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Solennité de N. Bx Père Saint Benoît,

le jeudi 11 juillet 2019, à Notre-Dame de Triors.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

La plupart des antiennes liturgiques d’aujourd’hui mettent à l’honneur un tout petit nombre d’épisodes de la Vie de S. Benoît. Le saint pape S. Grégoire qui l’a rédigée, lui a consacré près de 40 chapitres, mais certains passages qui ont valeur d’emblème, font pénétrer davantage le cœur de Benoît face à Dieu. Fuit vir vitae venerabilis. L’entrée dans la vie lui a épargné les méandres pénibles dans lesquels s’enlise le grand nombre. Plusieurs textes de ce jour puisent à ce c. 1er, stimulant et encourageant l’enfance spirituelle qui donne la sagacité et la sagesse d’un vieillard expérimenté, cor gerens senile : les Pères du désert estimaient fort cet idéal de l’enfant-vieillard, qui resplendit aussi chez la sainte de Lisieux. Oui, N. Bx Père a eu d’emblée une vie unifiée, et son intercession est puissante pour réunifier dans la vie de la grâce nos vies fragmentées et notre temps confus et disloqué.

Peu après, tout jeune encore dans la vie monastique, par un simple signe de croix, Benoît dépiste paisiblement le complot meurtrier de ceux qui, imprudemment, s’étaient mis sous sa direction (c. 3) : là, c’est l’exemple de l’harmonie entre force, confiance et prudence, c’est aussi la douce apogée de l’abandon à la divine Providence qui donne l’intelligence des temps qui dépiste et déjoue pièges et bagatelles. Les textes retenus par la liturgie dans la suite privilégient brusquement la fin de sa vie : aux cc. 34 et 35, le ciel lui fut deux fois entrouvert, à l’occasion de la mort de sa sœur Scolastique, puis lors du trépas de son ami l’évêque de Capoue dont il vit l’âme monter au ciel dans un unique rayon de lumière, où tout l’univers était ramassé (c. 35). Le Pape Grégoire fait alors admirer le lien entre la vie spirituelle d’ici-bas et la vie éternelle : notre existence est vraiment le noviciat de l’éternité.

Enfin, un autre passage encore mérite d’être souligné (c. 8). Au diacre Pierre qui dialogue avec le saint pape, les divers miracles de N. Bx Père font penser à ceux des héros de l’Écriture. Et il s’écrie alors : Vraiment il avait l’esprit de tous ces justes (c. 8/8). S. Grégoire rebondit sur la remarque pour souligner l’emprise du Saint-Esprit dans l’âme du baptisé cohérent avec la foi reçue au saint baptême : L’homme de Dieu Benoît eut l’esprit de cet unique Juste qui, en nous transmettant la grâce de la rédemption, remplit le cœur de tous les justes (c. 8/9). L’évangile de cette messe confirme cette plénitude de Dieu dans l’âme de Benoît qui a quitté sa famille pour servir Dieu seul, l’Unique Juste : par le fait même, au-delà de sa famille apparemment délaissée, son rayonnement s’élargit à l’échelle divine de la Providence.

Mais quelle était donc la famille que quittait Benoît ? À son insu, la Providence le préparait à couper ce lien pourtant si riche pour tout un chacun quand il peut hériter de son héritage moral. Le père de Benoît, Europe, fils de Justinien Probus de la famille des Anicia servait dans l’armée et l’administration wisigothique de Théodoric, petit fils d’Alaric qui avait investi et pillé Rome 70 ans plus tôt. L’empereur wisigoth cherchait à instaurer un ordre nouveau, sans pouvoir néanmoins échapper à l’humiliation d’avoir ruiné un passé prestigieux. Et justement, la mère de Benoît appartenait à l’antique noblesse des comtes de Nursie, très sensible à ces déchéances, et la tradition la fait mourir en donnant le jour à Benoît et à sa jumelle Scolastique. Benoît est donc né orphelin de mère, et tout ensemble orphelin de la glorieuse culture latine. Dieu le préparait à une autre fécondité, la grâce incluse en son nom, béni de Dieu l’empêcha de gémir sur la dureté des temps et l’âge d’or perdu. Au dire de Newman et du Père Faber, il infusa à sa propre descendance spirituelle la joie et l’esprit d’enfance : telle est la marque de son œuvre, cet ‘esprit de famille’ purifié par l’ardent désir des choses célestes. Toujours est-il qu’avec la vocation de Benoît, c’est tout un monde qui quittait l’antique façon de vivre, c’est l’Europe qui entrait dans le chemin de l’Évangile et de la conversion profonde.

On peut déduire cela de la glose d’Origène sur notre page d’évangile : Dès cette vie, pour un passé et des frères qu’on a quittés, on trouve un grand nombre de frères selon la foi, et un avenir radieux. L’âme a alors pour pères tous les évêques et les prêtres de l’Église, et pour enfants tous ceux qui gardent l’âge de l’enfance. L’âme aura encore pour frères les anges, et pour sœurs toutes les vierges du Seigneur, celles qui vivent encore sur terre, tout autant que celles qui jouissent déjà de la vie éternelle au ciel. Champs et maisons, ce sont les demeures multipliées qui sont préparées dès ici-bas et dans la cité de Dieu ; et ce qui est au-dessus de toutes ces récompenses, l’âme reçoit la vie éternelle. Ce beau commentaire d’Origène éclaire la sainteté de S. Benoît. La Providence l’a donné pour approfondir l’évangélisation de l’ancien Empire romain, devenu l’Europe chrétienne dont la foi est toujours à approfondir. Le regard de Benoît vers le ciel a transfiguré la terre. Une antienne tirée du c. 2nd de sa vie dit bien l’effort exact à fournir pour entrer dans une saine hiérarchie des valeurs ; ce chant sonne en même temps comme un mot d’ordre, comme un mode d’emploi pour la société, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui, et celle de demain : Plus avide de souffrir les maux de ce monde que de jouir de ses louanges, d’endurer les travaux pour Dieu plutôt que de s’élever par les faveurs de la vie.

Par la vie qu’il a écrit de lui et après avoir vécu selon sa Règle, S. Grégoire a contribué à mettre S. Benoît sur le chandelier. Il nous dit de lui qu’il était rempli de l’esprit de tous les justes, tel une heureuse synthèse de la sainteté créée, et la liturgie poursuit par une prière qui lui confie tous ceux qui professent sa vie. En amont de S. Grégoire, l’ange Gabriel salue Marie comme étant pleine de grâces, remplie de l’Auteur de toute grâce, obombrée par le Saint-Esprit. Benoît a peu parlé, mais il nous a légué sa Règle, comme un pressis, un comprimé de l’évangile (Bossuet). Marie a peu parlé, elle gardait tout en son Cœur, mais lorsque, après son acquiescement pour la part décisive qui lui revenait dans l’Incarnation, Ecce, Fiat, lorsqu’elle dut parler devant autrui, Élisabeth en l’occurrence, elle dévoila par le Magnificat son colloque de louange avec Dieu. Le monastère de S. Benoît, société de la louange divine selon l’idéal de N Bx Père, prolonge ce Magnificat que toute l’humanité doit à la Majesté divine pour demeurer par la foi et l’humilité dans le salut qu’Elle nous accorde en Notre Seigneur, amen.