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150 ans du transitus de Dom Guéranger

Jeudi 30 janvier 2025

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

« Ave, Gratia plena — Je vous salue, réjouissez-vous, Comblée de la grâce ! »

Cette simple salutation, par laquelle l’Ange ouvre son entretien avec Marie, suffit à réjouir nos propres cœurs, car ces premières paroles révèlent dès le premier instant la perfection et la bonté de Notre Dame. L’Ange Gabriel se fait chantre. Il entonne la louange mariale que l’Église continuera avec onction quand elle redira, au fil de toutes les générations, combien la Vierge de Nazareth est bienheureuse.

Mais nous célébrons aujourd’hui le cent-cinquantième anniversaire du retour à Dieu de Dom Prosper Guéranger, restaurateur de notre Ordre en France après la Révolution. Pourquoi donc avoir choisi de célébrer cet anniversaire avec la messe votive de l’Immaculée Conception ? C’est, nous le savons, parce qu’il œuvra par un mémoire décisif à la définition du dogme, et que l’Immaculée est patronne de notre Abbaye mais aussi de la Congrégation. Avec cet Évangile, nous sommes d’ailleurs au cœur de la spiritualité de Dom Guéranger, homme de prière et d’attention au surnaturel, homme consacré à Dieu et dévoué au salut des âmes. Les récits de ses dernières heures en particulier soulignent la profondeur de son esprit de prière.

Après avoir dû s’aliter, « parfois la torpeur faisait place à une sorte de délire très doux, coupé par des versets de psaumes et des formules liturgiques inachevées1 », telle la prière In Spiritu humilitatis. Le 29 janvier, « le malade ouvrit les yeux et dit [aux moines assemblés] : “Vous n’admirez pas ? Mais vous n’admirez pas ?”. Sous une apparence d’inconscience, il contemplait quelque chose de mystérieux2. » Et lorsque la communauté récitait la prière des agonisants, « il demanda qu’on récitât près de lui le psaume cent deuxième, Benedic anima mea Domino, en suivit toutes les parties, souriant aux plus belles expressions du cantique sacré3. »

Dom Guéranger affectionnait en effet particulièrement ce Psaume 102e qui correspondait à la forme confiante et reconnaissante de son âme. Les deux premiers versets du Psaume nous rappellent son soin liturgique qui ne se lasse pas de bénir, et de la consécration de sa personne entière : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ! Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! »

« N’oublie aucun de ses bienfaits ! » La forte mémoire de Dom Guéranger et son sens chrétien de l’histoire n’oubliait pas les bienfaits de Dieu. Bienfaits répandus sur le peuple chrétien, mais aussi sur chacune des âmes.

Il chantait en particulier sa gratitude pour la merveille du pardon des péchés : « Aussi loin qu’est l’orient de l’occident, [Dieu] met loin de nous nos péchés. » Car Dieu « pardonne toutes tes offenses [ô mon âme] et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse. »

Ce mot de tendresse pourrait nous rendre méfiants nous que rebutent instinctivement les dévotions mièvres et les molles affections. Mais Dom Guéranger a su donner tout son sens à ce mot de tendresse. Il avait une tournure d’esprit virile. À preuve la force d’âme avec laquelle il a mené un net combat pour rétablir le missel romain. Et cependant, il vivait avec douceur dans la force et la tendresse de Dieu. Le Psaume 102 nous orffre la formule juste : « Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint [… et] comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! »

Dom Guéranger a goûté l’onction des textes sacrés, il a su inviter toute une armée de moines et de moniales, et avec eux tout le peuple de Dieu, à louer Dieu dans la liturgie. Il nous adresse les derniers mots du Psaume 102 : « Bénissez-le, armées du Seigneur, serviteurs qui exécutez ses désirs ! Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez-le, sur toute l’étendue de son empire ! Bénis le Seigneur, ô mon âme ! »

Aux derniers instants, son Prieur, Dom Couturier, lui récita à l’oreille une prière qu’il appréciait :

O Face adorable de mon Jésus, si miséricordieusement inclinée sur l’arbre de la Croix au jour de la Passion pour le salut du monde : aujourd’hui encore, par pitié, inclinez-vous vers votre serviteur ; laissez tomber sur lui un regard de compassion et recevez-le au baiser de paix4.

À ces mots, l’homme de Dieu s’éteignit.

Que la Vierge Marie et tous les serviteurs de Dieu nous conduisent tous ensemble à ce baiser de paix,

Amen.

1Vie par Dom Delatte.

2Vie par Dom Oury.

3Vie par Dom Delatte.

4M. Dupont, « le saint homme de Tours ».