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Solennité du Transitus de Saint Benoît,
mardi 21 mars 2017, Notre Dame de Triors.
Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,
Nous avons tout quitté. En disant cela, S. Pierre ne cherchait pas à se vanter d’être généreux, il interrogeait simplement le Seigneur à cause de l’inexplicable affirmation qu’il venait d’entendre à propos de la défection du jeune homme riche à cause de ses richesses, affirmation qui laissait les apôtres sans voix (Mt. 19,23-26). Reliquimus omnia – nous, nous avons tout quitté, qu’en est-il alors ? Le Seigneur commence par définir l’attitude des apôtres plutôt par rapport à Lui, non par rapport au créé, secuti estis me – vous, vous m’avez suivi ; puis il élargit l’enjeu à ceux qui feraient de même dans les siècles à venir : omnis qui reliquerit, quiconque aura tout quitté, père mère, famille et biens terrestres ; c’est ce que nous venons d’entendre proclamer dans le chant de l’évangile (Mt. 19,27-29).
Reliquimus, qui reliquerit (Mt. 19,27 & 29). « Quitter », c’est un mot qui sépare : ce mot peuple le désert, dit S. Pierre Damien à la suite des Pères (Hom. 9), ce mot évoque l’arrachement de toute vie spirituelle un peu conséquente, ouverte pour tout de bon à l’Unique Nécessaire. Pourtant, disent encore les Pères, des philosophes s’étaient déjà fait remarquer en vivant à part, en s’éloignant de la vie sociale. On peut très bien quitter la société comme eux sans chercher Dieu pour autant, on peut même s’éloigner ainsi par pur mépris de la plèbe. Oui, tant de contrefaçons guettent l’authentique pureté du cœur. Et secuti estis me, propter nomen meum, précise ici Jésus à Pierre.
Nous fêtons ce matin S. Benoît auquel s’applique l’évangile. En quittant la Ville de Rome, il ouvrait un grand chemin de purification des cœurs, pour lui-même et pour un grand nombre. Mais Dieu s’y est pris avec lui par touches successives, sous la motion constante et très forte de la recherche de l’Unique Nécessaire. Benoît commença donc par s’éloigner de Rome, explique S. Grégoire, par dégoût de la vie dissolue des étudiants, ignorant volontaire, sagement illettré. Néanmoins il avait encore la compagnie de sa nourrice, sa mère adoptive si l’on en croit la tradition qui affirme que sa véritable mère serait morte à sa naissance, avec Scolastique sa jumelle de sang avant de l’être dans la vie religieuse. Il quitta cet ultime attachement en s’enfuyant, en s’enfouissant dans la grotte. Puis il y eut encore d’autres étapes, au fur et à mesure que grandissait son influence : les 12 monastères de Subiaco et le Mont Cassin. Benoît n’était pas moins riche que le jeune homme qui ne parvînt pas à quitter ses biens. Mais peu importe ici la quantité : face à Dieu, tout le créé n’est qu’une goutte d’eau au bord d’un seau, dit Isaïe (40,15) ; et au terme de sa vie, Benoît, ouvert à l’ordre divin, vit combien est étroit tout l’ordre créé (Vie c. 35).
Concernant notre évangile de ce matin, S. Jean Chrysostome se moque d’abord un peu de Pierre : Qu’as-tu donc quitté, toi ? Un filet, une barque, un métier bien modeste, est-cela que tu appelles tout ? Puis il se reprend : Pierre ne parle pas ici par préoccupation personnelle, il parle plutôt au nom de la famille des pauvres volontaires. Pierre quant à lui venait de recevoir les clefs qui ouvrent et possèdent le ciel : que pouvait-il lui manquer ? Il interroge plutôt ici au nom des pauvres volontaires qui suivent Jésus (Hom. 64 in Mt. 1). Voilà l’important : il ne s’agit pas seulement de tout quitter, il s’agit de suivre Jésus qui nous ouvre alors dès ici-bas un peu du ciel.
Quaerere Deum, tel est le critère équivalent que N. B. Père donne de la vocation. S. Jean Chrysostome achève ainsi son propos : Pierre avait compris que le point capital était de suivre Jésus, que la renonciation aux biens de la terre n’était qu’une préparation (id°). Le plus important est donc bien la fin de la phrase de Pierre : et sequamur te – et nous vous avons suivi. S. Benoît répète à ses disciples de ne rien préférer à l’amour du Christ, absolument rien, omnino (Reg. cc. 4, 5 & 72). L’adage lui vient de S. Antoine qui lui-même voulait imiter l’Apôtre disant du Christ qu’il était devenu toute sa vie, Christus vita mea (Colos. 3,4). Les vrais moines n’ont pas d’autre vie que Christ.
Pierre ou Paul, Antoine ou Benoît : l’évangile n’a pas d’autre ambition que d’orienter vers Dieu venu nous sauver. Oui, il faut le redire, la vie monastique doit être un arc-en-ciel touchant la terre pour l’arracher à l’enfer qui, sans cela, ambitionnerait de tout envahir. À Fatima, Notre Dame a montré l’éternel enjeu de la conversion de nos mœurs, de la stabilité dans la recherche de Dieu et de l’obéissance qui configure au Christ. Dans sa maladie qui devait lui ouvrir le ciel, le Bx Francesco a beaucoup souffert, mais il disait : Oui je souffre, mais peu importe. Je souffre pour consoler Notre-Seigneur et ensuite, dans peu de temps, j’irai au ciel. Parler ainsi montre qu’on a déjà un pied au ciel. Avec les enfants de la Cova da Iria, nous voulons nous mettre à l’école de la Belle Dame pour mieux suivre son divin Fils, Regina monachorum, ora pro nobis, amen.