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Dimanche 1er avril 2018, Notre Dame de Triors,

Solennité de la Résurrection du Seigneur.

 

 

Mes bien chers Frères, mes Très chers Fils,

Mors et vita duello. Depuis Caïn et Abel, depuis le Patriarche Joseph vendu par ses frères et rendu par Pharaon maître de toute l’Égypte, depuis Jonas englouti par le monstre et rejeté sur le rivage, mort et vie sont en duel. Mais il y a maintenant plus que Jonas (Luc 11,32) ; le duel atteint ici la victoire décisive. La mort rode encore autour du Saint Sépulcre, mais la vie triomphe quand Jésus en sort vivant par sa propre puissance. Depuis elle ne cesse de triompher pour qui veut bien regarder avec l’œil de la foi, victorieuse du monde (I Jn. 5,4). Les femmes ne venaient pas encore la célébrer : leurs aromates achetées au tout petit matin devaient embaumer un mort. Leur inquiétude se focalisait sur la pierre du sépulcre : qui pourra les aider à l’ôter (Mc. 16,1s) ? Leur cœur était fermé, leurs yeux appesantis, dit S. Bède, elles ne pouvaient voir encore la gloire de ce tombeau ouvert.

Mors et vira duello. Mieux informée que les saintes femmes de ce tout petit matin, la Sainte Église chante à plein cœur la foi pascale. Juste avant la proclamation de l’évangile, elle le fit avec la séquence Victimae paschali laudes, développement grégorien plein de piété, datant d’un millénaire et provenant du Nord de la France et la Rhénanie avant d’aborder la liturgie romaine. Mors et vita duello la mort et la vie se sont affrontées dans un duel gigantesque : le Prince de la vie, bien qu’ayant été mort, règne vivant. C’est un écho fidèle de la foi antique, étincelante et joyeuse : Ô mort, où est ton aiguillon, s’interrogeait S. Jean Chrysostome au IVème s. Enfer, où est ta victoire (I Cor. 15,55) ? Le Christ est ressuscité et tu as été terrassée ; le Christ est ressuscité et les démons sont tombés ; le Christ est ressuscité et les anges sont dans la joie ; le Christ est ressuscité et voici que règne la vie (dans la liturgie melkite). Regnat vivus.

Pourtant la mort qui rodait autour du Saint Sépulcre, continue de roder encore un peu partout. L’histoire est jonchée de cadavres comme d’autant d’Abel, elle menace au surplus notre vie morale, entravant la victoire pascale. La résurrection finale rendra évidente pour tous la victoire de la vie sur la mort, par Jésus ressuscité, l’unique Sauveur de l’humanité. Mais pour l’heure, elle est encore l’objet de la foi pascale qui chante avec Marie-Madeleine : Nous savons désormais que le Christ est vraiment ressuscité des morts. Et cela change nos vies.

Avec la seconde guerre mondiale, puis depuis les dernières décennies, la mort rode autour de nous. Notre société, acculée au mur de l’angoisse, cherche une fenêtre pour voir l’avenir que Dieu lui prépare, alors que, contradictoirement, peu à peu l’homme veut créer seul son avenir. Mais l’avenir, n’est-ce pas que chacun se réconcilie avec l’enfant à naître, avec son conjoint et avec ses propres enfants, avec la personne âgée que l’on trouve bien encombrante, comme avec les membres de sa famille ? Chacun doit se réconcilier avec son propre corps à respecter, avec son prochain, avec la nature et ses lois qui ne pardonnent pas quand on les enfreint. La liste pourrait s’allonger de ce qui agresse la personne, la famille et l’écologie. En un mot, on a à choisir la vie et non la mort, à aimer le bien et fuir le mal, comme le dit le Psaume (Ps. 33,15). Mors et vita duello.

L’actuel débat sur la bioéthique a fait dire à l’un de ses promoteurs qu’il ne savait pas ce que sont le bien et le mal : Nous avons tous des doutes, écrivait-il. À quoi le nouvel archevêque de Paris a répondu qu’il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour faire la différence entre le bien et le mal (La Croix, 27 mars). Il s’agit de la simple réalité, du bon sens sans lequel la tyrannie a beau jeu. La bioéthique est née à la fin des années 70. Au lendemain de la guerre, les procès de Nuremberg voulaient mettre fin à la chosification de l’être humain qui a tristement caractérisé l’idéologie totalitaire. Malgré cela, des dérives ont continué, symptôme d’une science sans conscience, par souci mercantile, pire, par négation de l’image de Dieu dans l’homme (La Recherche, n. 260, déc. 1993). Un eugénisme larvé tente notre temps, l’amour humain est horriblement et égoïstement rétréci au plaisir fugace, l’euthanasie rappelle l’horrible solution finale à peine maquillée, le transhumanisme nous livre à une caricature de la nature humaine et de sa liberté. Ces dérives graves créent une hiérarchie monstrueuse de personnes à dignité réduite. Voilà où mène le refus de la foi pascale, et cela, ce ne sont pas de pieux aromates : mépris de la vie et abandon à la mort.

Devant un parterre de scientifiques, la sainte femme pascale qu’est Mère Teresa voyait dans l’avortement la transgression emblématique et le lieu crucial de ce duel entre mort et vie qui perdure : Le plus grand destructeur de la paix, aujourd’hui, est le crime commis contre l’innocent enfant à naître. Si une mère peut tuer son propre enfant, dans son propre sein, qu’est-ce qui nous empêche, à vous et à moi, de nous entre-tuer les uns les autres ? (12 décembre 1979).

Nous devons à S. Jean Paul II une analyse vraiment prophétique de ce cancer social. Ève sollicita Adam dans la chute originelle, mais ici l’homme le plus souvent sollicite le drame de l’avortement en fuyant sa responsabilité. Le saint pape dénonce la part du père de l’enfant non né ; la famille aveuglée se profane, écrit-il, dans sa nature de communauté d’amour et dans sa vocation à être sanctuaire de la vie (Ev. Vitae n.59). La maternité est alors crucifiée. Puisse le Ressuscité aider la femme à refuser les sollicitations perverses qui la blessent à l’intime, qu’elles viennent de la famille ou même du milieu médical. Le saint Pape suppliait les législateurs et les instances internationales de cesser d’avilir ainsi le climat social. Ceux qui devraient être les constructeurs et les défenseurs de la société ont contribué au contraire à instaurer cette mentalité de permissivité sexuelle honteuse et de mépris de la maternité.

Mors et vita duello. Chacun est invité à réagir avec foi et simplicité dans le cadre de sa vie, avec la grâce de Dieu qui ne manque jamais à qui lui fait confiance. Arnaud Beltrame vient de faire son devoir, tous admirent cet héroïsme tout simple. Le pape François nous encourage : Il n’y a pas beaucoup de personnes qui luttent pour la vie. S’il vous plaît, prions pour que notre peuple soit plus conscient de la défense de la vie, en ce moment de destruction et de mise au rebut de l’humanité (Angelus du 4 février 2018). Le combat pour la vie est assumé par Jésus sortant du tombeau, vainqueur des ténèbres de la mort. Il est ressuscité, oui il est vraiment ressuscité. Il demeure avec nous, nous donnant de nous réjouir avec sa Sainte Mère, fidèle jusqu’au bout, Regina caeli laetare, amen, alleluia.