+
Solennité de l’Immaculée Conception
8 Décembre 2022
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.
Mes bien chers frères et sœurs,
Mes très chers fils,
« Par un seul homme, [Adam,] le péché est entré dans le monde, et […] par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. » (Rm 5, 12) Par ces paroles, saint Paul énonce la contagion universelle du péché originel. Le péché originel est un fait, et tout homme le contracte avec la vie. Nous en constatons chaque jour les tristes suites.
Pourtant, l’Église fête aujourd’hui la préservation de la Vierge Marie, immunisée dès sa conception de toute contagion du mal. Il y a eu « dérogation consentie par Dieu lui-même à une loi générale qu’il a posée, et que la Révélation nous intime dans les termes les plus absolus1 » par la voix de saint Paul.
Alors qu’il n’était que séminariste, l’abbé Prosper Guéranger a vécu une conversion intérieure radicale. Il a appris à joindre en tout domaine à sèche la rationalité l’onction de Dieu bien plus enveloppante. Il nous le raconte ainsi :
La très miséricordieuse et très compatissante reine Marie Mère de Dieu vint à mon aide d’une manière aussi triomphante qu’inattendue. Le 8 décembre 1823, je faisais le matin ma méditation avec la communauté, et j’avais abordé mon sujet (le mystère du jour) avec mes vues rationalistes comme à l’ordinaire ; mais voici qu’insensiblement je me sens entraîné à croire Marie immaculée dans sa conception ; la spéculation et le sentiment s’unissent sans effort sur ce mystère, j’éprouve une joie douce dans mon acquiescement ; aucun transport, mais une douce paix avec une conviction sincère. Marie avait daigné me transformer de ses mains bénies, sans secousse, sans enthousiasme : c’était une nature qui disparaissait pour faire place à une autre. Je n’en dis rien à personne, d’autant que j’étais loin encore de sentir toute la portée qu’avait pour moi une telle révélation. J’en fus ému sans doute alors ; mais je le suis bien autrement aujourd’hui que je comprends toute l’étendue de la faveur que la très sainte Vierge daigna me faire ce jour-là2.
Il conserva pour le restant de sa vie cette douceur intérieure qui ne se contente pas d’enchaîner froidement les arguments théologiques.
En 1849, le Pape Pie ix avait invité les évêques à réfléchir sur la doctrine de l’Immaculée Conception. Dom Guéranger rédigea un Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception qui parvenait à cette conclusion : « L’Immaculée Conception de Marie est une vérité révélée par Dieu ». Le 8 Décembre 1854, ces mots furent textuellement repris par le bienheureux Pie ix, dans la bulle Ineffabiblis Deus qui définissait solennellement ce dogme.
Si l’Écriture et la Théologie ne suffisent pas à montrer que l’Immaculée Conception est révélée par Dieu, Dom Guéranger nous rappelle que la Parole de Dieu ne nous parvient pas uniquement par ce qui est contenu dans les Livres Saints, mais aussi par la grande Tradition « de qui nous avons reçu l’Écriture elle-même, et qui seule nous en donne la clé3 ». Selon le premier Abbé de Solesmes, la Tradition « n’est autre chose que l’Église elle-même croyant et professant telle et telle doctrine4 ».
Au xiie siècle l’Église de Lyon avait enrichi son calendrier d’une fête de l’Immaculée. En Angleterre, cette fête avait commencé dès la fin du xie siècle, sous l’impulsion de saint Anselme. Et Dom Guéranger s’applique à citer, pour chacun des siècles précédents, textes et mentions liturgiques. Paul Diacre, par exemple, moine au Mont Cassin au viiie siècle, écrivait à propos d’Adam :
Ayant aspiré les poisons du serpent ennemi, le père des humains tomba dans la mort ; le virus qui l’avait atteint a infecté sa race tout entière et l’a frappée d’une plaie profonde. Mais le Créateur, ému de compassion et contemplant du haut du ciel le sein de la Vierge, exempt de cette souillure, veut s’en servir pour donner au monde languissant sous le poids du péché, les joies du salut5.
Dom Guéranger cite aussi saint Ambroise qui s’offre à Dieu par les mains de la « Vierge sans souillure, une Vierge exempte, par grâce, de toute tâche de péché6. » Et le Père Abbé de Solesmes remonte même à la plus haute antiquité, d’où nous parvient une lettre sur le martyre de saint André, où l’apôtre proclame que, « le premier homme ayant […] été créé de la terre encore immaculée, il fallait que d’une Vierge immaculée naquît l’homme parfait7 ».
Ainsi, la conception immaculée de Marie a été révélée par Dieu : « la connaissance de ce fait, les Apôtres l’ont reçue de la bouche de leur maître, l’Esprit Saint l’a scellée dans leur mémoire ; l’Église l’a reçue des Apôtres ; elle l’a gardée en elle-même comme un germe divin qui devait croître et se développer en son temps8. » Cette exemption ne contrevient pas au dogme catholique exprimé par saint Paul ; elle apporte au contraire une lumière nouvelle sur la doctrine du péché originel.
Alors que le diable se glorifiait de posséder l’humanité entière sous sa coupe, Marie, par dérogation divine en prévision des mérites de Jésus, a été préservée de cette tache originelle. Elle est, par elle-même, la victoire de l’humilité sur l’orgueil de Satan. Elle est la toute petite et la toute victorieuse. Toute pure, elle a conservé pour nous dans son Cœur immaculé tout ce qui concerne son Fils. Par son Immaculée Conception, Marie demeure le réservoir incorruptible où nous puisons notre foi.
Elle nous aime comme une mère. Nous sommes aimés de Notre Dame. Réjouissons-nous : nous sommes chacun aimés de la Vierge Immaculée !
Amen.
1Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.
2Dom Guéranger, Autobiographie, édition privée, p. 17.
3Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.
4Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.
5Cité par Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.
6Saint Ambroise, Sermo xxii, in Psal. 118, no 30, cité par Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.
7Cité par Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.
8Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception, no 6.