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Noël, mercredi 25 décembre 2019,
Messe de minuit à Notre Dame de Triors.
Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,
La longue veille de la nuit nous a menés à la crèche de Bethléem. À l’issue de la Vigile, la petite statue de Jésus enfant a été déposée en procession dans la crèche au fond de l’église, au chant du cantique bien connu de tous, Il est né le Divin Enfant. Le Pape François disait récemment que le cœur de la crèche commence à battre quand, à Noël, nous y déposons le santon de l’Enfant Jésus (Admirabile signum, 8). C’est donc chose faite. Puis la messe a commencé à minuit, la crèche devenant alors pour nous comme un évangile vivant, soulignait encore le Pape (A.S., 1). D’ailleurs le récit évangélique de la naissance de Jésus a suivi, nous rendant en quelque sorte contemporains de l’événement. Enfin dans un instant, la sainte Eucharistie, Jésus en personne, sera là sur l’autel, mieux encore que dans la crèche pourtant si parlante. Comme à chaque messe, il vient pour s’unir à ceux qui auront le privilège de communier, et habiter le cœur de tous en proportion de leurs dispositions de foi.
Au début du mois, le Pape nous a offert en effet une belle Lettre sur la valeur pastorale de nos crèches. S. François d’Assise dont il a pris le nom, a contribué à l’introduire dans nos mœurs. Son biographe décrit la scène ainsi : Un 25 décembre, de nombreux frères se rassem-blèrent à Greccio accompagnés d’une foule provenant de toute la région, apportant fleurs et torches pour illuminer cette sainte nuit. Quand François arriva, il trouva la mangeoire avec la paille, le bœuf et l’âne. Les gens manifestèrent une joie indicible jamais éprouvée auparavant devant la scène de Noël. Puis le prêtre, sur la mangeoire, célébra solennellement l’Eucharistie, montrant le lien entre l’Incarnation du Fils de Dieu et l’Eucharistie. À cette occasion, à Greccio, il n’y a pas eu de santons, poursuit le Pape : la crèche a été réalisée et vécue par les personnes présentes elles-mêmes (A.S., 2). À nous de jouer maintenant, mes Frères.
De fait, tout est éloquent en cette nuit si noire et si longue, mais illuminée par la venue de Jésus. Tout prend un sens ici, dit le Saint-Père : Pensons seulement aux nombreuses fois où la nuit obscurcit notre vie. Eh bien, même dans ces moments-là, Dieu ne nous laisse pas seuls (A.S., 4). Il vient nous aider, il vient nous sauver, il vient nous aimer. En entrant dans ce monde, écrit encore le Pape François, le Fils de Dieu est déposé à l’endroit où les animaux vont manger. La paille devient donc le premier berceau pour Celui qui se révèle comme «le pain descendu du ciel» (Jn. 6,41). Il précise que c’est une symbolique, que déjà S. Augustin avec d’autres Pères, avait saisie : «Allongé dans une mangeoire, il est devenu notre nourriture» (Serm. 189,4). Réellement, la crèche contient plusieurs mystères de la vie de Jésus de telle sorte qu’elle nous les rend plus proches de notre vie quotidienne (A.S., 2).
Les Pères ont en effet souligné le sens profond de Noël : la longue nuit de solstice en particulier nous révèle des mystères cachés, dit S Grégoire de Nysse (Serm. pour la Nativité), les jours vont rallonger, cela nous invite à désirer et contempler la vraie lumière qui se lève sur l’univers entier. S. Augustin remarque que ce jour le plus court de 1’année nous rappelle que le Verbe de Dieu s’y est fait tout petit. Mais choisissant le jour à partir duquel les autres jours commencent à grandir, il montre qu’il vient faire grandir toutes choses (Serm. 192,3). S. Ambroise décrit sa sortie du sein maternel comme une explosion de lumière : couché et caché dans une caverne, son regard de foi le voit environné d’une lumière toute céleste, déclenchant le concert des anges aux bergers (in Luc, II 43). Tout cela est beau, tout cela est vrai et doit nous donner une joie profonde qui ne trompe pas, à l’inverse de ces menus plaisirs qui nous sont présentés, se révélant ensuite comme des mirages frustrants.
D’ailleurs Noël vient déranger nos petits conforts à courte vue pour élever nos esprits dans un beau sursum corda. À Noël la douceur et l’humilité du cœur de cet Enfant s’imposent à nos forces illusoires quand elles sont brutales, à nos convoitises qui ne sont que des fantasmagories. Les bergers avaient, paraît-il, mauvaise réputation à l’époque, un peu comme nos migrants indéfinissables et inassimilables. Pourtant le chant des anges, puis le charme de la crèche ont eu raison de leur défauts ; la suite de la page d’évangile les montre transformés et radieux près des Trois de la Crèche, Jésus Marie et Joseph, faisant un peu penser à la ronde des élus de Fra Angelico.
Mais pour nous ? Malgré les apparences, le mystère de Noël a du mal à pénétrer le cœur de notre société qui ne veut pas trop se souvenir de son origine chrétienne. La France, baptisée à Noël en 496, n’en garde que les paillettes insignifiantes de l’extérieur ; elle est devenue prisonnière de son habitude de bouder l’Enfant. Du coup, elle perd ses repères élémen-taires pour défendre tout enfant et toute fragilité, elle craint même l’innocence qui devrait faire sa joie et sa fierté. Des lois subtilement perverses contribuent à multiplier les confusions dans la transmission de la vie, pour satisfaire une poignée de personnes plus à plaindre qu’à juger, rendues en état d’addiction affective et menaçant l’honnêteté du petit peuple désarmé face à ces dérèglements. L’archevêque de Paris a encouragé la grande foule à manifester en masse, cette foule ignorée des ténors des médias ; elle n’a plus que sa présence physique pour plaider en faveur de l’innocence, et en fin de compte pour rejoindre les santons de la Crèche où Jésus nous sourit à tous.
Alors n’ayons pas peur, l’Enfant de la crèche continue de rayonner la joie, palpable chez les bergers. Cette joie devient l’arme pacifique du grand combat pour l’innocence, l’amour vrai et la vraie paix venue du ciel. Avec saint Jean XXIII, et par Marie, la Mère si pure de Jésus, nous lui faisons cette prière : Ô doux enfant de Bethléem, accorde-nous de communier de toute notre âme au profond mystère de Noël. Mets dans le cœur des hommes cette paix qu’ils recherchent parfois si âprement, et que toi seul peux leur donner. Aide-les à se connaître mieux, et à vivre fraternellement comme les fils d’un même Père. Découvre-leur ta beauté, ta sainteté, ta pureté. Éveille dans leurs cœurs l’amour et la reconnaissance pour ton infinie bonté. Unis-les tous dans ta charité et donne-nous ta céleste paix. Amen.