme le Jardin clos et la Fontaine scellée du Cantique des cantiques, image de l’âme contemplative recueillie en elle-même, fermée à tous les bruits vains du monde et ouverte seulement au ciel, devenant alors source féconde de grâces pour le monde entier.
Une Journée Monastique
La cloche sonne le lever à 4h 45 chaque matin, et une demi-heure plus tard, commence le long office nocturne, composé des Matines ou Vigiles et des Laudes. Le nom des ces offices, qui forment la part principale de la louange monastique a varié au long des siècles. Office du petit matin ou du cœur de la nuit, il répond à l’injonction du Maître : Veillez et priez, car nul ne sait l’heure du retour du Seigneur. L’office des Laudes tire son nom des psaumes qui le terminent, les derniers du psautier qui sont répétés chaque jour, invitant à profusion à la louange : Laudate…
Après l’Angelus qui clôt l’office de Laudes, les prêtres disent leur messe dans la crypte et, habituellement, chacun des Frères y communie et prolonge son action de grâces. Le début de la journée est ainsi caractérisé par un aspect très recueilli et contemplatif. Après une brève étude et le petit-déjeuner a lieu l’office de Prime, qui s’achève au chapitre (chant du martyrologe qui indique la liste des saints du lendemain, petit office quotidien pour les défunts et lecture de la Règle). A la sortie de l’office de Prime, les frères convers commence leur journées laborieuse et les moines de chœur consacrent à la lecture de l’Ecriture et de ses commentaires une heure environ, avant la messe chantée précédée de l’office de Tierce, célébré à 10h.
La CRYPTE est au dessous de l’église. Elle rappelle l’histoire cachée des débuts du christianisme connus sous l’emblème facile à saisir des catacombes. Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu, dit St Paul (Col.3,3).
A l’issue de la messe, chantée toujours en latin et grégorien au milieu de la matinée, les moines de chœur vaquent à leur service respectif. L’un va à la reliure près de la bibliothèque, un autre fait le relevé des comptes de la veille. Des frères vaquent au jardin ou à la cuisine. La poterie commence à cette heure-là sa journée, mais il y a aussi une menuiserie, une cordonnerie et divers ateliers qui gouvernent par exemple l’électricité, le téléphone, l’informatique etc… Le rucher des abeilles est particulièrement développé à Triors : la région s’y prête bien. Il en va de même pour la culture des noyers. Un portier reste en permanence à l’entrée du monastère. En contraste avec ce ronronnement actif, les novices étudient en cellule en attendant la conférence que leur Père maître prépare. Les moines qui enseignent préparent leur cours entre la bibliothèque et leur cellule. Bref, l’abbaye ressemble alors à une vaste ruche monastique où chacun contribue à ce que tout fonctionne harmonieusement. Nul pourtant n’a le sentiment de faire de grandes choses, hormis le fait que ce soit l’obéissance qui le place ici ou là ; seul l’ensemble complet fait grande figure et cela ne manque pas d’impressionner les témoins, à l’insu de ceux qui ne font que leur besogne en pensant au Bon Dieu venu dans la chair faire de même à Nazareth dans sa vie cachée.
CHAPITRE (capitulum, en latin) : lieu où les moines se rassemblent pour entendre chaque jour la lecture d’un chapitre de la Règle de St Benoît. C’est de cet usage qu’est venu la division usuelle des ouvrages en chapitres. Le chapitre sert également aux rencontres conventuelles, lieu où l’abbé enseigne sa famille monastique.
L’office de Sexte (sixième heure du jour selon la façon de compter des anciens, notre moitié du jour, c’est à dire midi au soleil) marque la fin de la matinée. Il précède immédiatement le repas suivi d’un temps de récréation (3/4 d’heure environ) et de None, l’office du début de l’après-midi. Le temps qui suit ressemble à la matinée : chacun retourne à son service, et les novices eux-mêmes travaillent dehors. Cette portion plus active de la journée s’achève avec les Vêpres à 18h. En entrant dans la soirée en effet, l’activité se restreint ; les moines retrouvent le chemin de la cellule pour la lecture ou celui de l’église pour y faire oraison ou réciter le chapelet dans le cloître. Le dîner est régulièrement précédé par une conférence du Père Abbé. Le dernier office (Complies) est chanté à 20h30, office où tout s’apaise, tout est accompli. Le silence de la nuit prolonge, même dans le sommeil, l’union de l’âme avec Celui qui s’est incarné au milieu de la nuit, tandis que tout était en repos, selon ce que dit l’Ecriture.
PRIME, puis TIERCE, SEXTE et NONE sont les noms des offices désignés par l’heure à laquelle ils sont chantés. Cette désignation provient de l’usage romain de diviser le jour (et la nuit) en douze parties égales et donc variant d’une saison à l’autre : entre l’été et l’hiver ces heures sont plus ou moins longues ou courtes. Midi (au soleil) coïncide toujours avec Sexte, la sixième heure. Prime coïncide avec la première, Tierce est la troisième et None, la neuvième.