Solennité de la Pentecôte

Dimanche 9 juin 2019, Notre-Dame de TRIORS.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

L’évangile qui vient d’être chanté clôt le chapitre XIVème de S. Jean (Jn. 14,23-31). Il s’agit de la réponse du Seigneur à la 4ème et dernière question que venait de lui poser un disciple lors du dernier repas (14,22). S. Jude s’étonnait : les confidences extraordinaires du Seigneur ouvrent d’immenses perspectives ; pourquoi les réserver seulement au Douze, sans les proclamer au monde entier ? La raison en est simple et profonde, explique S. Augustin ; c’est tout simplement que Jésus est aimé des uns et non pas des autres. Et il poursuit : L’amour qui distingue et sépare les saints des partisans du monde, c’est cet amour qui inspire un même esprit aux fidèles qui, selon le psalmiste (Ps. 68,7), habitent dans une même maison, un même Cénacle ; plus précisément, cette demeure où le Père et le Fils résident, en répandant leur amour sur ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Quant au monde hostile à Dieu, il répugne à cette invasion de l’amour de Dieu sur l’homme.

Pourtant, changement de décor : sept semaines après, au même endroit, le Cénacle s’ouvre au monde ; nous sommes au matin de Pentecôte. Tout se passe à la hâte, presque brutalement, avec un grand vent mystérieux qui brusque la porte du saint lieu (Act. 2,2) : vent mystérieux, vent du saint Mystère de Dieu se manifestant comme au Sinaï. La foule des Hébreux, alors, eut peur ; on supplia Moïse que Dieu cesse ses foudres et son grand vent, que Dieu ne parle qu’à Moïse (Heb. 12,18-21). Mais ici, on l’a entendu dans la lecture, malgré quelques moqueries, la foule des pèlerins est attirée et vient écouter Pierre parlant avec les autres apôtres dans toutes les langues de l’univers (Act. 2,5-11).

Dieu vient faire sa demeure en ceux qui gardent sa parole (Jn. 14,23), tandis que ceux qui la refusent, se placent hors de l’amour de Dieu (14,24). La leçon du Jeudi-Saint reste la même, mais la demeure divine s’élargit à l’échelle de l’univers : Spiritus Domini replevit orbem terrarum (Sag. 1,7) – l’Esprit du Seigneur remplit tout l’univers pour en reprendre posses-sion et mettre fin au divorce originel entre la création et son Créateur (Cf. Rom. 8,19s).

Maintenant que Jésus a quitté ses apôtres à l’Ascension, la présence divine se diffuse par le Saint-Esprit. Il assoit dans l’histoire humaine le règne de Dieu, fixant en nous, et, autant que faire ce peut, dans toute l’humanité, la présence divine, confirmant le nom messianique d’Emmanuel, Dieu-avec-nous. Le passage évangélique de ce matin prend tout son relief, autour des deux thèmes antinomiques : l’intimité inouïe avec Dieu et l’hostilité du Prince de ce monde qui œuvre en sens contraire.

Vingt siècles de christianisme ont permis à l’homme de découvrir sa propre demeure planétaire pour y annoncer le saint Nom de Jésus, Dieu-Sauveur, venu habiter en chaque homme et y faire Sa demeure. Le Prince de ce monde, le grand vaincu, n’accepte pourtant pas sa défaite. Par ses prestiges et la fascination qu’il exerce, il cherche à éloigner l’homme du plan de Dieu. Un athéisme désormais plus profond et plus subtil que les idéologies du siècle passé, brouille sa conscience. Dans son livre sans faille, le Cal Sarah, décrit ce bras de fer entre lumière et ténèbres. Jour après jour l’actualité ajoute ses confusions, anesthésiant peu à peu l’esprit de foi.

Pour le Cardinal guinéen, le Soir approche, et déjà le jour passe (Cf. Luc 24,29). Sous nos yeux, nombreux sont les disciples d’Émmaüs s’éloignant du salut, du pas lourd et déçu de leur incrédulité. Sous nos yeux, indifférence et mépris de Dieu engendrent mépris et haine de l’homme. Sans Dieu, le pire finit par arriver. L’homme finit pas être méprisé (Dostoïevski), et ce mépris touche tout l’homme, son passé, le présent et son avenir, sa famille, sa patrie et sa façon de vivre, il imprègne la notion même qu’il se fait du progrès, devenant peu à peu régression vers le désespoir et le suicide collectif.

Ce mépris se concentre contre le corps humain, par le biais de lois perverses. L’amour conjugal est depuis trop longtemps profané : on a mis en opposition, en divorce, la joie spécifique de l’union intime des époux, d’une part, et la vie, fleur de cette joie qui lui est génialement conjointe, de l’autre. Le débat des gens honnêtes dénonce les sophismes à ce sujet, mais on persiste et on veut signer. La technique parodie l’amour humain ; elle le frelate à l’infini, en en faisant de l’argent sale (op.cit., p. 219). Pour illustrer la 3ème Guerre mondiale, comme dit le Pape François, le Cardinal cite en exergue un texte de Péguy annonçant la 1ère (Cahiers de la Quinzaine IX,1, 1907) : Le monde moderne avilit. Il avilit la cité ; il avilit l’homme ; il avilit la femme. Il avilit la race ; il avilit l’enfant. Il avilit la nation ; il avilit la famille. Il avilit même, il a réussi à avilir ce qu’il y a peut-être de plus difficile à avilir au monde : il avilit la mort.

Pourtant, Notre-Dame de Paris est devenue un grand signe, en mondiovision ! L’accident tragique fait d’elle un Cénacle, béant sur le monde et ouvert vers le ciel. Et ce matin à S. Sulpice 400 baptisés sont confirmés dans l’Esprit-Saint. La statue blanche dans sa cathédrale reste inviolée, alors que tout autour d’elle est écrasé. Elle fait penser à Benoît XVI, orientant paisiblement vers le Bon Dieu et ses dons merveilleux, au dessus du grave discrédit que l’actualité porte sur Dieu et son Église. Je le cite : Nous devons avant toutes choses apprendre nous-mêmes à reconnaître Dieu comme le fondement de notre vie et à ne pas le laisser de côté comme s’il s’agissait d’une belle formule sans contenu réel (Klerusblatte, 10 avril 2019). Notre Dame nous met sans cesse en face du Dieu pour que nous ouvrions la porte de notre cœur au Sauveur, notre Emmanuel, Dieu demeurant parmi nous, amen.