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Solennité de la Nativité du Seigneur,
Notre Dame de Triors, lundi 25 décembre 2017.
Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,
Dieu nous visite souvent au moment et au lieu où nous ne L’attendons pas. L’évangile de Noël montre cela de façon bien vive. L’Ancien Testament scrutait la venue du divin Messie, mais il rata largement en fin de compte le rendez-vous : en la nuit de Noël dans la grotte du faubourg de Bethléem, Jésus ne trouva que sa Mère et Joseph pour l’accueillir, et personne d’autre (Cf. Luc 2,6-7). Le ciel dut faire son petit concert pour avertir les plus proches voisins, les bergers qui gardaient leur troupeau (Cf. Luc 2,8s).
Mais à dire vrai, grâce à Marie et Joseph, l’accueil fut réussi : Dieu qui aime le silence et l’ardeur de l’humilité, trouva à merveille ces dispositions en eux. Dans le récit de l’évangile, Marie ou Joseph semblent imperturbables à toute inquiétude, à l’occasion de la naissance brusquée à l’autre bout du pays par caprice administratif, donc en voyage (Luc 2,1-5). Rien ne pouvait arriver de plus fâcheux, semble-t-il ; nul étonnement pourtant chez eux, nulle résistance à la grâce. Dans le contretemps éprouvant, ils voyaient d’abord le signe d’une présence divine autre que celle à laquelle ils s’étaient d’abord préparés, et ils s’y rangèrent simplement, car l’union à Dieu vaut mieux que tout. En comparaison, les combinaisons de l’homme relèvent d’une logique inférieure, fragile et souvent tronquée. Si le Bon Dieu nous oblige à changer d’avis, c’est Lui qui a raison, car ses pensées ne sont pas nos pensées, elles les dépassent comme le ciel qui surplombe la terre (Cf. Is. 55,8s).
On a fait dire à S. Augustin ceci : Celui qui a créé toute la terre ne trouve pas de place dans l’hôtellerie. Celui qui est le maître du monde naît comme un voyageur et un étranger ; il accepte cette humiliation, mais c’est pour faire de nous les habitants du ciel (Serm. 124, in append.), en nous arrachant à la figure ambiguë et décevante de ce monde. Origène perce aussi quelque chose de l’intention divine, chaleureusement ouverte sur chacun de nous désor-mais, disant qu’en se faisant inscrire dans l’humanité, il établissait sa communion avec tous, apportant la sainteté à tous (Hom. 11 in Luc). Il cherche à s’inviter chez nous sur la terre, mais c’est Lui surtout qui nous invite chez lui au ciel, si nous voulons bien écouter le chant des anges et imiter les bergers. Ne soyons pas trop durs d’oreille.
Plus proche de nous que S. Augustin ou Origène, François d’Assise est bien au rendez-vous. Par sa dévotion à la crèche, il a entraîné la dévotion des foules. Pour lui, Noël, c’est l’Amour divin qui se fait tout petit pour grandir l’homme : l’Incarnation, c’est la venue de Dieu dans une chair de nouveau-né, semblable à tout nouveau-né, hormis le péché qui nous avait fermé le ciel dès l’origine. À Bethléem, le ciel s’ouvre enfin par Jésus, mieux encore que par le concert des anges. Le simple nom de la localité mettait le Poverello quasi en extase ; on dit qu’il le prononçait à la manière d’un agneau qui bêle, passant sa langue sur les lèvres comme pour déguster avec délices et savourer la douceur de ce mot (Thomas de Celano, I, n. 86).
Nous ne sommes ni Marie ou Joseph, ni Augustin ou François d’Assise, pourtant l’Enfant de Noël nous regarde et, de sa petite main innocente mais toute-puissante, il veut changer notre vie en la libérant de ses carcans. De façon plus ou moins consciente, notre vouloir y est souvent réticent, car nous préférons par instinct rester crispés sur nos pauvres équilibres. Ne craignons vraiment pas si le Seigneur prend ainsi les devants, en bousculant notre vie, tout comme il modifia les plans prudents de Marie à Nazareth pour la mettre sur les routes en plein hiver. Quel fut l’héroïsme de Marie et de Joseph alors ? Non pas celui d’une tension intérieure inaccessible ou d’une force psychologique hors pair, mais celui de la simplicité et de la joie de l’humilité.
Le peuple hébreu fut nourri de la manne quotidienne qui venait chaque matin comme la rosée, mêlée à l’humble beauté des fleurs champêtres et au chant des oiseaux, dont parle le psaume (Ps. 103,12). L’habitude des dons divins l’a rendu parfois ingrat, aussi Jésus nous encourage par la Samaritaine à bien comprendre le don de Dieu (Cf. Jn. 4,10). Et depuis l’Incarnation, la Présence réelle nous appelle à chaque instant et nous attend : chaque instant désormais pour le croyant, c’est Noël, avec son invitation à la sainte Eucharistie. Une lucarne est ouverte sur l’éternité depuis 2017 ans ; elle ne veut pas se refermer.
Les auteurs spirituels vantent ce précieux instant présent qui nous met continû-ment en contact avec Dieu. Inutile de chercher à refaire le passé ou d’anticiper sur demain, Jésus est là à chaque instant comme dans la grotte de Bethléem, écrit un grand dominicain. Rien, chez nous, ne ressemble plus à l’éternité que le moment présent (Père Perrin). Un témoin de la foi venu d’Asie, Mgr Van Thuan dit de même : Le devoir d’état, c’est la volonté de Dieu dans l’instant présent. Quand tu accomplis la tâche du moment, n’accepte rien qui ressemble à la passivité, mais renouvelle sans cesse, choisis pour ou contre le Seigneur, cherche le royaume de Dieu, crois à l’amour infini du Seigneur, réalise l’amour de Dieu et des autres, et cela dans la minute présente (Témoins de l’espérance).
Un carme voit en Marie le meilleur modèle de cette adhésion à Dieu par l’instant présent : Toute sa vie n’a été qu’une suite d’instants, bien humbles parfois, mais vécus avec le maximum d’amour. Tout son être merveilleusement pur par sa conception immaculée, a dû s’offrir à chacun des instants successifs dans un parfait rassemblement de tout son être, tout entier à la lumière qui l’irradiait, la transfigurait, la spiritualisait (Père Victor). Elle a préparé Noël de la sorte et l’a prolongé avec joie ; et elle préside à tous nos instants présents comme autant de Noël, car c’est par la Très Sainte Vierge Marie que Jésus-Christ est venu au monde, et c’est aussi par elle qu’il doit régner dans le monde (S. L-M Grignion de M., VD 1), en chacun de nous, amen.
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