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Assomption de Notre Dame,

dimanche 15 août 2021, Notre Dame de Triors.

 

Avant la gloire, il y a l’humilité, lit-on au livre des Proverbes (18,12). L’évangile vient de se faire l’écho de cette vérité, associant le Magnificat à la gloire de Notre-Dame montant au ciel : Magnificat, quia respexit humilitatem. Dieu a vu son humilité, il fait monter les humbles (Luc 1, 48 & 52). Marie monte glorieuse au ciel, car Dieu se complaît en son humilité, sa création atteint là son but : Et Yahvé vit que c’était vraiment très bon, tout à fait excellent, Lui qui est pure Bonté. Oui, le Bon Dieu est vraiment content, d’un contentement d’un autre ordre que nos petits plaisirs.

En revanche, le contraste saute aux yeux avec l’actualité d’ici-bas si pleine d’épreuves humiliantes. La terre doit-elle donc se résigner à être orpheline, séparée de Marie qui est au ciel, notre temps est-il condamné à demeurer prisonnier en ses déboires et angoisses ? À cette question déprimante, la liturgie de ce matin apporte sa réponse, simple et forte : Marie dénoue nos imbroglios, mais non pas sans nous. Désemparés comme nous le sommes, regardons et crions vers Elle, Elle nous apprendra ou ré-apprendra à voir les choses du point de vue décisif du Bon Dieu, pour éviter de les gérer de mal en pis. Dieu alors regardera l’humilité, issue de l’humiliation offerte et dépassée, ne soyons pas revêches à la vertu, jouons le jeu.

L’évangile qui vient d’être proclamé en offre un bel exemple : Élisabeth, celle qu’on appelait la stérile ouvre son cœur et sa joie à l’Immaculée pleine de grâces (Luc 1,35 & 28). La virginité féconde glorifiée veut visiter aussi nos efforts stériles pour les vaincre. La stérilité de la vieille cousine fut dénouée, non par des moyens humains honnêtes dont elle avait sans doute déjà usé, mais par la seule Mainmise divine qui, de son côté, glorifie Marie en magnifiant son humilité.

À l’origine le Créateur nous a donné le précepte de dominer la création pour en user et la faire progresser (Cf. Gen. 1,28). Voulu par Dieu, le progrès dû à l’homme dans la création ne fut pourtant pas sans risque ; l’histoire est jalonnée d’échecs et de reprises en main. Le progrès humain va donc cahin caha. C’est que le progrès n’est pas linéaire et horizontal, la croissance ordonnée concernant notre rapport au choses matérielles implique un essor moral concomitant, un effort de verticalité.

De fait, on ne peut échapper à cette évidence que notre maîtrise concernant la vie et à la mort est gravement perturbée. La vie : grâce à un authentique progrès médical, la mortalité infantile a disparu pour le bien de l’humanité ; la mort, soins palliatifs et maîtrise de la douleur donnent de quoi l’aborder dans l’abandon et la confiance, ces suprêmes dignités de la créature face à son Créateur. La mainmise humaine sur notre existence a donc réellement progressé. Mais voilà des décennies pourtant que l’avortement et l’euthanasie larvée témoignent dans le sens inverse du progrès : l’humanité régresse vers une infâme barbarie, chacun le sent bien.

Au risque de ne pas être compris, S. Jean-Paul II a dénoncé en son temps cette contradiction flagrante (à Sienne, 14 septembre 1980), même si le regard superficiel, de façon tenace, veut l’ignorer. Au lendemain de la guerre, Pie XII avait déjà mis en garde contre l’aspect totalitaire de l’emprise technique lors des reconstructions, dans la hâte du retour de la dolce vita d’avant guerre (Noël 1953). Mais il revenait sans doute au Pape François d’insister à ce sujet, haut et fort, dans l’encyclique Laudato Si sur l’écologie : l’écologie morale est de loin désormais la plus urgente, bien plus urgente que le climat ou la pandémie.

Cela vaut la peine d’être bons et honnêtes, écrit-il avec une pointe d’ironie contre ceux qui refusent de voir la gravité de l’enjeu. Depuis trop longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. L’heure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi, ose-t-il écrire (L.S. 229). Le Prophète Aggée dénonçait l’inanité des efforts de ses contemporains agités : Vous semez beaucoup et vous récoltez bien peu (1,6). Les succès tapageurs se révèlent vite éphémères, cachant mal la stérilité morale profonde de notre temps : celui-ci a un urgent besoin de nouer contact avec la gloire de la virginité féconde.

Notre Saint-Père dénonce implacablement la détérioration éthique et culturelle, qui accompagne la détérioration écologique. Le monde post-moderne court le risque permanent de devenir profondément individualiste, et beaucoup de problèmes sociaux sont liés à la vision égoïste actuelle axée sur l’immédiateté (L.S. 162 ; Cf. 4, 136, 210). Oui les temps sont durs, pourris disent certains. Un livre tonique va sortir : L’aubaine d’être né en ce temps ou l’Amour au temps du Corona (F. Hadjadj, Éd. Emmanuel) ; oui, il y a mieux à faire que de bouder et nous lamenter. Aujourd’hui comme hier, Notre-Dame veut visiter de nouvelles Élisabeth prêtes à la recevoir pour recevoir le message de l’Assomption : Magnificat, car Dieu a vu son humilité, il élève l’humble Marie et tous les humbles avec (Cf. Luc 1, 48 & 52). Salve Regina, amen.