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Solennité de la Résurrection du Seigneur,

le 12 avril 2020, Notre Dame de TRIORS.

La porte du Cénacle était encore close le soir de Pâques, bien que la pierre ait été dégagée du sépulcre au petit matin. Aux origines, ce fut même le premier et humble soulagement pour les trois Marie, avant que l’ange leur indique le glorieux message de la sainte Résurrection : on vient d’entendre cela (Mc. 16,1-7). Néanmoins, le grand succès de Dieu ne fut pas perçu de sitôt, l’impression oppressante d’échec perdura chez les apôtres avec diverses nuances. L’éveil à la foi pascale se fit lentement, avec une certaine langueur. Les femmes crurent aisément, mais les hommes furent plus lents à les prendre au sérieux, à en croire les pèlerins d’Émmaüs (Luc 24,22-24).

Heureusement par la suite, les diverses apparitions pascales firent bien des apôtres les authentiques témoins de la Résurrection (Act. passim). Et, après la Pentecôte, la foi pascale devint publique, rayonnant à partir de la communauté primitive. Au début du IVème s., l’empereur se convertit, et la foi pascale devient alors un fait social, célébré dans la liturgie. Celle-ci se dégageait du culte impérial pour chanter sans ambiguïté le Christ Notre Seigneur vainqueur de la mort. Peu de siècles après, la fête de Pâque était célébrée avec une saine magnificence, lorsque S. Grégoire le Grand eut exercé son charisme de transférer la pompe impériale au profit désintéressé du seul Christ Seigneur. Un recueil officiel du tout début du VIIIème s. décrit l’entrée solennelle du pape lors de la messe de Pâque avec un grand luxe de détails (Ordo Romanus I).

Il quitte son palais du Latran à cheval en direction de la basilique Sainte-Marie Majeure, l’église de la station en cette Solennité des solennités. Son cortège enrichi de la présence de dignitaires et du clergé, apporte une sorte de sacristie ambulante avec tout ce qui est nécessaire : l’évangéliaire, le chrême, les aiguières, la patène avec le calice, et les chandeliers. À l’arrivée, le pape gagne la sacristie pour revêtir les ornements sacrés, pendant que l’évangéliaire est porté sur l’autel. Puis il prend contact avec les chantres, leur donnant le signal pour entonner l’introït avec le psaume. Le pape monte alors à l’autel à la suite de sept acolytes portant sept chandeliers, ce qui demeure encore dans la liturgie papale; ceux-ci précèdent sept diacres et sept sous-diacres dont un thuriféraire.

Après la vénération du coffret des Sancta, ancêtre mobile de notre tabernacle, il salue l’autel, et donne la paix aux assistants. Après un temps de prière silencieuse, il fait signe de conclure le chant de l’introït, baise l’évangéliaire avec l’autel, tandis que les chandeliers sont posés à terre. Puis le Pape se rend de l’autel à son siège et s’y tient face à l’Orient. Le Kyrie est répété plusieurs fois au choix du Pontife, avant d’être fixé bientôt à neuf. Après l’intonation du Gloria et la salutation « Pax vobis », le chant de la collecte conclut l’introduction à la messe de la solennité de Pâque dont le déploiement se poursuit.

Certes, nos messes habituelles, même pontificales, sont bien modestes en comparaison. Mais la Pâque de cette année, avec toutes nos églises fermées, présente vraiment un hiatus abyssal. Est-ce à dire que nous rétrogradons à la foi vacillante de la première matinée pascale de l’an 33 ? Refusons une telle conclusion, si superficielle, et voyons plutôt dans les circonstances actuelles, exceptionnelles, la grâce d’un long Samedi saint, commencé dès le milieu du Carême et prêt à se prolonger encore. Mais ce vide du Grand Samedi est désormais rempli du clair-obscur de Pâques. Dans un homélie anonyme vraiment bien inspirée, attribuée à S. Épiphane de Salamine (+ 403), nous vivons cette grâce du long Samedi avec Jésus victorieux, descendant aux enfers comme on le chante dans le Credo. Écoutons cela : Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Le roi semble dormir : la terre pourtant a tremblé et s’est calmée, car Dieu s’est endormi dans la chair, et est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Il est parti chercher Adam, notre premier père, la brebis perdue, ainsi que tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort.

