SOLENNITÉ de la PENTECÔTE,

Dimanche 23 Mai 2021, Notre Dame de TRIORS.

 

La lecture du livre des Actes des apôtres décrit la face visible du mystère de ce jour (Act. 2,1-11) : les apôtres quittent le Cénacle de façon impétueuse, le Saint-Esprit lumineux les jetant tout feu tout flamme dans les rues de la Ville ; et l’expression ici n’a rien d’ironique, ils ne sont pas ivres de vin doux, mais empoignés par le Bon Dieu (Act. 2,13 & 15). Avec l’évangile qui vient d’être chanté, c’est, plus profondément, la face cachée du même mystère, il décrit leur âme prise en Main divine. Par cette emprise sur les apôtres, Dieu envahit son Église, et ce tout feu tout flamme devient la nouvelle donne de l’Histoire humaine, contre vents et marées désormais. Cette page de S. Jean forme la seconde moitié du chapitre XIV, juste avant la délicieuse allégorie de la vigne, le cep étant uni aux sarments, image parlante du Seigneur infusant sa vie à ses disciples (Jn. 15).

Mais vous l’avez bien entendu : le début du passage de ce matin use d’une formule plus compromettante encore que le cep uni aux sarments. Aimer Jésus, pour un chrétien c’est faire sa volonté, et alors, en retour, son Père l’aime ipso facto et ils font en lui leur demeure, mansionem apud eum faciemus (14,23). Faciemus, ce pluriel fait solennellement écho au récit de la création de l’homme en contraste avec le contexte de la Genèse : Dieu dit et cela se fait ; puis : Faisons l’homme à notre image et ressemblance (Gen. 1,1ss & 1,26). De même lors de la scène du chêne de Mambré, Abraham a une visite singulière dont la portée est si forte qu’elle impose également un pluriel : il vit un ange, mais adora en ce messager les trois qui le mandataient, venus annoncer la venue du Sauveur par sa propre postérité inespérée, car rien n’est impossible à Dieu (Gen. 18 & 19,1s ; Cf. Luc 1,37). Et maintenant, Jésus est au milieu de nous, et par Lui, c’est la Très Sainte Trinité qui s’invite en chacun de nous, souhaitant sérieusement s’arrêter, souper avec nous et faire en nous sa demeure (Jn. 14,23 et Ap. 3,20).

Trop souvent, l’homme ne sait pas ouvrir sa porte quand Dieu s’invite ainsi chez lui ; il ne le reçoit que les yeux mi-clos, se contentant par légèreté de ce qu’aperçoit son regard myope et à court terme. Mais le regard intérieur rétrécit alors l’ambition divine à son égard. On pense suffisant et honnête de faire un peu la volonté divine sur ceci ou sur cela, mais ce n’est pas le don intégral de l’existence ; et puis ensuite, on est fier de soi à trop bon compte, tout en maugréant de tout et de rien : vanité des vanités, tout est vanité (Qo. 1,14, passim). Aussi nous faut-il absolument le divin Paraclet : il intervient en nous tout comme le feu qui jeta les disciples hors du Cénacle pour conquérir l’univers entier. Il leur donna d’accepter de quitter leur petit confort. L’évangile le leur avait promis pour les enseigner et leur rappeler tout ce que Jésus leur avait déjà dit (Jn. 14,26). La vie parfaite a parfaitement triomphé chez eux, le Seigneur veut faire de même en chacun de nous.

La perfection en effet, c’est Dieu en nous, c’est-à-dire notre union à Dieu, c’est-à-dire la charité parfaite qui est la grâce victorieuse en nous, sans alliage d’aucune sorte. Et le Seigneur promet alors sa paix, paix qui évacue toute inquiétude (Jn. 14,27). Nos jours sont caractérisés au contraire par l’impuissance à obtenir la paix où que ce soit : je pense à Jérusalem et au Liban, tristes symboles d’efforts si nécessaires et pourtant stériles, il y a aussi cette pandémie qui tourne en boucle et fait tourner en bourrique. La paix est-elle alors le mythe de Sisyphe : effort colossal au résultat dérisoire, éphémère, inutile, laissant l’homme irrémédiablement désabusé ?

Non pas, car voilà les rues de Jérusalem tout à coup égayées par le message de apôtres. Le pessimisme cruel rend l’homme blasé, ce n’est pas une loi inéluctable. Le dernier mot est dû au Seigneur et non pas au Prince de ce monde dont le triomphe évoqué à la fin de l’évangile n’est qu’apparent, mensonger et illusoire (Cf. Jn 14,30s) . La sortie du Cénacle fait perdre son caractère désespérant au thème de Sisyphe dû à Homère, repris par Camus et tant d’autres. Oui, Jésus donne sa Paix à ceux qui s’ouvrent en grand au Paraclet, à quiconque ouvre sa porte au Trois, comme Abraham le fit à Mambré pour souper avec eux. La société toute entière y est invitée selon le beau cri qui inaugurait le ministère de S. Jean-Paul II : Ouvrez toutes grandes les portes au Christ, à sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! (22 octobre 1978).

Peu de mois après Mère Teresa disait à Oslo en recevant le Prix Nobel de la Paix que le plus grand destructeur de la paix, aujourd’hui, c’est le crime commis contre l’innocent enfant à naître (10 décembre 1979). Dans Laudato Si, le pape y voit comme une offense à l’écologie primordiale : La défense de la nature, écrivait-il, n’est pas compatible avec la justification de l’avortement (Laudato Si n° 120). Mais grâce à Dieu, grâce au divin Paraclet, notre Consolateur, ce terrible obstacle peut et doit être neutralisé quand, conscients d’avoir été bernés par les illusions que fait miroiter notre style de vie, tous ceux qui sont impliqués dans le drame peuvent et doivent le regretter dans une humble confession qui redonne la paix.

Mais tant que les officiels de notre pays et de notre continent ridiculiseront nos origines chrétiennes, le Paraclet restera absent, et la paix est sera toujours impossible. Tant que la tricherie sera tolérée, sinon encouragée, la chose publique restera sous la coupe du Prince du mensonge. Disons plus : tant que l’impiété s’affiche en ses versions législatives ou en flattant la dégradation morale, les réfugiés mépriseront notre style de vie néo-barbare, contre nature et qui de plus fanfaronne. Mais comment s’étonner alors de leurs réactions brutales, s’ils sont ainsi scandalisés : Qui sème le vent récolte la tempête.

En revanche, le vent étonnant de Pentecôte dissipe ces tempêtes cruelles pour semer la paix avec la joie du Créateur retrouvant sa créature. Veni, multiplions nos appels au Saint-Esprit Consolateur, il fait triompher Jésus en nous et autour de nous, Jésus Notre-Seigneur qui se fait notre Paix. Multiplions nos Ave Maria, Notre Dame a été couverte par l’ombre divine pour concevoir Jésus, elle nous apprend à demander cette emprise divine, nous aidant à y demeurer docilement fidèles et joyeux, amen.