Solennité de l’Assomption de Notre Dame,

Notre Dame de TRIORS, Jeudi 15 août 2019.

Les deux derniers mystères glorieux du Rosaire débordent du cadre de l’Écriture Sainte, alors que les autres y sont tous mentionnés explicitement. Après le mystère de la Pentecôte, nous honorons l’Assomption de Notre Dame au ciel, cet au-delà où nous oriente l’Apocalypse avec le couronnement triomphal : cela a été évoqué au début de la messe : Mulier amicta sole – la femme revêtue du soleil, (Apoc. 12,1). Il semble que seuls les anges soient témoins de son entrée dans la gloire : l’alleluia de ce jour dit sobrement que Marie est montée au ciel, mettant dans la joie l’armée des anges. La liturgie précise aussi que cette joie accroît leur liturgie céleste : ils louent et bénissent le Seigneur, comme jamais (Cf. All de la messe et 1a ant. Vesp.).

Néanmoins, le 2nd mystère joyeux du saint Rosaire préparait cette recrudescence de louange au ciel. La rencontre entre Marie et Élisabeth, la vieille cousine, a précédé la joie des anges, tandis qu’elle la salua comme la bénie entre toutes les femmes (1,41-50). Certes l’ange Gabriel dans le secret avait déjà tout préparé. Mais ce dialogue dans la maison d’Élisabeth a eu lieu sur notre terre, nous donnant au surplus la louange hors pair du Magnificat que les anges poursuivent désormais avec Elle. Ce chant du ciel avait donc déjà été rodé ici-bas d’une façon qui stimule l’Église de la terre : chaque soir elle le met à l’honneur.

Ad superna semper intenti : La belle formule de la collecte éclaire les diverses versions de la louange, celle des anges, celle d’Élisabeth, celle de d’Église qui reçoit le Magnificat. La terre n’a de sens qu’avec cette tension vers le ciel. Hélas l’actualité semble un démenti flagrant ; l’actualité crie, elle aboie exactement l’inverse, ad inferna semper intenti. L’humanité, anxieuse et tendue avec angoisse vers les réalités d’en bas, infernales, c’est-à-dire qui mettent l’enfer sur la terre : l’humanité semble condamnée à des guerres interminables qui la désespèrent et la tentent de plus en plus de ne plus jamais regarder vers le ciel : Adhaesit in terra venter noster, nous collons à la terre dit le psaume (Ps. 43,26).

Cette impuissance morbide est l’indice que la foi a diminué et que la charité non feinte est bien refroidie (II Cor. 6,6). De fait, la société s’organise de façon de plus en plus technique et de moins en moins spirituelle : tout semble organisé pour que le Bon Dieu devienne insignifiant, puis finalement inexistant aux yeux du grand nombre. La société est à l’image de Nietzsche dont on a écrit : Entre le monde qu’il méprise et le ciel qu’il refuse, il enfonce l’homme dans l’isolement absolu (Nietzsche et l’espérance, G. Thibon, p. 23).

Il n’en fut pas toujours ainsi. Au début du XVIIIème s., Benoîte Rencurel processionnait au Laus avec les anges du 15 août, à la suite de Marie, priant de façon efficace pour la paix et la conversion des pécheurs. À la même époque, S. Alphonse de Liguori rapprochait la visitation de Marie chez sa cousine avec l’entrée de l’Arche d’Alliance dans la maison d’Obed-Édom, au temps du roi David. Une famille s’estime heureuse lorsqu’elle est visitée ainsi, remarque-t-il, à cause de l’honneur qu’elle en reçoit (Les Gloires de Marie, p. 276 ; Cf. I Chr. 13,14). A fortiori en bénéficient maintenant quiconque reçoit l’amoureuse visite de l’arche vivante de Dieu, de la divine Mère. Il n’y a plus qu’à s’en remettre à Elle. Élisabeth en a bénéficié naguère ; chacun d’entre nous est maintenant appelé à en faire autant.

