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Solennité de l’Assomption
de la Bienheureuse Vierge Marie
Jubilé des 60 ans de profession de Dom Géraud de la Brosse
Mardi 15 Août 2023
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.
Mes bien chers frères et sœurs,
Mes très chers fils, et vous spécialement qui célébrez les soixante ans de votre profession monastique,
Nous fêtons aujourd’hui avec grande dévotion le jour où le Seigneur Jésus est venu chercher sa Mère qui est aussi la nôtre, le jour de la glorification de la Vierge Marie. Nous avons chanté qu’un grand signe, Signum magnum, est apparu dans le Ciel : une femme revêtue de lumière, la lune sous les pieds et couronnée de douze étoiles, a été introduite dans la gloire céleste : Ad coelestem gloriam assumpta.
Et malgré ces éclats éblouissants, la Vierge Marie incarne toujours à nos yeux la valeur de la petitesse. Le Graduel a souligné en effet que la gloire de cette fille de Roi demeure tout intérieure ; Notre Dame semble ignorer sa dignité cachée. Il a presque fallu que sainte Élisabeth lui dise : « Vous êtes bénie, vous, la Mère de mon Seigneur et de mon Dieu ; et le Fruit de vos entrailles est béni ». Dans son humilité, la jeune Marie répond que Dieu a simplement regardé l’humilité de sa servante. Oui, c’est cette humilité qui a engagé le Seigneur à accomplir en elle de grandes choses. C’est là l’œuvre propre de la Miséricorde de Dieu qui se répand désormais sur toutes les générations qui l’attirent et l’accueillent par l’humilité. L’humble « procession du quinze Août » que nous accomplirons ce soir après les Vêpres sera en ce sens un appel aux secours divins pour notre pauvre pays.
Ce contraste entre le don de Dieu et la petitesse de notre condition humaine nous invite à méditer un peu sur le prix des vies marquées par la souffrance de la vieillesse ou de la maladie. Un certain nombre de nos contemporains estime qu’il est inutile, voire cruel, de prolonger la vie des personnes qui souffrent en leur procurant tous les soins que l’on peut raisonnablement leur fournir. Sous un masque de philanthropie, l’égoïste mentalité athée veut imposer l’euthanasie, ce mot affreux qui déchire nos oreilles et nos cœurs.
Mais pour aller directement au cœur du mystère de ces personnes souffrantes, apprenons, comme dit le Cardinal Sarah, à « regarder chaque malade à la manière dont Dieu le Père a regardé le Christ sur la Croix1 ». En 1996, le cardinal Ratzinger soulignait en effet que :
La lumière de Dieu repose sur les personnes souffrantes, dans lesquelles la splendeur de la création s’est extérieurement obscurcie ; elles sont d’une manière très particulière semblables au Christ crucifié. […] Aussi grande que soit leur souffrance, aussi défigurés et ternis [que] soient [ces malades] en leur existence humaine — ils seront toujours les fils privilégiés de Notre Seigneur, ils en seront toujours l’image, d’une manière particulière. […] Nous aimons en tous les humains, mais surtout chez les êtres souffrants, chez les handicapés mentaux, ce qu’ils seront et ce qu’ils sont déjà en réalité, dès maintenant. Dès maintenant, ils sont fils de Dieu — à l’image du Christ2.
La valeur profonde de leur vie est l’amour avec lequel ils peuvent accueillir l’épreuve, la souffrance, la vieillesse. Comme ils sont beaux, ces foyers où l’épreuve soudaine est acceptée avec abandon, comme ils sont beaux, ces foyers où la souffrance est portée dans la longueur des années, dans la solitude ou dans la générosité d’une famille unie.
Dieu se félicite de ces grandes âmes identifiées à son Fils ; et il semble parfois leur envoyer régulièrement des surcroîts d’épreuve, chacun accueilli dans un surcroît d’amour. Le futur Pape Benoît xvi avait ces mots : « Ici, Jésus révèle l’essentiel de l’humanité, ce qui en est le véritable accomplissement : non l’intelligence, ni la beauté, encore moins, la richesse ou le plaisir, mais la capacité d’aimer et de consentir amoureusement à la volonté du Père, aussi déconcertant cela soit-il. »
L’Église aime ces hommes et ces femmes, non pour ce qu’elles seront quand elles auront été accueillies au ciel, mais pour ce qu’elles sont déjà :
Images du Christ que nous devons honorer, respecter, aider dans la mesure du possible, très certainement, mais surtout, images du Christ porteuses d’un message essentiel sur la vérité de l’homme. Un message que nous avons trop tendance à oublier : notre valeur devant Dieu ne dépend ni de l’intelligence, ni de la stabilité de notre caractère, ni de la santé qui nous permettent d’exercer de multiples activités généreuses. Ces caractéristiques peuvent disparaître d’un moment à l’autre. Notre valeur devant Dieu ne dépend que du choix que nous faisons d’aimer le plus possible — d’aimer le plus possible en vérité.
Que Notre Dame obtienne donc la conversion de la France. Le pays qui lui est consacré doit renoncer aux voies de morts qui l’hypnotisent. Abréger une vie innocente sera toujours un péché grave.
Si chacun de nous a une dignité inaliénable, chacun a aussi un chemin propre pour atteindre la pleine communion avec Dieu, dans l’Église du Ciel. La profession jubilaire de ce matin pose un jalon de plus sur la route qui mène les générations à la sainteté. Et sur cette route, Notre Dame nous conduit : depuis l’humilité la plus profonde jusqu’aux gloires célestes où la simplicité demeure, la Vierge Marie nous montre le chemin.
Amen.
1Cardinal Sarah, Il nous a tant donné, p. 60-62.
2Ici et pour les citations suivantes : Cardinal Ratzinger, Conférence lors de la XIe Conférence internationale organisée par le Conseil pontifical pour la pastorale des Services de la Santé, 1996 (cité par le Cardinal Sarah, Il nous a tant donné, p. 60-62).