+
Cène du Seigneur
Jeudi Saint 6 Avril 2023
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.
Mes bien chers frères et sœurs,
Mes très chers fils,
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du repas, […] Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture (Jn 13, 1-4).
Jésus sait qu’il est Dieu, Fils de Dieu le Père, tourné vers son Père dans l’élan de l’Esprit Saint. Il sait que, même descendu parmi les hommes, il est revêtu de la gloire divine et qu’il retourne avec assurance vers son Père. Et cependant, ce soir, il retire son manteau, et il se met à genoux devant ses disciples, devant nous. Ce n’était pas assez pour lui d’avoir revêtu l’humanité, et d’avoir été tout enveloppé des humbles langes enfantines. Ce n’était pas assez d’avoir ensuite porté les rudes habits des charpentiers et d’avoir usé ses semelles sur notre terre. Non, ce n’était pas assez.
Jésus retire son manteau, ce manteau qui lui donnait la prestance d’un rabbi. Jésus, pendant ce repas où il se donne aussi en nourriture et en boisson, s’en dépouille et revêt l’habit de service. En nouant un tablier à sa ceinture, il montre qu’il s’est fait notre esclave… Ce n’est pas une simple mise en scène, c’est l’expression de la vérité. La Vierge Marie, la « Servante du Seigneur », est là, et elle regarde son fils. Elle le reconnaît bien dans ce geste. Jésus se met à genoux devant sa créature. Il a voulu se mettre à genoux devant nous pour nous chercher au plus bas de notre petitesse. Il se met à genoux pour servir, pour supplier. Il mendie notre obéissance, notre docilité, notre amour. Adorons cette humilité du Seigneur et laissons-nous percer le cœur par un tel dévouement. Laissons-nous aimer, sans demander de raisons. Sainte Élisabeth de la Trinité, cette chère carmélite de Dijon qui a passé 26 ans sur cette terre, a écrit un profond billet à sa Mère Prieure fin 1906, peu avant de monter retrouver son Seigneur.
Vous êtes étrangement aimée, aimée de cet amour de préférence que le Maître ici-bas eut pour quelques-uns et qui les emporta si loin. […] Écoutez ce qu’Il vous dit ; « Laisse-toi aimer plus que ceux-ci, c’est-à-dire sans craindre qu’aucun obstacle n’y soit obstacle » […] Mère, la fidélité que le Maître vous demande, c’est de vous tenir en société avec l’Amour, c’est de vous écouler, de vous enraciner en cet Amour qui veut marquer votre âme du sceau de sa puissance, de sa grandeur. Vous ne serez jamais banale, si vous êtes éveillée en l’amour ! Mais aux heures où vous ne sentirez que l’écrasement, la lassitude, vous Lui plairez encore si vous êtes fidèle à croire qu’Il opère encore, qu’Il vous aime quand même, et plus même : parce que son amour est libre et que c’est ainsi qu’Il veut se magnifier en vous ; et vous vous laisserez aimer plus que ceux-ci1.
Jésus, dans son abaissement et son humilité, a lavé nos pieds. Il a ainsi anticipé le grand mystère du lendemain, le mystère de l’abaissement dans la Passion, où il nettoiera nos âmes en les plongeant dans son Sang rédempteur. Le lavement des pieds est, comme la sainte Eucharistie, l’anticipation de la Croix. C’est d’ailleurs pour cela que, quelques instants après, Jésus dira dans sa prière à son Père : « Je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jn 17, 4). L’œuvre est accomplie, achevée. Après la Cène Jésus considère déjà qu’il a accompli l’œuvre que son Père lui a donné à faire : il nous a aimés et il nous a sauvés dans son humilité.
Dans cet acte d’humilité, Jésus nous donne un exemple. Il le dit explicitement : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. [… ] Heureux êtes-vous, si vous le faites. » (Jn 13, 14-17).
Jésus souhaite donc que nous nous lavions les pieds les uns aux autres. Il nous est aisé de nous mettre aux pieds ceux que nous aimons, pour leur rendre quelque service. Une maman, un papa aime se pencher au pied de son enfant pour lui nouer les chaussures, pour laver une petite blessure. Nous sommes heureux aussi de rendre quelques services pénibles aux personnes pour lesquelles nous éprouvons de l’affection. Mais essayons de le faire aussi pour ceux qui nous sont moins aimables, pour ceux-là même qui nous sont désagréables. Faisons-leur du bien, discrètement… Et l’Évangile se répandra dans les cœurs : dans le nôtre d’abord et puis dans le cœur de ceux qui reçoivent ce geste.
La Servante du Seigneur, la Vierge Marie, a contemplé l’attitude de son Fils, et son cœur a vibré de fierté. Elle a exulté en présence d’un amour si dévoué. Qu’elle nous enseigne à imiter son Fils du fond du cœur.
Amen.
1Sainte Élisabeth de la Trinité, Lettre à sa prieure, Octobre 1906