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Solennité de l’ IMMACULÉE-CONCEPTION,

Notre Dame de Triors, le vendredi 8 décembre 2017.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Gratia plena, pleine de grâces. La jeune fille à laquelle s’adresse Gabriel a avec Dieu une relation nette et intègre, vierge et toute pure : d’emblée, son existence est en paix avec Lui. Gratia plena, un tel salut de la part de Gabriel indique qu’elle n’est pas sous le coup de la condamnation portée à l’origine contre Adam et Eve ainsi que sur tous leurs descendants. Chassés du paradis, le divorce d’avec Dieu était pourtant total, jusqu’à cette heure singulière où Gabriel, l’un des plus grands ministres de la cour céleste, s’adresse à Elle, Ave gratia plena. Bien avant la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception par le Bx Pie X, le ciel reconnaît en elle cette prérogative singulière.

Aussi faut-il bien mesurer la portée du dogme de 1854. Immaculée-Conception, le mot lui-même pourrait prêter à confusion ; en effet il n’est pas sans équivoque, et c’est là sans doute la cause de la longue réticence de l’Église avant de s’engager dans cette voie de la reconnaissance du dogme promulgué au XIXème siècle. Immaculée Conception, cela fait d’abord penser à un privilège de ses parents qui auraient eu la grâce singulière de la concevoir dans un état à part, comme si toutes les autres étreintes conjugales devaient être peccamineuses et que seuls, ils y eussent fait exception. Bien sûr ses saints parents font partie des ménages honnêtes, mais ici il s’agit d’autre chose : un vouloir exprès de Dieu a investi l’existence de Marie.

Depuis la chute, la grâce divine cherche sans cesse l’occasion de renouer avec l’humanité. Depuis le Prophète Osée, on sait combien les sévérités de Dieu auxquelles l’obligent les pécheurs, ne peuvent Le satisfaire : Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent. Je ne donnerai pas cours à ma colère, je ne détruirai pas à nouveau, car je suis Dieu et non pas homme. Au milieu de toi je suis le Saint, et je ne viendrai pas avec fureur (Os. 11,8s). La grâce avait déjà sanctifié des justes dans l’Ancienne Alliance, ce fut le cas de Jérémie (Jér. 1,5), et l’évangile nous dit de Jean, le fils de Zacharie, qu’il fut sanctifié dès le sein de sa mère (Luc 1,15). Annoncé par le même ange Gabriel, il est décrit comme déjà grand devant le Seigneur, rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère. Le Seigneur marchera devant lui, avec l’esprit et la puissance d’Élie (Luc 1,17). Pour d’autres que pour Marie, la grâce de Dieu s’était donc déjà manifestée avec une certaine plénitude.

Mais ici, il s’agit d’autre chose. Le mot grec traduit en latin par gratia plena et en français par pleine de grâce bénéficie d’une solennité indépassable. Il indique un état stable depuis toujours : la grâce n’est pas survenue en Marie à un moment secondaire de son histoire individuelle : c’est dès le 1er instant imaginable de son existence distincte qu’elle a reposé sur l’Immaculée. L’impatience de Dieu en son cas fut telle qu’il n’y eut jamais d’instant, aussi bref qu’il puisse être imaginé, où elle aurait été concrètement souillée par l’héritage maudit des origines. Le coup d’envoi de son existence était déjà dans l’amitié divine, sans la coupure, sans la séparation dont souffre l’humanité d’avec son Créateur. Marie fut sauvée en même temps que créée (Cf. Louis Bouyer, Le trône de la Sagesse, c. VII, L’Immaculée Conception et l’Ancienne Alliance, p. 152s). Ô Marie conçue sans péché : telle est la portée de l’expression entrée dans la piété chrétienne.

Ô Marie conçue sans péché : dans la pensée de l’Église exprimée par son Magistère, dire cela n’est nullement insinuer qu’elle aurait été sauvée par une autre voie que nous ; au contraire elle a été sauvée et rachetée sur un mode plus parfait, par l’unique voie du salut qui soit, à savoir son divin Fils, Jésus, notre commun Rédempteur. Marie boit à la source même du fleuve qui nous purifie et nous sauve nous-mêmes. Le Cardinal Vingt-Trois archevêque de Paris jusqu’à ce jour, recadre bien toutes choses ainsi : Dans l’épître aux Éphésiens, S. Paul nous rappelle comment Dieu nous a choisis dans le Christ avant la création du monde. Si nous appliquons notre intelligence à l’Immaculée Conception de la Vierge, cela ne peut être que dans cette perspective d’une action éternelle de Dieu, hors du temps, avant le temps, avant l’histoire. Marie a été préservée du péché originel parce que dès l’origine, Dieu voulait préserver dans l’histoire des hommes la possibilité d’accomplir son plan de Salut.

Des justes de l’Ancienne Alliance furent touchés à l’avance par la puissance de la Rédemption alors à venir. Mais d’une façon plus profonde la Mère de Jésus en a été touchée radicalement, elle dont le consentement était nécessaire pour qu’Il puisse être introduit dans le monde, selon le dessein de son Père. Les grandes perspectives du salut que S. Paul expose avec magnificence, mettent en pleine lumière le privilège de Celle dont le Seigneur voulut avoir besoin. Son humilité plonge alors ses racines dans cette mainmise divine sur son être. La nôtre au contraire se nourrit continûment de notre fragilité morale, chacun de nos pas étant exposé à nos illusions diffuses. Puisse notre piété mariale rapprocher peu à peu notre humilité de la sienne, puisse-t-elle se pénétrer de plus en plus de l’admiration respectueuse pour les magnalia Dei qui courbe spontanément la vie dans l’adoration en esprit et en vérité.

Notre maison est dédiée à l’Immaculée Conception, tout comme celle de nos Sœurs de Wisques. Mais cette année nous lui confions en outre notre Père abbé fondateur qui fut béni tel il y a juste 40 ans, et le Père abbé Président béni à Solesmes voilà 25 ans : notre Congrégation doit tant à l’Immaculée chantée par Dom Guéranger ! Confions lui aussi le nouvel archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit. Plaçons-le avec les deux Pères abbés et nous tous avec eux, dans le Magnificat de la Très Sainte Vierge : que la grâce de Dieu déploie en nous la force de son bras, dispersant ce qui relève de la superbe, renversant le quant-à-soi de son trône pour élever l’humilité en tous nos actes, en notre attitude, en notre existence entière à la suite de Marie, Trahe nos, Virgo Immaculata, post te curremus, amen, alleluia.

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