ASCENSION du SEIGNEUR,

Jeudi 13 Mai 2021, Notre Dame de TRIORS.

 

Il y a juste quarante jours, le cierge pascal était installé solennellement dans l’église ; c’était la nuit de Pâques. Il vient d’être éteint après le chant de l’évangile proclamé par le diacre. Dans l’Exultet, il était comparé alors à la colonne lumineuse qui guida le peuple hébreu durant les quarante ans de sa marche au désert ; il nous a guidé nous aussi tout au long de ces quarante jours. Désormais, le voilà éteint, et ce geste introduit au mystère de ce jour, enchâssé en celui de Pâques, mystère d’absence soumis à un plus grand mystère, celui de la présence divine à nos côtés. Car la colonne de feu, c’est désormais notre foi qui nous éclaire plus que jamais.

Deux versets tirés du psautier donnent à S. Augustin l’occasion de pénétrer ce nouveau et profond mystère ; il le fait à sa grande façon, dépassant la nostalgie de voir tourner irrémédiablement la roue du cycle liturgique (S. Augustin, Serm. CCLXII). Il cite tout d’abord le psaume XVIIIème qui nous fait parvenir la rumeur du ciel accueillant le Seigneur : Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles, dont la voix soit inaudible. En effet, le son en rejaillit sur la terre toute entière, ses accents vont jusqu’au bout du monde (Ps 8,4s). Puissions-nous entendre cette belle rumeur de joie angélique à l’honneur de notre nature humaine, fière d’atteindre un tel sommet en Notre-Seigneur, Dieu qui s’est fait l’un des nôtres.

Puis, selon le saint docteur, le psaume XLVIème fait chorus avec cette symphonie : Élevez-vous, ô Dieu, au-dessus des cieux, Et que votre gloire couvre en même temps toute la terre (Ps 56,12). Ce verset, lui aussi, ne peut s’appliquer qu’à Jésus en ce jour d’Ascension : Il est en effet la seule personne divine qui soit descendue et qui conséquemment puisse s’élever pour remonter au sein de son Père, in sinu Patris. Et en même temps sa gloire couvre toute la terre, et S. Augustin voit en cela son Église catholique, c’est-à-dire répandue dans tout l’univers. L’Église devrait se définir ainsi comme le lieu de la joie glorieuse, joie spécifique de l’Ascension avec toutes ses conséquences. Mais dès lors, lui appartenir implique une vie morale sans cesse vraiment renouvelée.

En effet, la liberté de suivre dès ici-bas le Seigneur dans sa gloire requiert un combat spirituel bien avisé, afin de se dégager de ce qui entrave cette vie céleste à laquelle nous sommes appelés, et qui veut se frayer son chemin en nous. Lors de chaque messe, le prêtre encourage les fidèles à élever leur cœur, sursum corda : c’est une belle parole, mais une parole compromettante. L’heureuse collecte de la semaine passée l’a dit à sa façon, nous répétant de fixer nos cœurs là où sont les vraies joies, pour garder le cap inter mundanas varietates, parmi les vicissitudes du quotidien : ibi sint fixa corda ubi vera sunt gaudia (Col. IV° Dim après Pâques).

Au fond, le vrai débat de l’existence est affaire de cœur, d’ardeur et de pureté, alors que l’ambiance actuelle fait vivre dans une solitude glaciale, malsaine et égoïste. Sans vouloir accabler davantage notre société, pour l’heure en désarroi avec les nouveaux risques sanitaires, il faut remarquer qu’elle se contente trop souvent de faire de nous des enfants gâtés, gavés de choses vaines et inutiles, avant de dénoncer comme des chichis lorsque l’avenir n’est plus maîtrisé. Vraiment la dignité humaine vaut mieux que ces petits plaisirs ambigüs, à ras d’une terre bourbeuse, qu’on impose à notre jeunesse. Sursum corda pourrait être alors la devise la mieux avisée pour notre temps.

Expliquant le mystère de ce jour, Dom Guéranger écrit avec ferveur : Tout ce qui nous rapproche de Jésus nous est bon ; tout ce qui nous en éloigne est mauvais et funeste. Le mystère de l’Ascension est le dernier éclair que Dieu fait luire à nos regards pour nous montrer la voie. Si notre cœur aspire à retrouver Jésus, c’est qu’il vit de la vraie vie ; mais s’il est concentré dans les choses créées, en sorte qu’il ne ressente plus l’attraction du céleste aimant qui est Jésus, c’est qu’il serait mort. L’apôtre Jude dans sa petite épître dénonçait déjà l’impiété qui travestit en débauche la grâce de notre Dieu et la renie (v. 4). Ne croyons pas que l’impiété soit une nouveauté, la version qui se déroule sous nos yeux, impressionne par son caractère universel en apparence, ‘mondialiste’ dit-on maintenant. Elle s’oppose au rayonnement catholique de la pensée divine par l’Église comme le soulignait S. Augustin (Serm. CCLXII), mais c’était le cas déjà au temps des apôtres, en celui de S. Augustin, comme aujourd’hui.

Dom Guéranger poursuivait : Levons donc les yeux comme les disciples, et suivons en désir celui qui monte aujourd’hui et qui va nous préparer une place. En haut les cœurs !… Puis, il évoque la puissance rétroactive du cierge pascal pour attiser la piété : Sois donc béni, ô Cierge de la Pâque, colonne lumineuse, qui nous as réjouis quarante jours par ta flamme joyeuse et brillante. Tu nous parlais de Jésus, notre flambeau dans la nuit de ce monde; maintenant ta lumière éteinte nous avertit qu’ici-bas on ne voit plus Jésus, et que pour le voir désormais, il faut s’élever au ciel. Symbole chéri que la main maternelle de la sainte Église avait créé pour parler à nos cœurs en attirant nos regards, nous te faisons nos adieux ; mais nous conservons le souvenir des saintes émotions que ta vue nous fit ressentir dans tout le cours de cet heureux Temps pascal que tu fus chargé de nous annoncer.

Le cierge pascal échappe en ce jour à notre regard comme l’humanité de Jésus échappa naguère à celui des apôtres ; mais glorifiée in sinu Patris, elle les a confiés alors à sa Mère, celle qui avait déjà été son ciel neuf mois durant, in sinu Matris, comme un noviciat, un coup d’essai de la fête d’aujourd’hui. Le cierge pascal échappe à notre regard pour que celui de notre foi se fixe davantage in sinu Verbi. La foi dans le mystère de ce jour nous fait en effet anticiper l’habitation dans les régions célestes, ose dire la prière de ce jour, in caelestibus habitemus. Oui, la foi est un toucher, la foi est une présence qui nous a donné en Marie le Magnificat. Un instant, elle-même a ouvert visiblement les cieux à Fatima un 13 mai ; l’Église se veut toujours désormais avec elle, in sinu Verbi, amen.