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Solennité des Saints Apôtres Pierre et Paul, lundi 29 juin 2020.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Une nouvelle fois, nous venons d’entendre la confession de S. Pierre sur la route de Césarée (Mt. 16,13ss). De retour de Tyr et de Sidon, le groupe entourant le Seigneur abordait la Galilée par le Nord, c’est-à-dire par le Liban actuel. La confession de Pierre ! Le Seigneur le félicita alors, admirant sa réponse qui, semble-t-il, a fusé d’un seul jet, en contraste avec les opinions fluctuantes du public ; et cette spontanéité n’était pas alors la marque d’un tempérament impulsif, dont il lui sera souvent fait grief. Non, le Seigneur le félicite pour la docilité qu’implique cet aveu : Tu es Christus, Filius Dei vivi ; docilité à l’égard de la lumière divine, qui, répandue en Pierre par la foi surnaturelle, le fait témoigner de l’origine exacte du Seigneur, Deus de Deo. En retour, le Maître souligne la vocation incluse dans le nom qu’il lui avait donné dès leur première rencontre, Tu es Petrus. Et il lui précise maintenant : Et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam.

Avant d’en arriver là, les relations entre Pierre et le Seigneur avaient connu diverses étapes, l’orientant peu à peu vers ce rôle unique dans la fondation visible de l’Église. Plus tard, lors de la seconde pêche miraculeuse après Pâques (Jn. 21,15-19), après l’humiliation du triple reniement, ce privilège lui sera conféré à nouveau, avec une solennité accrue. Il ne s’agit pas d’un détail, Pierre est ici au cœur de la mission de Jésus.

Pierre, tu es Pierre ; le mot fait écho à la première rencontre près du Jourdain. Les disciples de Jean-Baptiste l’avaient entendu désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu (Jn. 1,36ss). André et Jean se mirent à sa suite, puis le lendemain, Pierre, et enfin Philippe et Nathanaël. Le IVème évangile relate le fait avec émotion, et le premier contact entre l’Agneau de Dieu et Pierre dit déjà tout du mystère pétrinien : Tu es Simon, fils de Jean, Simon Bar-Jona, comme dans la page de ce matin ; désormais, tu t’appelleras Céphas, ce qui veut dire Pierre (Jn. 1,42).

À l’origine, le premier Adam eut pouvoir de nommer les êtres vivants, et surtout son épouse. Le second Adam fait ici un geste analogue, geste décisif en direction de l’Église, son Épouse pure et immaculée, comme dit S. Paul (Éph. 5,27). À nous de méditer ici et de goûter silencieusement le lien que pose le Seigneur entre Pierre sur lequel il bâtit son Église d’une part, et Marie Mère de l’Église, de l’autre. Le Sacré-Cœur fut transpercé après la mort de l’Agneau de Dieu : Jean l’évangéliste en fut témoin. Ce mystère profond, magnum mysterium, y assumait la maternité de Marie sur Jean, mais sur Pierre aussi et sur toute l’Église, engendrement mystérieux déclaré par l’agonisant, avant d’offrir la dernière goutte de sa vie comme signe de son amour pour nous jusqu’au bout (Jn. 19,32-37 & 25-27 ; Jn. 13,1).

La primauté indéniable de Pierre supporte avec aisance ce rôle de Jean si bien dépeint dans l’évangile, ici comme ailleurs, par exemple lors de la course de Pierre et Jean vers le sépulcre, ou plus banalement en apparence quand ils entrèrent au Temple par la Belle Porte à l’heure de None : deux antiennes de la fête mettent l’épisode en chant. On ne se lasse pas d’admirer en eux les premiers pas de l’Église au berceau de sa Rédemption. Ce n’est pas tout : un autre apôtre s’était immiscé de façon analogue entre Pierre et Jésus : André son frère a vu Jésus le premier et lui présenta ensuite Pierre, cette primauté d’ordre chronologique n’infirmant en rien la primauté d’ordre théologique de Pierre dans l’Église. Oui, c’est André qui poussa son frère Simon vers Jésus, qui d’emblée lui donna, on l’a dit, son nom emblématique et charismatique.

Associant cet épisode avec l’évangile d’hier, à savoir la pêche miraculeuse (Luc 5,1-11), Bossuet voit en Pierre le premier poisson pêché par André, avant tous ceux qui débordaient du filet, sous la responsabilité commerciale et mystique de Pierre. C’est André qui a pris son frère Simon, le prince sans conteste de tous les pêcheurs spirituels : Veni et vide (Jn. 1,16), dit le grand prédicateur qui accepte l’éloge des Orientaux concernant le premier appelé, le Protoclet : André est le premier-né des apôtres, la colonne premièrement établie, il est comme Pierre devant Pierre, fondement du fondement même ; il a appelé avant qu’on l’appelât, il a amené des disciples, Pierre lui-même, à Jésus avant que d’y avoir été amené lui-même (Hésychius, début Vème s., cité par Bossuet, Panégyrique de S. André, 2° point).

Mais c’est le sang de Pierre, non celui, d’André qui a fécondé Rome et l’a donnée au Christ unique Seigneur. Rome ne boude pas pour autant, ni ne fronce les sourcils à l’Orientale lumen qui l’a devancée en ceci ou en cela. Et désormais tous sont à l’école de Pierre, attendant sa parole avec la Catholica, l’Église universelle répandue partout. Il en va un peu comme de Marie-Madeleine que S. Grégoire le Grand a nommée sans aucune gêne apostola apostolorum, l’apôtre pascale des apôtres, eux-mêmes un peu lents à croire. Ni Madeleine, ni S. André ne mettent en péril le charisme pétrinien, pas plus que S. Paul dont la figure pleine de fougue est fêtée ce matin en même temps que le privilège de Pierre de confirmer ses frères dans la foi.

Tous ont suivi l’Agneau de Dieu partout où Il les menait. Le Baptiste l’a nommé ainsi pour nous orienter tous vers l’unique Rédempteur : ne fallait-il pas qu’il souffrit ainsi pour entrer dans sa Gloire et nous la faire partager. Pourtant nous savons que, malgré les prévenances dont il bénéficia, Pierre eut bien du mal à comprendre le lien entre la Croix et la Gloire. Les Juifs résistèrent au dogme eucharistique tiré pourtant tout droit de la manne de leurs Pères, ces paroles étant trop dures pour eux, tout comme les diverses prédictions de la Passion scandalisaient Pierre. Néanmoins, face aux juifs réticents, il sut s’en remettre totalement au Seigneur : À qui irions-nous, vous avez les paroles de la vie éternelle (Jn. 6,68).

Nul doute que Pierre, bien humilié désormais, eut sa bonne leçon de catéchisme sur la Rédemption en fin de matinée à Pâques, avant que le Seigneur ne la donnât à Cléophas et son compagnon sur la route d’Émmaüs (Cf. Luc 24,26). Pierre après Pâques, après Pentecôte surtout, confirme ses frères, et ses successeurs bénéficient du charisme de déclarer le contenu de la révélation comme une manne nécessaire à chaque siècle, sous la conduite de Marie, Mère de Jésus et Mère de l’Église, amen.