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Transitus de N. Bx Père Saint Benoît, jeudi 21 mars 2019,

Notre Dame de Triors.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Il y a juste 25 ans, le Très Révérend Père abbé Dom Antoine Forgeot célébrait pour la dernière fois ici le Saint Sacrifice, en cette fête du Transitus de N. Bx Père S. Benoît. Après avoir pris sur lui tout le poids de la fondation initiée en 1984, après avoir aidé ses premiers pas avec soin, après l’avoir aimée avec une grande intelligence surnaturelle, il venait d’obtenir du Saint Siège que notre maison soit désormais élevée à l’autonomie juridique. Puis au terme de la Sainte Messe que j’ai concélébrée alors avec lui, il nommait le premier abbé de cette maison, Domus Aurea – Domus Mariae. Notre communauté avait de quoi être tentée de craindre la suite et d’interroger le Seigneur avec anxiété : Quid erit nobis, que va-t-il nous arriver ? C’est la question que S. Pierre posa au Seigneur avec simplicité et cette pointe d’anxiété, lorsqu’il vit que les exigences d’être à son service avaient fait fuir des vocations pourtant belles et sincères (Mt. 19,27-29).

En effet Pierre avait entendu les paroles du Sauveur au jeune homme riche, remarque Origène : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres. Et il vit ensuite cette belle âme s’en aller toute triste, se rendant compte combien il était difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Il interroge donc le Sauveur avec confiance, poursuit Origène, dépassant l’empire de la peur ou de l’effroi inquiet, nous indiquant ainsi à nous aussi la disposition à cultiver en l’occasion. Pierre s’adresse donc au Sauveur avec la confiance que nous voulons prendre comme modèle : Prenant la parole, il lui dit : Voilà que nous avons tout quitté, qu’en sera-t-il de nous ?

Sa confiance à lui n’est pas fragile comme la nôtre. Elle s’exprime avec foi et en même temps avec candeur. Certes la suite de l’évangile soulignera ses défauts, surtout la présomption qui a entravé, stérilisé même son amour pour Jésus, au point qu’il en vînt à le renier pour n’avoir pas compris le conseil d’humble modestie qu’il requérait de lui : c’était au seuil du Grand Vendredi de notre Rédemption. Il faut que nos paroles soient enflammées, non par des cris et des actions démesurées, mais par l’affection intérieure, remarque avec beaucoup de justesse St François de Sales avant de poursuivre : Il faut qu’elles sortent du cœur plus que de la bouche.

St Benoît dont nous fêtons le glorieux trépas donne l’exemple de cette confiance, non pas verbale et un tantinet théâtrale, mais sortant du cœur plus que de la bouche. On voit cela à Vicovaro comme en face de l’envieux Florentius, ou encore durant la famine en Campanie. Il a vécu le premier ce qu’il enseigne dans sa Règle, spécialement la discretio, cet équilibre remarquable de sérieux, de recueillement et de discernement à toute épreuve qu’il requiert de l’abbé aux cc. II et LXIV. Il impose à l’abbé, et par ce dernier à tous et à chacun, de vivre pleinement l’adage évangélique : Recherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, le reste viendra en son temps comme une valeur surajoutée (Cf. Mt. 6,33). Plus près de nous, Dom Guéranger a su souffrir de façon héroïque pour maintenir autour de lui le primum quaerere. Dépourvu de tout, il a restauré la vie monastique à Solesmes avec sa foi et ses grands désirs de Dieu, pour lui et pour ceux auxquels il a rouvert le chemin du cloître.

Malgré les limites, malgré les bévues et même des erreurs et lâchetés qui ont fait souffrir, voire scandalisé des âmes, le Bon Dieu ne s’est pas montré « manchot » avec nous en ces 25 ans ; le surcroît est venu même avec une certaine magnificence, due sans aucun doute au fait qu’il voulait honorer promptement sa Sainte Mère en son jardin d’enfants. S’il en est bien ainsi, nous sommes alors d’autant plus invités à chercher Dieu en tout premier lieu et sous la conduite de Notre Dame, si vere Deum quaerit. Prenons l’adage de S. Mathieu comme la consigne absolument nécessaire, notre Unique nécessaire : la Règle le prescrit, nos Pères abbés du ciel depuis près de deux siècles l’ont vécu bien nettement, en contraste avec un univers qui se montre si récalcitrant, réfractaire et insensible, mettant la doctrine divine en sourdine et la ridiculisant.

Mais ce monde cruel est à bout et exsangue, il est devenu stérile des vraies valeurs qui honore la dignité humaine et son ouverture au divin. Un sensualisme rampant défigure jusqu’à ceux qui sont censés parler de Dieu, donnant l’illusion horrible que la colonne de vérité ne serait qu’une « déchetterie » de plus en notre univers, déshonorant la dignité chrétienne et simplement humaine. Mais Dieu n’est pas dans ce fracas, dans ces séismes ni dans les tsunamis médiatiques. Non, mais il est toujours là dans la brise légère pour ceux qui sont prêts à L’écouter, si vere Deum quaerit. Et ils sont nombreux ceux qui, humblement, dans de ferventes catacombes que nul ne repère, ne fléchissent pas le genou devant les idoles du monde moderne. À l’unisson avec ces martyrs cachés, la vie monastique dans l’invisible communion des âmes fait revivre ce qu’Origène lit encore dans l’évangile de ce jour.

Dès cette vie, commente-t-il en effet, pour les frères selon la chair que nous avons quittés, nous trouvons un grand nombre de frères selon la foi, nous aurons pour pères tous les évêques et les prêtres tout purs, et pour enfants tous ceux qui sont dans l’âge de l’innocence. Nous aurons encore surtout pour frères les anges. Champs et maisons, ce sont les demeures préparées à n’en plus finir dans le repos du paradis et dans la cité de Dieu ; et ce qui est bien sûr au-dessus de toutes ces récompenses, nous recevrons la vie éternelle. Voilà ce qu’obtient de façon assurée le si vere Deum quaerit.

Aussi le Père alexandrin exhorte-t-il alors ceux qui ont fait profession d’obéir ainsi à la parole de Dieu, à se hâter de s’élever jusqu’à la perfection, se gardant d’imiter ceux qui vieillissent mal dans une foi languissante. Mieux qu’Origène, c’est l’Immaculée qui encourage toutes les petites âmes avec les moines de courir de l’odeur de ses parfums de pureté, d’innocence et de ferveur, dans sa belle Maison d’Or qu’est la sainte Église, arrachée aux fastes trompeurs de la Maison de Néron, domus aurea corruptibilis. Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous, gardez votre domaine dans l’humilité et la simplicité de la foi, amen.