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Solennité de la Translation de N. Bx Père St Benoît,

Notre Dame de Triors, mardi 11 juillet 2017.

 

 

Mes très chers Fils,

Nulle paternité spirituelle au monde n’a ressemblé à la Paternité divine comme celle de saint Benoît (D. Delatte, com. p. 2). Ce propos bien connu est très juste, éclairant largement l’histoire de l’Église, puisque Dieu a disposé de telle sorte les événements historiques que chacun des Ordres religieux est venu s’attacher à lui en quelque manière, à l’école de sa paternité (id°). Dieu a voulu en user pour déverser par lui sur une bonne part de la chrétienté les fruits de l’Incarnation rédemptrice. Non pas, pour autant, que St Benoît ait atteint la plus grande sainteté possible : celle de Notre Dame la dépasse évidemment, et St Grégoire son biographe raconte la rencontre où sa sœur fut exaucée pour avoir mieux aimé le Seigneur (Vita c. 33). Mais nous fêtons ce matin une sainteté patriarcale, c’est-à-dire le rayonnement que le Bon Dieu a voulu lui accorder pour servir de façon si particulière ses desseins.

Alors qui donc est-il, et comment comprendre une sainteté si singulière ? La Règle nous donne la réponse, puisque selon la remarque de S Grégoire le saint homme était incapable d’enseigner autrement qu’il ne vivait (Vita c. 36) ; et également le récit de sa Vie en laquelle le saint pape décrit sa beauté morale, son tempérament et presque ses traits eux-mêmes (Cf. com. p. I).

Ces références que nous connaissons tous permettent d’entrer dans l’évangile de cette messe, et plus spécialement de comprendre un peu l’expression in regeneratione. Sans angoisse ni esprit mercantile, St Pierre pose une question sur son avenir ; il parle au nom des autres Apôtres, au nom aussi de tous les pauvres volontaires qui cherchent Dieu en suivant Jésus sur un chemin dont les méandres peuvent être déconcertants. Pour St Benoît, ce furent les étapes qu’il ne pouvait prévoir en quittant Rome et ses dangers : après Enfide, ce fut Subiaco, mais aussi Vicovaro, et enfin le Cassin, étapes où il fut mis peu à peu comme sur un chandelier pour éclairer au loin (Cf. Vie c.6). Il fait penser à Abraham, chaque étape était dans la main de Dieu, guidée par Lui, ce qui ne veut pas dire pour le confort de sa nature. Dieu l’a mené d’arrachement en arrachement, lui faisant mériter une grâce spéciale dont ses fils bénéficient maintenant. Car nous autres, nous bénéficions grâce à lui de notre vœu de stabilité : il nous épargne ainsi ses propres tâtonnements qu’on ne saurait affronter sans les grâces exceptionnelles dont il fut gratifiées. Abraham et les Patriarches marchent devant, comme la colonne de nuée dans le désert, mettant en sécurité ceux qui les suivent.

L’expérience de N Bx Père pénètre de la sorte le mystère de notre évangile caché sous l’expression in regeneratione. L’Ancien Testament attendait une telle rénovation, une « nouvelle donne » de l’Histoire sainte dont les Juifs étaient pourtant déjà si fiers, et à juste titre. Peut-être l’attendaient-ils dans une perspective trop matérielle, écoutant trop mollement les Prophètes. Mais Jésus est venu de fait pour l’accomplir : Voici que je viens faire toutes choses nouvelles, dit-il dans l’Apocalypse (21,5), et St Pierre qui regimba si longtemps contre le mystère de la Croix liée à cette régénération, écrit aux premiers chrétiens : Nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera (II Pi. 3,15). Le baptisé l’attend de la vie éternelle, il le vit déjà de façon inchoative, le consacré en a déjà la primeur.

St Hilaire lit l’expression in regeneratione dans cette perspective eschatologique : les apôtres avaient suivi Jésus au baptême régénérateur, écrit-il (in Mt. XX,4), à la sanctification par la foi, à l’adoption qui faisait d’eux ses cohéritiers comme dit St Paul ; ils devaient ainsi le suivre à la résurrection d’entre les morts, qui doit sanctionner cette rénovation : toutes choses que seul Jésus pouvait donner, et non pas la Loi close sur elle-même, toutes choses qui devaient les conduire à une gloire supérieure à celle des Patriarches anciens, souches des douze tribus d’Israël. La régénération ne sera donc complète qu’à la résurrection finale de la chair, indique aussi St Jérôme (in h.l.), quand les morts ressusciteront de la corruption, désormais incorruptibles, quand la chair sera renouvelée par cette incorruptibilité comme l’âme l’est déjà par la foi.

Devant le premier Concile, tenu à Jérusalem, St Pierre affirme la puissance de la foi venue de Dieu pour nous ramener à Lui et nous préparer à la vision dans le ciel, fide purificans corda eorum (Act. 15,9) : tout comme le peuple élu de jadis, les païens en s’ouvrant à la foi, remarque St Pierre, bénéficiaient eux aussi de ce processus divin de purification du cœur. Partout la foi est un grain de sénevé qui renouvelle complètement la vie morale et féconde notre potager intérieur. À la suite des païens d’Antioche, les moines ont comme programme la pureté du cœur que Dieu accorde avec l’exercice plénier de la foi (Cf. Cassien, Conf. 1). N Bx Père nous inscrit dans ce mouvement de sainteté enclenché dès les temps apostoliques ; il la fait rayonner en tant que Patriarche. La vie monastique entreprise en Orient au IVième siècle a été codifiée par N Bx Père dans sa Règle, et sa Vie nous montre comment il l’a vécue.

Quand nous mettons nos pas à notre tour en ce chemin de foi, la « régénération » nous est offerte, au terme du combat spirituel. L’humilité donne alors à la foi de dégager toute son énergie théologale. Selon l’indication de la Règle, le désir très vif des choses éternelles devient un instrument spontané de l’art spirituel (RB IV/46) et VII/1). St Benoît est comme Abraham, premier de cordée, Patriarche pour tous les croyants. Néanmoins l’un et l’autre sont précédés bien sûr par Notre Dame, Immaculée Conception. C’est avec Elle et en Elle que nous pouvons saisir l’enjeu de la vie de foi et son beau développement de régénération, joignant notre Suscipe à son Fiat et à son Ecce ancilla Domini, amen.