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Solennité de la Fête Dieu

Jeudi 16 Juin 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

 

À chaque célébration de la sainte Messe, le Seigneur Jésus vient vraiment, il se rend présent sur l’autel. Bientôt, lorsqu’il sera exposé dans l’ostensoir, nous pourrons lui offrir notre adoration et notre louange.

La séquence que nous avons chantée avant l’Évangile a été composée par Saint Thomas d’Aquin. Dès les premiers mots, elle nous a invités à acclamer, à louer notre Dieu et notre Pasteur, celui qui nous crée et qui nous nourrit : « Lauda Sion Salvatorem… — Sion, acclame ton Sauveur, acclame ton Guide et ton Sauveur, par des hymnes et des cantiques ! ». Ces mots semblent bien enthousiastes pour nos cœurs qui sont peut-être un peu mornes et abattus devant tant et tant de difficultés à l’heure actuelle.

Mais la liturgie n’est pas naïve et elle persiste à exhorter Sion, Jérusalem, l’Église, à louer son Seigneur présent sur l’autel. Il y a quelques 140 ans déjà, à l’époque des premières expulsions des communautés religieuses, le climat politique était morose. Pourtant, Mère Cécile Bruyère, première Abbesse de Sainte Cécile de Solesmes, encourageait ses moniales à la louange, et à chanter sans restriction les versets du Psaume 147 : « Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion. » (Ps. 147, 12). Oui, l’Église a toujours de bonnes raisons d’acclamer son Dieu. Madame l’Abbesse s’en explique :

Voyez comme ses enfants [… acclament Sion, la grande épouse de Notre Seigneur] et en même temps la pressent d’entonner un cantique de triomphe. […] « Jérusalem, chante le Seigneur. Sion, chante ton Dieu ». Quelle est cette Sion ? Cette Jérusalem ? C’est la sainte Église catholique, apostolique et romaine et tous les enfants de Dieu invitent leur très auguste, très noble Reine à chanter au Seigneur.

Les temps où nous vivons [, poursuivait la Mère Abbesse,] ne semblent pas [… nous inviter à] une acclamation si joyeuse ; et ne vaudrait-il pas mieux convoquer l’Église à d’autres accents [et chantonner avec mélancolie cet autre Psaume] : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions » (Ps. 136, 1). Mais non, ce n’est pas la pensée de l’Église aujourd’hui. Nous ne sommes pas exilés, nous sommes dans la cité, nous sommes les enfants du dedans, et nous avons le droit de crier à notre Mère : « Lauda Jerusalem — Chante, Jérusalem ». Nous sommes peut-être les derniers qui verront la victoire de l’Église sur la terre ; il faut donc nous montrer satisfaits, joyeux comme des gens qui savent que la victoire est à eux.

Chaque année il est plus à propos pour l’Église de chanter ce psaume [et pour nous aujourd’hui cette séquence], car qu’est-ce que la marche de l’Église catholique, apostolique, romaine à travers le temps ? D’années en années ce sont des victoires, son existence même est une victoire. Depuis son début on cherche à l’écraser, on cherche à l’anéantir, et d’années en années, elle est sur le sol inébranlable, inattaquable et toujours la même ; chaque année compte une nouvelle victoire et elle chante ce psaume avec plus d’énergie car il est plus applicable à l’année présente qu’à celle qui précède. Revenons un peu en arrière : que de générations ont espéré anéantir l’Église, et croyaient chanter le triomphe final ! Mais l’Église peut encore entonner ce psaume « Lauda Jerusalem », et certainement l’an prochain nous le chanterons aussi. Les révolutions, les décrets se succèdent sans interruption, mais ils ne peuvent rien, ils se ruent sur la pierre et ils ne peuvent l’écraser ; nous avons donc le droit de chanter « Lauda Jerusalem » avec triomphe et avec action de grâces1.

Louons, donc. Et quelle mesure à notre louange ? Saint Thomas nous le dit : « Tant que vous le pouvez, osez louer, vous ne risquez pas d’en faire trop, parce que vous serez de toute façon dépassés par l’objet de votre louange ».

Notre louange du Dieu-Eucharistie n’est cependant pas vaine. Dieu attend que nous lui rendions grâce. C’est notre bien de nous reconnaître bénéficiaires de ses dons. L’Eucharistie, sémantiquement, c’est l’action de grâce. Et s’il nous est arrivé de participer à des messes d’une manière trop désinvolte, le cycle liturgique nous offre aujourd’hui l’occasion de réparer nos négligences par une louange très largement déployée.

Réjouissons-nous de participer dès ici bas au banquet qui nous nourrira éternellement. L’Agneau divin, qui sera notre lumière et notre vie pour toujours dans le Royaume de son Père, se donne aujourd’hui, ici même, pour nous soutenir sur le chemin. La vie éternelle est déjà commencée. Chaque communion est pour nous une participation à la vie du Christ, à sa mort et à sa résurrection. Chaque communion nous fait entrer dans le corps mystique du Christ. Nous sommes revêtus de sa beauté spirituelle. Alors vivons en cohérence avec ce que nous recevons, avec ce que nous devenons. Et que notre joie s’exprime sans contrainte dans une louange éternelle.

La sainte Vierge elle-même, mère de l’Église et Sion de la Nouvelle Alliance, est le maître de chœur de notre louange ecclésiale. Elle donne le ton et le rythme, elle inspire nos paroles et baigne notre joie de sa pureté virginale, faite d’humilité et de dévouement.

Lauda Sion, Salvatorem !

Amen.

1Mère Cécile Bruyère, Conférences sur la Dédicace, 12 octobre 1880.