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Solennité de l’ASCENSION du Seigneur,

Notre Dame de TRIORS, le jeudi 21 mai 2020.

À 12 ans, l’Enfant Jésus s’étonnait de l’inquiétude de Marie et de Joseph, avant les retrouvailles au Temple (Luc 2,49) : Pourquoi me cherchiez-vous ainsi ? Aujourd’hui, deux anges brillants posent une question analogue aux disciples : Quid admiramini – Pourquoi rester ainsi à regarder (Act.1,11). À 12 ans, Jésus répondit lui-même qu’il se devait d’être chez son Père, aux affaires de son Père. À l’Ascension, les ministres de blanc vêtus invitent les apôtres à regarder plus loin que les apparences. Tout est cohérent et uni dans le dessein du Sauveur.

De son côté, l’enlèvement d’Élie au ciel peut-il apporter un éclairage utile au mystère de ce jour ? Un char de feu et des chevaux de feu sépara Élie d’Élisée, et Élie monta au ciel dans un tourbillon (II Rois 2,11). Cinquante compagnons-prophètes partirent alors pour voir si le char ne l’avait pas laissé quelque part ; ils revinrent bredouilles, au bout de trois jours comme Marie et Joseph, bien sûr sans l’avoir trouvé (II Rois 2,12-18). Et S. Grégoire pointe la grande différence d’avec la fête de ce matin : Élie fut emporté au ciel sur un char, écrit-il, pour démontrer clairement que n’étant qu’un homme, il avait besoin d’un secours étranger. En revanche notre Rédempteur n’a eu besoin ni de char, ni d’anges pour monter au ciel : Créateur de toutes choses, il s’éleva par sa propre vertu au-dessus de tous les éléments.

L’Évangile de ce matin dit ensuite du Seigneur qu’il est assis à la droite de Dieu (Mc. 16,19). Étienne, le protomartyr, a vu ces cieux ouverts à la fin de son témoignage ardent, et, précise-t-il, le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu (Act 7,56). S. Grégoire en déduit de belles choses : C’est en tant que juge que, aujourd’hui, il est assis à la droite de Dieu. Mais pour porter secours à celui qui devait combattre pour lui, il se tient debout. Ainsi Étienne, au milieu du combat qu’il soutenait pour lui, voit debout Jésus-Christ venu l’aider. Mais S. Marc, lui, le montre assis à la droite de Dieu, parce qu’après la gloire de son ascension, il parait dans l’attitude de juge des hommes à la fin du monde.

On peut ainsi mieux mesurer ce que allons chanter dans le Credo : Ascendit in caelum, sedet à dexteram Patris – Il est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant. C’est là ce qu’a d’«admirable» ce mystère ; S. Augustin en est enchanté : Il n’est pas assis comme les hommes ont coutume de s’asseoir. S’asseoir a ici le même sens qu’habiter : Jésus-Christ habite à la droite de Dieu le Père, il est heureux et il habite au sein de la béatitude, qui est appelée la droite du Père ; car on n’y connaît que la droite, il n’y a plus alors de souffrance. La collecte du jour reprend justement l’image de l’habitation, car -et cela aussi est admirable dans le mystère du jour- elle nous concerne nous aussi. Nous y prions le Père par son Fils Jésus-Christ, Dieu né de Dieu, afin que nos âmes aussi habitent dans ces régions célestes, là où Il est entré – ipsi quoque mente in calestibus habitemus. À ce titre la vie contemplative est au cœur même de la vie de l’Église. Dans la sillage de l’oraison propre à la fête, et après bien d’autres saints, Ste Élisabeth de la Trinité parle du ciel de notre âme. Enfant, elle avait appris le sens de son prénom en hébreu, « maison de Dieu » ; cette révélation devînt le centre de sa spiritualité : l’habitation de Dieu, être une « demeure » de la Trinité pour vivre « à la louange de sa gloire».

Cette année, le confinement a coïncidé avec le Carême et le Temps pascal qui va vers sa fin. À cette occasion, le Père abbé Primat de l’Ordre vient d’écrire un peu longuement. Il y voit un ‘cadeau déguisé’ et une chance pour le charisme monastique, séparé de tous pour être tout à tous en l’Unique qui est dans les cieux. En effet en ce temps de crainte et d’inquiétude, écrit-il, il y a quelque chose qui est tranquillement à l’œuvre dans le cœur des croyants ; le Saint-Esprit en nous nous guide de manière si simple et bonne, si touchante et qui nous transforme. C’est une paix subtile et tranquille, humble et gracieuse, sage, noble et qui nous aide. Voilà la mystérieuse paix de Pâques que le Christ nous a laissée, à nous, ses disciples bénédictins.

Une étude sérieuse du Collège des Bernardins fait méditer sur le rôle des sacrements et des prêtres (Père Laurent Stalla-Bourdillon). Appelés «sacrements de la foi», précise cette étude, ils supposent que c’est dans la foi que se reçoit la grâce divine. Or, notre mentalité contemporaine a tendance à vouloir la réalité tout de suite, et non pas la réalité de la foi. Ainsi, on croit déjà réalisé et effectif en ce monde, ce qui est la promesse du monde qui vient. Ce que nous sommes vraiment devenus par les sacrements, nous le serons seulement (mais vraiment) dans le monde qui vient (et que nous ne voyons pas encore) ; en ce monde-ci, et nous devons encore le devenir, à travers la patience et la persévérance de la foi. C’est souligner le rôle irremplaçable et préjudiciel de l’espérance ouverte sur le ciel

Puis le Père abbé Primat reprend divers points de la doctrine monastique, insistant surtout sur le silence. Le confinement nous l’a imposé, puissions-nous le goûter maintenant de plein gré. Il y a encore quelques mois, dit-il, nos vies étaient happées par le rythme rapide de la société, aux dépens du temps consacré au silence et à la réflexion. Ces semaines ont réveillé en nous la conscience de son importance. Peut-être fûmes-nous au début mal à l’aise avec ce surcroît de silence en nos vies. Désormais puissent les moments de silence et de réflexion être reçus comme de précieux moments pour la communion avec Dieu, à travers la lectio divina, l’adoration ou la tranquillité de la présence divine vivante en nous.

Mais l’évangile de ce matin nous fait une objection : en effet la vie contemplative ne s’oppose-t-elle pas à la proclamation de l’évangile dont nous venons d’entendre le précepte (Mc. 16,15&20) ? S. Augustin se plaint que la prédication des Apôtres n’a pas encore atteint toute la terre. Il se répond à lui-même : Le commandement s’adresse à toute l’Église jusqu’à cette consommation des siècles à propos desquels il dit : «Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles». En lien avec la bénédiction dont parle S. Luc au terme de son évangile (25,50s), l’abbé Primat nous rassure, nous voyant au cœur de l’Église, enfermés ensemble autour de Marie dans un même lieu, vivant dans la prière, dans l’attente et dans la sainte anticipation de la main aimante et gracieuse de Dieu qui nous apporte la bénédiction anticipée de la guérison, du renouveau intérieur et de l’espérance pour l’avenir. Dans son Jésus de Nazareth, le dernier mot de Benoît XVI est pour cette bénédiction qui fixe en contemplation tout ce que fait la Mère Église : Dans la foi, écrit le Pape émérite, nous savons que Jésus en bénissant tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente de la joie chrétienne (JdN III, p. 330), cette joie même qu’annonçait Gabriel à Marie et répandue désormais à profusion, Gaude Maria Virgo, amen, alleluia.

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