+

Solennité de Notre Bienheureux Père
Saint Benoît

Jeudi 11 juillet 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Nous connaissons bien l’Évangile que nous venons d’entendre, où Jésus promet le centuple à ceux qui laissent tout pour le suivre. De même, dans leur ensemble, les antiennes de cette fête nous sont bien familières.

Il y en a une cependant qui demeure discrète et moins connue, c’est la quatrième antienne des Laudes, que nous ne reprenons pas au cours de la journée. Et pourtant, cette antienne a du relief, elle qui nous présente si aimablement la physionomie de Notre Bienheureux Père :

« L’homme du Seigneur Benoît, nous dit-elle, avait un visage paisible, apaisant et agréable à regarder, en un mot un visage placide ; il était orné de mœurs angéliques, et la gloire lumineuse de Dieu s’était si bien développée à son endroit qu’ayant encore les pieds bien posés sur terre, il habitait déjà par l’âme dans le royaume des cieux. »

Oui, saint Benoît est connu comme un homme placide, comme un homme de paix : un homme en paix avec Dieu, un homme qui diffuse autour de lui la paix de Dieu.

La paix, nous dit saint Thomas d’Aquin, naît de la possession du bien que l’on aime1. Elle est cette tranquillité de l’âme en ordre, l’apaisement de toutes les tensions désordonnées héritées du péché. Elle est cette richesse que tout homme désire. Dans l’Ancien Testament, et de nos jours encore dans les cultures sémites, on se salue en se souhaitant la paix, shalom, la riche paix de Dieu. Lorsque Isaïe dit en effet : « Seigneur, vous nous assurez la paix » (Is 26, 12), ce n’est pas une simple absence de guerre, mais une abondance de vie reçue de Dieu, harmonie avec la nature généreuse, avec soi-même, avec Dieu.

La paix est ainsi « l’attitude que prend spontanément notre âme unie à Dieu dans la charité2 », selon Dom Delatte. La paix avec Dieu est un don de Dieu. Jésus est venu nous la donner. Il est le « Prince-de-paix » promis par Isaïe (9, 5) qui, pardonnant les péchés de la femme pécheresse, a pu l’encourager à aller « en paix » (Lc 7, 50). Au soir du Jeudi saint, le Seigneur nous a donné « sa paix » (Jn 14, 27). Il a rétabli la communion entre l’homme et Dieu dont il a conquis le pardon « en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 20).

Par sa grâce, nous apprenons à vivre selon la loi nouvelle de amour, et nous expérimentons la « Grande paix [promise] pour ceux qui aiment [sa] loi » (Ps 118165).

Et pourtant, saint Benoît demeurait dans les conditions d’ici-bas, et dans toute leur pesanteur. Lutte contre les tentations, rudesse de la nature, persécutions en tout genre… La paix du Seigneur qui l’habitait déconcerte les idées préconçues : elle s’enracine en-haut et demeure malgré les désagréments de notre condition que le Seigneur n’a pas voulu supprimer en nous sauvant. Jésus n’a-t-il pas dit : « Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien la division. » (Lc 12, 51) ? Cette division est à comprendre un peu comme la digue, la jetée d’un port : elle abrite du monde houleux un espace où règne en paix la grâce.

Saint Benoît a trouvé ce havre, et il présente un visage paisible, un visage apaisant.

Parce que de fait, la paix se diffuse. Il y a souvent un phare qui est au bout des digues, des jetées. L’épître a comparé notre Bienheureux Père à l’étoile du matin, à la lune en son plein, et même au soleil resplendissant. Dans nos nuits agitées, comme dans la pleine lumière des jours paisibles, il est la lumière qui guide et qui rassure.

Un phare, en soi, ce n’est pas très beau : un cylindre massif, peint avec des couleurs aux forts contrastes. Et pourtant, les hommes aiment à les contempler. Pourquoi ? Parce qu’ils devinent ou se rappellent l’angoisse du navigateur chahuté dans la nuit, ils prennent conscience du bienfait qu’apporte la lumière qui indique le port.

De même, saint Benoît, dans sa massive tranquillité, sans recherche d’esthétisme, témoigne qu’il existe dès ici-bas des lieux de paix où l’âme peut vivre dans l’amitié avec Dieu, dans la charité, quelles que soient ses infirmités.

« Beati pacifici : quoniam filii Dei vocabuntur. — Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Mt 5, 9). Demandons donc à la Vierge Marie de savoir nous mettre toujours mieux à l’école de notre Père, pour recevoir cette paix des enfants de Dieu. En Notre-Dame et saint Benoît, le monastère réalisera en petit ce que l’Église est en grand pour l’humanité entière : une jetée et un phare et un havre où Dieu nous offre son amitié.

Amen.

1Saint Thomas, Somme, IIa IIae, q. 29

2Commentaire, p. 12