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Solennité du Sacré Cœur, le 11 juin 2021.
La liturgie fait résonner bien fort aujourd’hui l’appel de l’amour miséricordieux qui nous vient de la Passion du Sauveur. En effet, après le cri qui précéda la mort de Jésus, l’eau et le Précieux Sang qui coulèrent de son Côté percé juste après, furent un autre grand cri, selon l’évangéliste, et il résonne jusqu’à nous et jusque dans l’éternité. On sait que pour les païens, pour Celse au IInd siècle comme pour l’islam de toujours, la vérité n’est probante et évidente qu’en cas de succès tangible ; la mort de Jésus et ses souffrances comme l’angoisse de Getsémani seraient pour toujours la preuve irréfutable de son échec : penser ainsi fut d’ailleurs la tentation latente des disciples, et pas seulement des deux pèlerins d’Émmaüs.
Scandale pour les juifs en même temps que pure folie pour les païens, S. Paul l’a remarqué d’emblée (I Cor. 1,23). Après lui, Origène, puis S. Ambroise ont répondu à Celse, voyant au contraire dans le Cœur ouvert du Seigneur le plus grand signe de la Révélation de l’amour de Dieu pour nous. L’apologétique divine, humblement et fermement, ne nous donne que cet argument de l’amour vrai jusqu’au bout : Ce n’est pas pour rire que je vous ai aimés, dit-il par Angèle de Foligno. Au cours des siècles récents, il y a eu les messages de Paray ou ceux de Ste Faustine encore à découvrir. Le Seigneur y répond aux allégations du froid rationalisme dont se meurt notre société quand elle refuse l’Amour Rédempteur.
De la même façon, les intuitions ferventes de la sainte de Lisieux sont un don providentiel pour notre temps ; le Bon Dieu attendait sa réponse, dans le Cœur de l’Église, je serai l’Amour (Ms B 3v°), ratifiée par son acte d’offrande à l’Amour miséricordieux le 9 juin 1895. Le saint Cardinal Newman (1801-1890) venait alors de mourir ; sa devise est de la même trempe : cor ad cor loquitur. Dieu est amour, Dieu a un Cœur ; Il l’a montré visiblement dans l’Incarnation rédemptrice, attendant en retour, humble et simple, le nôtre. L’évangile de ce jour veut continuer en nous : oui, en cet instant du Cœur transpercé, Dieu dit sans cesse son mystère intime. Le Christ est venu faire un nouveau monde, écrit le saint Cardinal. Il est venu pour rassembler et récapituler toutes choses en Lui. Car c’est là cette chose nouvelle que le Christ a apportée dans le monde (Douze sermons sur le Christ). En effet, en Notre Seigneur, Dieu communique personnellement avec nous, cor ad cor. À chaque instant et jusqu’à la fin des temps, rien ne lui échappe. C’est pendant toute notre vie, que le Christ nous appelle, écrit encore Newman. Il nous a appelés d’abord au baptême. Que nous obéissions ou non à sa voix, sans se lasser et toujours gracieusement, Il nous appelle encore (Le Chrétien,1905, p 96).
Madame l’abbesse nous a accoutumés à cette doctrine pure et forte. Le désir de Dieu qui nous aime empêche radicalement nos relations avec Dieu en ce monde de demeurer pure formalité ; notre cœur se tourne réellement vers le Sien, sous l’impulsion de notre intelligence. Nous renouons alors avec la conversation intime de Dieu avec Adam au paradis terrestre (Cf. VSO, p. 9). Dieu veut produire en nous, avec une efficacité souveraine, sa propre perfection, en allumant en nous le feu qu’il est venu apporter sur la terre. Le Sacré-Cœur réalise la tendresse du cantique de Moïse : Comme l’aigle qui excite ses aiglons à prendre leur vol et qui voltige au-dessus d’eux, il ouvre ses ailes, il prend l’âme et l’emporte sur ses épaules (Deut 32,11. Cf. VSO, p. 53).
Contemporain de Newman, de Thérèse ou de Madame l’abbesse, un autre cardinal, Merry del Val, témoignait du même abandon confiant : Ayez une grande dévotion à la Passion de Notre-Seigneur. Pensez à l’amour qu’il nous a témoigné en permettant que son Cœur fut percé pour nous prouver son amour. Prouvez-lui le vôtre, en acceptant, pour l’amour de Lui, les souffrances et les peines. Laissez la douleur ouvrir votre cœur comme elle a ouvert le sien… C’est le dernier mot de l’amour que l’expiation par amour (Notes de direction, p. 40).
L’Antiquité chrétienne et le Moyen Âge ont trouvé avant nous ce chemin du Cœur de Jésus pour y trouver le remède à toutes leurs langueurs et épreuves. À nous maintenant de mettre notre foi et humilité dans les traces des devanciers plus récents, nous invitant à nous déconfiner des mauvis soucis malsains que notre société multiplie, pour nous confiner, ou, plus exactement, nous clôturer dans le seul lieu qui soit à la hauteur de notre vocation, in abscondito Cordis et Faciei illius, .
En cette date anniversaire pour notre famille monastique, je fait nôtre, mes très chers fils, cette élévation de Newman : Ô très Sacré, très aimant Cœur de Jésus, Vous êtes caché dans la Sainte Eucharistie, et Vous battez toujours pour nous. Maintenant comme alors Vous dites: Desiderio desiderare – ‘J’ai désiré d’un grand désir’. Je Vous adore donc avec amour et crainte, avec une affection fervente et une volonté soumise et résolue. Ô mon Dieu, quand Vous condescendez à me permettre de Vous recevoir, de Vous manger et de Vous boire, et à faire de moi pour un moment Votre demeure, oh! faites battre mon cœur à l’unisson du Vôtre. Purifiez-le de tout ce qui est terrestre, fier et sensuel, de tout ce qui est dur et cruel, de toute atonie, de tout désordre, de toute perversité. Remplissez-le de Votre présence, afin que dans les événements de la journée, ni les circonstances du temps présent n’aient le pouvoir de le troubler; mais que Votre amour et dans Votre crainte il puisse trouver la paix (Méditations sur la doctrine chrétienne, Ad Solem, p. 134). Ô Jésus, par le Cœur Immaculé de Marie, je Vous offre mes prières, mes travaux, mes joies et les souffrances de cette journée, en union avec le saint sacrifice de la messe partout dans le monde, en réparation de péchés, pour la réunion de tous les chrétiens, pour les pauvres âmes du purgatoire, pour les intentions particulières du Saint-Père de ce mois-ci et pour le règne des Cœurs Sacrés et Immaculés (id. Prières ususelles). Amen.
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