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Solennité de la Pentecôte, dimanche 4 juin 2017.

Notre Dame de TRIORS.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

En ce jour de Pentecôte, la Sainte Église commémore la descente du Saint Esprit sur les apôtres. Dix jours après l’Ascension du Seigneur au ciel, comme l’a relaté la 1ère lecture (Act. 2,1-11), les apôtres sont réunis au Cénacle. Enveloppés par des langues de feu, ils sont remplis du Saint-Esprit tandis qu’un vent impétueux ouvre les portes de leur demeure. Inondés de lumière, ils sont alors transformés en leur être et en leur agir. Quittant le Cénacle, ils se trouvent au milieu d’une multitude que la bourrasque inédite vient d’attirer là, attendant quelque chose de neuf et de grand. Certes, toute foule est friande de nouveauté, mais là, ce fut vraiment quelque chose de différent. Des badauds courent vers l’éphémère clinquant, ici dans cette foule, on a faim et soif de la justice divine (Cf. Mt. 5,6).

Et coeperunt loqui (2,4). Les apôtres se mettent donc à parler. La foule admire ce qu’elle entend, les grandes choses de Dieu, dit notre texte – magnalia Dei (2,11), ces grandes choses de Dieu que l’humanité attendait depuis ses origines, ces grandes choses de Dieu qui donnent la clé définitive de notre raison d’être. Certes des esprits mesquins ridiculisent la pureté véhémente, attribuant cette nouveauté pétillante à un excès de vin ; mais vraiment, ici, l’ivresse spirituelle est d’un tout autre ordre. S. Pierre le leur fait remarquer (Act. 2,15). Ici, on n’a pas « la gueule de bois », il s’agit de la sobre ivresse de l’Esprit que nous buvons dans la joie de l’Esprit, selon l’heureuse expression de S. Ambroise (Hymn. Splendor paternae gloriae).

Revenons sur le proche passé : il y a eu les 40 jours d’intimité pascale, puis les dix jours d’après l’Ascension. Les apôtres sont recueillis dans la salle haute du Cénacle autour de Marie, Mère de Jésus. Les Douze ont sûrement approfondi alors leur sens de la Parole de Dieu concernant notre salut. Mais en ce jour de Pentecôte, et en cet instant d’effusion de lumière, l’Esprit-Saint les inonde d’une clarté qui brûle délicieusement leur cœur, dans la ligne et mieux encore que ce qu’expérimentèrent les pèlerins d’Émmaüs (Cf. Luc 24,32). L’Esprit-Saint de Pentecôte, l’autre Paraclet leur rappelle et précise tout ce qu’ils ont entendu de la bouche de Jésus (Cf. Jn. 14,26), donnant à leur perception de son enseignement une densité hors-pair et exceptionnelle : la plénitude du Christ, Sagesse souveraine, déborde désormais en eux, la Révélation divine leur a tout dit, Dieu a ouvert son Cœur. Le développement du dogme au long des siècles sera toujours en aval de ce moment-source : l’Église va désenvelopper peu à peu ce premier dépôt quand elle aura à préciser certains points du dogme pour affronter les épreuves successives qu’elle rencontrera, mais ce premier dépôt, lui, ne sera jamais surpassé.

Ceci dit, le premier contact de l’Église apostolique avec l’humanité ne ressemble pas à une leçon de catéchisme. Le « symbole des Apôtres » résume en brèves formules le dépôt reçu en plénitude, mais ici en sortant du Cénacle, le premier jaillissement est plutôt une louange, magnalia Dei (2,11). Le Concile y voit une dimension liturgique : d’emblée, l’Église apparaît comme la société de la louange divine. Cette extase d’admiration n’est prise pour une vulgaire ivresse que par des cœurs fermés : bien au contraire la louange vient exorciser les drogues qui asservissent l’humanité. Les ennemis de l’Église assimilent la doctrine révélée à l’opium du peuple ; le Magistère de S. Jean-Paul II a su inverser l’argument en dénonçant les faux messianismes contemporains, les idéologies creuses, grandiloquentes et vaines qui ferment cruellement l’homme sur lui-même (Cf. 31 mai 1980 à S. Denis).

Le Concile ouvre ainsi sa réflexion : l‘œuvre de la rédemption une fois accomplie par le Christ (SC 5), l’exercice de la liturgie dans l’Église en poursuit l’application : Le Christ, envoyé par le Père, envoie ainsi lui-même ses apôtres, remplis de l’Esprit-Saint, non seulement pour prêcher l’Évangile à toute créature…, mais aussi afin d’exercer cette œuvre de salut, par le sacrifice et les sacrements autour desquels gravite toute la vie liturgique… C’est pourquoi, le jour même de la Pentecôte, ceux qui accueillirent la parole de Pierre furent baptisés, louant Dieu et ayant la faveur de tout le peuple (Cf. Act. 2,41-47 = SC 6).

La pensée liturgique du Concile accrédite les intuitions de notre Père Dom Guéranger sur l’esprit de la liturgie, fleuron de l’évangélisation permanente, à savoir, la contemplation qui est un si précieux don de l’Esprit-Saint à l’Église de Dieu (Avent I, p. XV) : Sur cette terre, écrit-il en ouvrant son Année liturgique (Préf. Gén.), c’est dans la sainte Église que réside ce divin Esprit… Depuis lors, il fait sa demeure dans cette heureuse Épouse; il est le principe de ses mouvements ; il lui impose ses demandes, ses vœux, ses cantiques de louange, son enthousiasme et ses soupirs (p. IXs). Chacun peut y entendre à toute heure cette voix infatigable qui monte sans cesse vers le ciel… Le Chrétien fervent s’y unit en vaquant à ses fonctions ou à ses affaires dans la mesure où il possède l’intelligence générale des mystères de la Liturgie (p. XII).

Dans un opuscule sur la perfection (c. 10), S. Thomas d’Aquin voyait de la même façon l’apogée de la vie chrétienne dans la contemplation des choses divines et la prière. Il faisait allusion au malentendu du matin de Pentecôte souligné par S. Paul : Ne vous enivrez pas avec du vin, où se trouve la luxure ; mais remplissez-vous de l’Esprit Saint, en vous entretenant par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels (Ep. 5,18s). Le Magnificat de Notre Dame chez Ste Élisabeth se poursuit par vagues successives dans la louange de l’Église de son Fils, rejoignant celle des anges au ciel et l’ineffable chant qu’est le Verbe au sein de la Très Sainte Trinité : Chantre unique qui a donné sa voix à la création, chant qui ne s’épuise jamais, chant que nous redisons sans cesse, car c’est toujours le Verbe de Dieu que redisent les Psaumes et toute la sainte liturgie (Mère Cécile Bruyère, ISV p. 123, 12 octobre 1888) : ils se mirent à parler comme Marie, Mère de l’Église, et ils dirent les merveilles de Dieu, magnalia Dei, Magnificat, amen, alleluia.