Là dessus, le saint docteur relate de beaux exemples suggestifs du Moyen Âge. Benoîte ou S. Alphonse : leur piété nous étonne par sa naïveté apparente. Et pourtant elle obtenait tout avec une liberté déconcertante, grâce à une foi intègre, forte tout autant que simple. S. Alphonse donne en exemple un religieux dominicain malade ne sachant pas comment demander sa guérison. Notre Dame lui apparut, écrit-il, accompagnée de Ste Cécile et Ste Catherine, et lui dit doucement : Mon fils, que désirez-vous que je fasse en votre faveur ? Le religieux, tout confus, n’osait rien répondre. Alors, l’une des saintes lui donna ce simple conseil : Ne demandez rien, mais remettez-vous entièrement entre ses mains ; Elle saura vous obtenir mieux que ce que vous demanderiez. Et c’est cet abandon parfait qui lui obtint par surcroît la grâce de la guérison (id° p. 287). À notre tour, allons au trône de la grâce, qui est Marie, poursuit S. Alphonse, allons-y avec l’espérance d’être certainement exaucés, moyennant son intercession, qui obtient tout ce qu’Elle demande de son Fils (id° p. 285s).

Si, depuis le XVIIIème s., les choses ont bien changé, pourtant Marie ne cesse de faire maternellement le siège de l’humanité orpheline-volontaire. Elle nous manifeste sa sollicitude, afin que nous regardions vers Elle, vers le ciel, comme Élisabeth regarda et accueillit Marie. Plus que jamais l’Assumpta est en Visitation. À Fatima en 1917, elle a promis que son Cœur Douloureux et Immaculé triompherait en nous libérant de tout ce qui nous entrave. Cette promesse galvanise l’espérance de la foule des petits, humbles et besogneux, désireux de vraie joie et d’un bonheur qui, enfin, ne trompe pas. Avec la devise Totus tuus, tout à vous, ô Marie, la fécondité du pontificat de S. Jean-Paul II respirait déjà ce triomphe. Sur tous, la consécration mariale, par exemple celle de S. Louis-Marie Grignon de Montfort, attire la grâce par les mains de Marie, accroissant son triomphe. Une place attend tous les jours chacun de nous aux côtés d’Élisabeth et des anges.

Dans la chapelle des apparitions de Fatima en 1972, un prêtre italien zélé, Don Stefano Gobbi, reçut le charisme de diffuser cette ferveur mariale qui rend libre le cœur humain. Il a parcouru le monde à cette fin. La Vénérable Marthe Robin l’invita à joindre au message de Fatima celui de La Salette datant de 1846. Il eut alors la surprise de constater que ses propres réflexions reçues de Marie étaient souvent celles-là mêmes dont Elle usa alors pour dénoncer crûment l’impureté de certains ministres (20 nov. 1976 ; 18 mai 1977 ; 3 juin 1978). De la même façon, Benoît XVI a lui aussi dénoncé à diverses reprises cette gangrène qui n’étonnerait que ceux qui n’ont pas saisi l’ampleur de la Rédemption par la Croix de Jésus. Le saint Pape Jean-Paul II étant à l’agonie, son futur successeur commenta la 3ème chute du Seigneur au chemin de croix du Colisée ainsi : Kyrie eleison. Souvent Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part (25 mars 2005). Et, les yeux rivés sur la Croix de Jésus, il insista souvent sur ce point douloureux durant son pontificat.

Ad superna semper intenti – tout tendus vers les réalités du ciel : la prière de ce jour est l’antidote du poison qui tue notre société. Contempler la gloire de Marie au ciel n’est pas une fuite de la réalité ; bien au contraire, la liturgie qui l’admire montant au ciel diffuse sur notre univers sa paix et sa joie. Vita, dulcedo et spes nostra, salve, amen, alleluia.