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Solennité de la Nativité du Seigneur
Samedi 25 Décembre 2021
Mes bien chers frères, mes très chers fils,
« Puer natus est nobis, et filius datus est nobis — Un enfant nous est né, et un fils nous a été donné ». C’est par ces mots et sur une douce mélodie que s’ouvre la Messe du jour de Noël. L’Église, la famille des fidèles, chante la joie d’une naissance. La liturgie met sur nos lèvres et dans notre cœur les mots et les sentiments qui conviennent. Si la Mère Église ne nous dictait pas ces paroles si simples, si paisibles et si joyeuses, aurions-nous eu aujourd’hui l’inventivité et l’audace de les proférer ? La question est étonnante, n’est-ce pas ? Oui, demandons le nous, sans la suggestion de l’Esprit-Saint, nous serions-nous réjouis de cette naissance ?
D’où vient la joie ? La joie naît de la possession d’un objet aimé. Et pour nous autres, les hommes, petites créatures limitées, la joie est en proportion de l’attente. Et donc pour pouvoir nous réjouir profondément de la naissance d’aujourd’hui, il faut que nous l’ayons ardemment désirée.
Mais notre infirmité en ce domaine, c’est que nous sommes blasés, nous sommes repus par les biens de la terre. C’est ce que les Anciens appelaient l’acédie.
Et pourtant, elle est lancinante, la conscience que nous avons besoin d’autre chose que ces conforts matériels pour atteindre le bonheur. Même, nous sentons que ce bonheur est accessible malgré toutes les difficultés.
Mais ces aiguillons vers une vie plus dégagée et libre, ne nous empêchent pas de nous laisser facilement engluer… Une grande partie des occidentaux ne souffrent plus du froid, ni de la faim, ni même, grâce aux nouvelles technologies, des distances physiques. Et certains poussent même la folie jusqu’à se promettre d’éliminer la mort… Nous n’avons plus rien à désirer, semble-t-il. Et nous perdons même le désir fondamental : le désir du salut. La civilisation post-chrétienne, en même temps qu’elle gave les corps par les biens de consommation, anesthésie les âmes quant au péché. L’un après l’autre, les commandements divins, inscrits dans la nature humaine et redits par la Révélation, sont tournés en dérision. Nous ne nous reconnaissons plus pécheurs devant Dieu. Nous ne ressentons plus le besoin d’un salut donné par notre Dieu. Et c’est pour cela, semble-t-il, que la joie chantée dans l’Introït ne nous touche plus. Nous ne sommes plus des hommes de grands désirs. Enfin si, le grand désir de Dieu est toujours là, au fond de l’âme, mais prêtons-nous l’oreille ?
Par liturgie de l’Avent, l’Esprit-Saint a enseigné à prier à son Église, il nous a appris à crier : « Viens ! Viens, Seigneur Jésus ! » Il nous a débarrassé de nos entraves. Et nous sommes enfin en mesure d’entendre les grands textes théologiques de cette Messe, les premiers versets de l’Épître aux Hébreux et ceux de l’Évangile de saint Jean, qui nous redisent chacun à sa façon quel moyen Dieu emploie pour nous donner ce salut dont nous avons si profondément besoin : le Fils de Dieu, qui se fait homme !
Avez-vous remarqué que ces lectures, qui veulent introduire la figure de Jésus dans notre histoire, nous parlent d’abord de la naissance éternelle du Verbe. Et ce Verbe éternel a connu cette nuit une nouvelle naissance, il est né de la Vierge Marie. Cette naissance n’a qu’un but, celui de nous libérer de la vieille servitude sous le joug du péché. La collecte le dit très manifestement : « Unigeniti tui nova per carnem Nativitas — La nouvelle naissance selon la chair de votre Fils unique » nous rend la vie. Elle nous fait renaître à notre tour. Comme lui, nous naissons une deuxième fois, comme le dira plus tard le Seigneur à Nicodème. Deux naissances, chez lui et chez nous, pour rétablir une communion.
Cela est si important que la Secrète et la Postcommunion redisent la même chose. Il n’y a pas de motif plus profond à notre joie d’aujourd’hui et de tous les jours ! La Secrète demande que cette nouvelle nativité du Fils de Dieu purifie les taches de nos péchés, et la Postcommunion que la naissance du Sauveur du monde nous donne l’immortalité avec la génération divine.
Voilà pourquoi nous pouvons avoir cette profonde joie lors de la naissance du Christ. Voici celui qui nous fait naître à la vie divine, qui rétablit notre communion avec Dieu. Le Christ, l’Oint de Dieu. Il est imprégné par l’Esprit-Saint. L’huile imprègne la pierre qu’elle oint. Il y a un contact complet. Le Christ est l’Oint, celui qui est en contact absolu avec Dieu, et il est venu pour une seule chose, rétablir l’union, le contact des hommes avec Dieu. Saint Irénée a dit : « Unxit Pater, unctus est Filius, in Spiritu qui est unctio — Le Père oint, le Fils est oint, dans l’Esprit qui est l’onction ». On pourrait ajouter : « Nos quoque christiani, in Christo uncti sumus, et Maria prima uncta — Et nous aussi, chrétiens, nous sommes oints dans le Christ, et Marie est la première ointe ». Lorsque nous accueillons le Fils de Dieu incarné, nous adhérons enfin à Dieu. Les conséquences de notre péché sont anéanties, il n’y a plus cet éloignement de la source de toute vie, de toute paix de tout amour. « À Noël, disait Benoît xvi, le Verbe éternel est entré dans le monde comblant le fossé entre le fini et l’infini, le visible et l’invisible ».
Accueillons donc allègrement ces horizons magnifiques que nous offre le Nouveau-Né. Il ne faudrait pas que cette fête de Noël passe sur notre âme comme l’eau sur les plumes d’un canard. Laissons-nous imprégner, jusqu’au cœur, par cette présence du Christ. Origène déjà le remarquait avec acuité : « À quoi peut te servir que le Christ soit jadis venu dans la chair, s’il n’est pas venu jusqu’en ton âme ? »
Regardons sans nous lasser l’Enfant de la crèche. Allons plus loin que l’aimable icône d’un papa, d’une maman et d’un nourisson. Comprenons que sa venue répond à la plus profonde de nos aspirations : le désir d’être délivré du mal et unis à Dieu notre Père. Son silence et sa paix, sous le regard maternel de Marie, sont tout à fait victorieux.
Au nom de Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.