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Solennité de la PENTECÔTE, dimanche 31 mai 2020,

Notre Dame de TRIORS.

Mentes tuorum visita – Visitez les âmes de vos fidèles. La fête de ce jour avec son hymne Veni Creator prend cette année une couleur mariale, puisqu’elle prend la place de la Visitation de Notre Dame à sa cousine Élisabeth en ce 31 mai. Visitavit quos amavit, chante-t-on à Noël (Séquence, Adam de Saint Victor), Notre Dame est en visite avec le Saint-Esprit auprès de ceux que Dieu aime. Oui, en ce matin de Pentecôte, le divin Esprit fait irruption dans le cœur des apôtres qu’Il aime, au même titre et du même élan que le Père qui les aime, nous apprend le discours après la Cène : Pater amat vos quia vos me amastis (Jn. 16,27). Mais déjà le petit Jean avait exulté sous la motion du Saint-Esprit dans le sein de sa mère ; maintenant ce sont les apôtres qui exultent dans les rues de Jérusalem avec un enthousiasme attirant les foules. Cette ferveur inédite tranche avec le quotidien prosaïque des badauds ; aussi certains leur imputent-ils d’avoir trop bu (Act. 2,13).

Le dialogue entre Marie et sa cousine avait abouti à la louange du Magnificat publiant devant tous la présence divine en Elle, car le Saint-Esprit l’avait prise sous son ombre et le Verbe venait de s’incarner en elle pour notre salut (Luc 1,35). À la Pentecôte, Pierre chante les merveilles de Dieu, magnalia Dei (Act. 2,11), évoquant et défendant avec une ferme simplicité la sobre et chaste ivresse de l’Esprit, pour parler comme une hymne célèbre, laeti bibamus sobriam ebrietatem Spiritus. Le Royaume de Dieu est visible, il est désormais parmi nous. Adveniat regnum tuum, le souhait commence à devenir réalité, Regnum intra nos est – le Royaume est déjà là au dedans de nous (Cf. Luc 17,21).

Avant la Visitation des mystères joyeux et la Pentecôte des mystères glorieux, l’Histoire Sainte ancienne laissait présager cette mainmise divine dans nos vies. Une belle page mérite ce matin d’être évoquée. Samuel désigna en son temps le roi David qui devait régner sur Israël, préfigurant le Messie, notre Sauveur. Comme Élisabeth, sa mère fut longtemps stérile, mais la pensée divine se rit de nos échecs. Priant donc près de l’Arche d’Alliance à Silo, elle murmurait sa plainte légitime. La voyant marmonner ainsi, le prêtre Héli la dénigra comme les badauds de Jérusalem : Il pensa qu’elle était ivre, et lui dit: «Jusques à quand seras-tu dans l’ivresse? Fais passer ton vin». Et Anne (c’est le nom de la femme) répondit: Non, mais je suis une femme affligée dans son cœur; je n’ai bu ni vin ni boisson enivrante, mais j’épanchais mon âme devant le Seigneur… Ayant conçu un enfant, elle l’enfanta et le nomma Samuel» (I Sam. 1,12-20). Son action de grâces suivit, comme une ébauche du Magnificat de Marie : Fecit mihi magna qui potens est – le Tout-Puissant a fait pour moi des merveilles (Luc 1,49 Cf. I Sam. 2,3), magnalia Dei.

Un grand vent a ouvert la porte du Cénacle (Act. 2,2), attirant les passants : le Saint-Esprit a voulu ce signe spectaculaire. Néanmoins au Cénacle, c’était jusque là un grand calme riche et fécond ; les apôtres étaient recueillis autour de Notre Dame (Act. 1,14) ; ils ne s’ennuyaient vraiment pas en attendant ces quelques jours, selon l’ordre que leur en fit le Seigneur juste avant son Ascension. Deux faits de l’Ancien Testament viennent ici à l’esprit. Le Prophète Élie fut conforté dans sa mission par une brise légère pour le consoler et le fortifier (I Rois 19,12). Des cataclysmes s’étaient manifestés juste avant, orage, tremblement, éclairs, mais Dieu n’y était pas (19,11). Le léger bruissement de la brise fut pour lui l’indice de la venue du Tout-Puissant, analogue à la grâce préparant les apôtres au Cénacle. Pourtant devant les Hébreux, quand Moïse gravit la montagne, le Seigneur se manifesta alors avec de grands signes que Moïse affronta seul, tandis que le peuple était terrifié (Ex. 19,16).

Cinquante jours après Pâques, les pèlerins étaient à Jérusalem pour commémorer cette promulgation de la Loi sur le Sinaï. Dom Guéranger décrit le fruit intérieur de grâce qu’ils reçurent alors : La première Pentecôte sur les rochers sauvages de l’Arabie, au milieu des éclairs et des tonnerres, intimait une loi gravée sur des tables de pierre. En cette seconde Pentecôte, le ciel ne s’assombrit pas, on n’entend pas le roulement de la foudre; les cœurs des hommes ne sont pas glacés d’effroi comme autour du Sinaï ; ils battent sous l’impression du repentir et de la reconnaissance : un feu divin s’est emparé d’eux, et ce feu embrasera la terre entière (An. Lit. T.P. III, p. 265 ; Cf. Heb. 12,18ss).

L’Évangile de ce jour unifie ces divers textes épars de l’Écriture. Il s’agit de la fin du chapitre XIV de S. Jean (Jn. 14,23-31) : Aimer Jésus, pour les pèlerins désormais convertis, c’est garder sa parole. Aussi son Père aime ces obéissants, comme il l’a dit des apôtres eux-mêmes : le Père et le Fils viennent faire leur demeure en eux, et l’Esprit-Saint, que son Père envoie au nom de Jésus, leur enseigne toutes choses, leur rappelant tout ce qu’il a dit en son évangile. Dès lors, soyons sans trouble ni effroi. C’est sûr, le Prince de ce monde est là, mais il ne peut plus rien contre Jésus et les siens. Le Saint-Esprit est à l’œuvre dans le recueillement au Cénacle devenant notre dans la brise légère de la vie intérieure ; la mission ne vient qu’après, pour rendre audible le message évangélique du salut, sachant bien qu’ici, l’exemple vaut mieux qu’une cymbale retentissante (Cf. I Cor. 13,1).

Et ce ne fut pas le cas de Jeanne d’Arc, canonisée il y a juste 100 ans et brûlée vive un 30 mai en son XIVème s. En effet, elle a d’abord vécu ses voix comme une brise légère, avant que sa docilité intrépide bouleverse et imprime l’ordre divin à son époque ; puis elle mourût d’amour en contemplant le Crucifix. Hier à Rouen ce dernier fut mis à l’honneur en une belle messe de déconfinement. La brise légère se remarque ainsi depuis le mystère de la Visitation de Notre Dame chez sa cousine, chaste ivresse du Cantique des cantiques : Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés (5,1). Notre Dame jeune adolescente toute joyeuse parcourt en hâte le chemin vers sa cousine, dans le colloque intime avec le mystère qui vit désormais en elle. En ce contexte contemplatif fait irruption l’exultation remuante et charmante du petit Jean qui accueille son cousin et Sauveur. Le mystère du Cénacle gagne à être lu à la lumière de ce rapprochement : Notre Dame est là, présidant à la naissance de l’Église comme mystère visible. Les grands événements d’après nos confinements ambigus et pénibles sont en sa Main Immaculée, Regina caeli laetare, laetemur in ea, amen alleluia.

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