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Solennité de la Dédicace, jeudi 12 octobre 2017.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Zachée vaut mieux que le sycomore, mais Zachée a besoin du sycomore pour se hisser et être à même de pouvoir voir Jésus. L’édifice du culte vaut moins que les pierres vivantes, à savoir les âmes des fidèles, même si ceux-ci ont besoin de la beauté visible du temple pour désirer et voir la Beauté qui ferme les lèvres (Angèle de F.). Notre sanctuaire, si beau soit-il, vaut moins que la vie monastique que nous voulons y mener, aussi humblement et aussi fidèlement que nous le donne la grâce de Dieu. Se mettre au diapason de la beauté liturgique n’a d’autre but que de glorifier Dieu lui-même et, arrachés à la vieillerie du péché, d’ennoblir à son contact nos âmes rachetées dans le Sang de Jésus. Le Temple chrétien est l’écrin qui souligne le trésor de la grâce qui fait vivre nos âmes. Domum tuam decet sanctitudo, la sainteté est l’apanage de la maison de Dieu, et la maison de Zachée, domum tuam, devient sa Maison.

Le saint Curé d’Ars prêchant sur cet évangile de Zachée voit effectivement dans nos églises un autre ciel où Jésus-Christ daigne habiter parmi nous autres, pauvres pécheurs. Aussi faut-il faire effort pour respecter l’église, sa demeure : dissipation, conversations banales et mondaines, cela y outrage le Bon Dieu : à l’église on loue Dieu, au prétoire on parle aux hommes, les palabres du fond de la nef sous prétexte d’amabilité ne sont pas de mise. Nos Constitutions n’y tolèrent que de brèves remarques concernant la propreté du saint lieu. Seuls le silence et le chant y ont donc leur place, la mélodie sacrée étant d’ailleurs tirée du silence pour y ramener, enrichi par sa trace de piété. Le silence permet à l’indicible de se muer en chant, écrivait le futur Benoît XVI, il appelle à l’aide les voix du cosmos, pour que le non-dit devienne audible (Un chant nouveau pour le S.).

Dans son livre « la force du silence », le Cardinal Sarah évoque les dernières notes du Salve Regina de la Grande Chartreuse, venant mourir une à une dans un silence filial (n°247). Peu avant la parution de ce livre, le Cardinal guinéen rendit public un bel exposé sur le silence à l’église (Os. Rom., 30 janvier 2016), articulant son propos selon quatre axes : le silence comme valeur ascétique chrétienne, le silence comme condition de la prière contemplative, le silence prévu par les normes liturgiques, le silence enfin qui se confond avec la liturgie. Mais bien sûr, tout ici se tient, orienté vers ce dernier point. Il faut donc commencer par se taire, faisant effort pour se tenir tranquille à l’église : L’ascèse en effet, écrit le Cardinal, voilà le moyen indispensable qui nous aide à enlever de notre vie tout ce qui l’alourdit, c’est-à-dire ce qui entrave notre vie spirituelle ou intérieure, et donc ce qui constitue un obstacle à la prière. La joyeuse conversion de Zachée nous encourage ici  : il change sa vie sans tergiverser quand il s’agit d’accueillir chez lui le Seigneur ; il prend les grands moyens pour l’accueillir dans la demeure de son cœur, faisant taire d’un seul coup toutes ses anciennes préoccupations plus ou moins louches. Pour nous autres aussi, puissions-nous donner un coup d’arrêt aux pensées tumultueuses qui jasent en nous. Le silence intérieur, souligne le Cardinal, peut être constitué par l’absence de souvenirs, de projets, de paroles intérieures, de soucis. Plus important encore, grâce à un acte de la volonté, il peut résulter de l’absence d’affections désordonnées, ou de désirs excessifs.

Cela vaut pour notre temps comme pour celui de Zachée. Siècle après siècle, les Pères de l’Église ont souligné de la même façon la nécessité d’une bonne préparation avant d’accéder dans le sanctuaire et dans notre intérieur. Le Cal Sarah dans son article cite S. Ambroise, S. Augustin et S. Grégoire le Grand ; il renvoie également au chapitre VI de notre Règle bénédictine consacrée à cette réserve qui empêche de se répandre à tout propos pour des riens. L’esprit de la liturgie requiert ce beau et joyeux sérieux face à Dieu et à ses mystères.

Le saint Curé d’Ars, pour en revenir à lui, donnait l’exemple quand il était à l’église. À Ars, il y tenait compagnie au Seigneur de longues heures durant, en silence devant le tabernacle. La statue célèbre de Cabuchet le montre si ardent et modeste à la fois. Voyez combien cela fait plaisir à Jésus-Christ, disait-il lui-même, il est rapporté qu’un saint prêtre couchait toutes les nuits sur le marchepied de l’autel, afin d’être plus près de Jésus-Christ. Le bon Dieu permit qu’il y mourût ; il fut enterré dans le même endroit. Un autre couchait à la sacristie pour la même raison. Lorsque saint Louis était en voyage, dit ailleurs le curé d’Ars, au lieu de passer la nuit dans un lit, il la passait dans une église : si on lui disait qu’il ne pourrait pas y tenir, il répondait qu’il se trouvait mieux que quand il la passait dans son lit, tant il goûtait de consolations en la compagnie d’un si bon Maître.

La Mère de Dieu est toujours devant Dieu, en son sanctuaire trinitaire. La liturgie l’associe à l’antique Sion accueillant l’Arche sainte de l’Ancienne Alliance : Tressaille d’une joie immense, fille de Sion ! Pousse des cris d’allégresse, fille de Jérusalem ! Voici que ton Roi vient à toi (Zach. 9,9). Marie devance l’Église et la presse d’accueillir avec une joie indicible son Époux et son Cœur Eucharistique, adorant par Lui Dieu devenu son salut, exultavit spiritus meus, in Deo salutari meo, amen.