Pour l’heure, les enfers qu’a créés notre société se manifestent comme tels par l’épreuve sanitaire que l’on sait ; la grâce pascale s’offre à elle in abscondito comme une visite salutaire. En ce jour, le Seigneur lui offre –c’est le sens de notre prière pour ceux qui souffrent et ceux qui nous gouvernent- une grâce des retrouvailles analogue à celle que l’homélie décrit : Adam en tant que premier père et premier mortel, entendit le premier le bruit des pas du Seigneur qui venait vers les prisonniers. J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous! Pendant qu’il disait cela, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. Plein de stupeur Adam se frappa la poitrine et cria aux autres : Mon Seigneur est avec nous tous – Dominus nobiscum ! Et le Christ lui répondit : Et cum spiritu tuo. Puis lui ayant saisi la main, il lui dit ce que notre rituel applique au profès avant la sainte communion : Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ! Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Lève-toi et partons d’ici, car tu es en moi et je suis en toi. Je me suis endormi sur la croix, la lance m’a percé le côté à cause de toi qui as dormi au paradis pour que je fasse sortir Ève de ton côté : ma douleur a guéri celle de ton côté. Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie,

Ce beau souhait, nous demandons humblement et avec foi au Seigneur de le dire à ceux qui gèrent la vie sociale. Depuis trop longtemps ils se réfèrent à des principes naturalistes myopes et malsains. Puissent-ils réapprendre les règles du bon sens inspirées par Dieu que l’on nomme le droit naturel, c’est-à-dire ce qu’une consciente droite accepte spontanément. Les siècles chrétiens ont laissé des traces que beaucoup ont voulu flétrir, mais ces traces sont encore porteuses de vie. Notre Dame a prédit son triomphe qui est celui de son Fils pour notre temps. On peut y appliquer l’homélie qui poursuivait : Mon Père céleste attend sa brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle de noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le royaume des cieux qui existait avant tous les siècles vous attend. La liturgie grandiose de S. Grégoire attend patiemment la version de Pâques pour notre temps. L’homélie du IVème s. décrivait ce retour à la vie comme un nouveau baptême, de haut en bas, puis de bas (et même du plus bas) vers le plus haut, comme quand on plonge un nouveau-né dans la piscine baptismale pour l’en arracher, ruisselant de vie nouvelle !

Ce beau rapprochement a été fait ces jours-ci dans un des nombreux articles destinés aux fidèles confinés. Il leur fixait ainsi le programme pascal de cette année : Découvrir ce que l’absence eucharistique, tellement étrange, tellement rude pour les catholiques que nous sommes, peut révéler, en creux ; à savoir la présence agissante de Celui qui ne dort jamais, qui travaille sans cesse. Nous sommes confinés, mais Il est actif au plus infecté de nos cœurs, en cet en-bas, tout en bas, tout au fond ! Découvrir aussi, comme le peuple juif en Exil que, plus que Jérusalem, pourtant si importante, si vitale, est nécessaire ce que nos pères médiévaux appelaient la res du sacrement, à savoir la charité : redécouvrir que la res, la charité demeure toujours accessible, jamais confinée.

Alors, le Salve festa dies avait vraiment lieu d’être chanté tout à l’heure : Tristia cesserunt infernae vincula legis, expavitque chaos luminis ore premi – le carcan lugubre saute, le chaos épouvanté laisse passer à plein la lumière puissante. Et tout au long du Temps pascal notre demande sera exaucée, in hoc paschali gaudio, ab omni mortis impetu, tuum defende populum, le Seigneur se porte garant pour notre temps de la santé spirituelle libérée des principes mortifères. Alors nous pouvons célébrer la joie de Notre Dame sans aucune réticence, Regina caeli laetare, amen, alleluia.

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