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Solennité de l’Ascension du Seigneur

Jeudi 26 Mai 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

 

Après avoir parlé à ses disciples, le Seigneur est enlevé au ciel et s’assied à la droite de Dieu. Et les apôtres, joyeux, s’en vont prêcher en tout lieu. La destinée du Seigneur et celle de ses disciples semblent désormais séparées. Le Seigneur nous aurait-il tout simplement abandonnés ? Est-il descendu sur terre accomplir ainsi des œuvres merveilleuses et s’éclipser un jour ?

L’Évangile nous rassure : avec les apôtres en prédication, le Seigneur œuvre toujours et confirme leur parole par des miracles. Il demeure auprès de nous sur terre, dans l’invisible. Mais ce n’est pas tout. Ce n’est pas seulement sur terre que se poursuit, dans la réalité de la foi, la communion de l’Église et de son Seigneur. Le deuxième Alléluia de la Messe chante aussi que, montant dans les hauteurs, le Seigneur emmène avec lui, captive, la captivité : captivam duxit captivitatem. Si l’on prend au concret le terme captivitas, le verset de l’Alléluia signifie en toute rigueur : « Il a emmené de force les hommes captifs ». C’est une expression bien vigoureuse !

Ce verset est tiré du Psaume 67e qui chante une victoire militaire d’Israël. Le Peuple de Dieu était faible, mais Dieu est intervenu. C’est la victoire même de Dieu, et elle se célèbre à la façon antique des généraux vainqueurs qui défilaient triomphalement à la tête de leurs troupes, enrichis du butin prélevé sur les vaincus, et précédés de leurs captifs enchaînés.

L’expression « Ascendens in altum, captivam duxit captivitatem — Montant dans les hauteurs, il a emmené de force les hommes captifs » nous vient de la Vetus itala, qui hérite du Psautier des LXX.

Saint Paul, écrivant aux Éphésiens, cite aussi ce verset du Psaume 67e selon les LXX pour donner une « image du Christ vainqueur emmenant avec lui les âmes auprès de Dieu au jour de son Ascension1. » Une fois victorieux, il distribue comme il lui plaît son butin pour faire de l’Église un corps unique dans sa diversité.

Dans la Vulgate, le deuxième Psautier de saint Jérôme, appelé Gallican, est ici plus proche de l’Hébreu et nous y chantons : Ascendisti in altum, cepisti captivitatem, ce que les récentes Bibles en français rendent nettement par : « Les chars de Dieu sont des milliers de myriades ; au milieu, le Seigneur ; au sanctuaire, le Sinaï. Tu es monté sur la hauteur, capturant des captifs, recevant un tribut, même de rebelles. » (Ps 67, 18 et 19).

Quoi qu’il en soit, l’expression demeure étrange. Elle choque même, puisque nous sommes accoutumés à voir le Seigneur se présenter comme un libérateur. Il a constamment redit qu’il n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Où se trouve donc cette liberté, si vraiment le Seigneur ne nous mène que par contrainte ?

C’est alors qu’il faut se souvenir que l’Ancien comme le Nouveau Testament ne transmettent au fond qu’un unique message : Dieu veut nous affranchir de l’esclavage des idoles et nous ramener à lui, source de vie. Quand le Psaume chante le peuple des captifs emportés de force par le Seigneur, cela rappelle les retours des captivités d’Égypte et de Babylone. La force du Seigneur est reconnue alors comme une libération, et cela malgré nos volontés rebelles dans leurs illusions puisque le séjour chez les païens a faussé nos jugements. Au fond, nous voulons cette force divine, qui apporte ce qui nous manque pour sortir de nos ornières.

Rappelons-nous bien cela, lorsqu’il nous semble que les lois de Dieu sont contraignantes : en réalité, le Seigneur est venu nous libérer de la servitude du péché. Et faisons chacun un examen personnel de l’ornière d’où nous aimerions que le Seigneur nous sorte aujourd’hui.

Une part de l’humanité languissait aux limbes avant la venue du Messie : ces justes pour qui l’accès au Royaume du Père n’était pas ouvert. Adam et tous les saints de l’Ancienne Alliance attendaient leur libérateur dans une joie progressive. Leur nombre croissait et l’on voyait arriver des porteurs de bonnes nouvelles de plus en plus précises. Le charpentier Joseph de Nazareth se présente et annonce la naissance, sous l’ombre de l’Esprit, d’un Sauveur pour Israël ; Jean le Baptiste, peu après, vient témoigner qu’il arrive enfin, l’Agneau de Dieu qui enlève l’obstacle qui interdit l’accès au royaume. Lors de sa Pâque, Jésus brise ces portes et emmène avec lui ces âmes bien-aimées. Ce « superbe trophée que le vainqueur entraîne après lui [sont ainsi d’abord] ces heureux captifs qu’il a délivrés de la prison des limbes » souligne Dom Guéranger dans son Année Liturgique.

L’autre part de l’humanité libérée, c’est notre assemblée à nous tous qui vivons dès aujourd’hui en communion avec le Seigneur. Selon l’expression de saint Grégoire le Grand, « le décret qui nous condamnait a été aujourd’hui abrogé, et abolie la sentence qui nous vouait à la corruption. […] Oui, montant sur les hauteurs, [le Seigneur Jésus] a emmené en captivité notre nature captive, puisqu’il a détruit notre corruption par la puissance de son incorruptibilité2. » Dès lors, nous nous réjouissons d’appartenir au butin de ce Roi victorieux. Nous appartenons à son cortège, nous sommes heureux d’accueillir ses ordres qui sont source de vie :

Les êtres intelligents, dit Dom Delatte, se sont rangés en deux camps : ceux qui obéissent, et ceux qui n’obéissent pas ; et la lutte des deux armées est sans trêve. Chacune a son roi ; et qui prétend se soustraire à l’obéissance passe de fait sous la tyrannie d’un autre. Dieu pour dieu : j’aime mieux le mien3 !

Aimons donc notre Roi et, libérés de nos péchés et de nos vices, pénétrons après lui et avec lui dans le sanctuaire trinitaire. Cette sainte captivité ne va pas sans une profonde appartenance à Marie, car Notre Dame est le Saint des Saints, le Temple où Dieu est venu nouer son alliance avec les hommes. Notre vie demeure à l’intérieur de ce sanctuaire de vraie liberté.

Amen.

1Dom Delatte, Les Épîtres de saint Paul, t. 2, p. 117

2Saint Grégoire, Homélie 29 sur l’Évangile.

3Dom Delatte, Commentaire de la Règle, p. 5.