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Solennité de saint Pierre et saint Paul
Jeudi 29 Juin 2023
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.
Mes bien chers frères et sœurs,
Mes très chers fils,
Jésus demande à ses disciples « Et à votre regard, qui suis-je ? ». Simon-Pierre prend la parole pour confesser la vraie foi. Nous le voyons intérieurement poussé à se faire le porte-parole du groupe : sa nature impétueuse semble l’avoir préparé pour cela. Mais son cœur n’est pas encore purifié, et une part de présomption l’anime toujours.
Alors Jésus le ramène doucement à sa place, avec un divin doigté, par une bénédiction : « Vous êtes béni, Simon. Vous êtes béni, mais ce que ce que vous venez de dire, cela ne vient pas de vous, qui n’êtes encore qu’infirmité par la vulnérabilité de votre chair, vous n’êtes que tempête par la chaleur de votre sang. Ce que vous venez de dire, vous l’avez pourtant dit dans la docilité à mon Père, qui règne au Ciel. »
Le Seigneur Jésus promet alors à Simon qu’un jour il sera la pierre stable infailliblement fixée au Verbe de Dieu. Il sera le fondement fiable sur lequel Dieu lui-même édifiera sa chère Église au long des siècles. Mais Simon doit encore fournir tout un chemin avant d’accepter de descendre ainsi sous terre, d’être posé et immobilisé au dessous de toutes les autres pierres vivantes. Ce chemin sera jalonné des circonstances humiliantes de la Passion de son Seigneur. Car Pierre y reniera trois fois. Trois fois, il dira qu’il ne connaît pas cet homme. Trois fois, il manquera l’occasion de proclamer : « Cet homme que vous maltraitez, il est le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Et le doux regard de Jésus bafoué fera revenir Pierre à lui-même et à la bassesse de sa condition. Pierre pleure. Il laisse entrer en lui les sentiments d’une profonde humilité, et Dieu sait qu’il peut dès lors lui faire confiance.
C’est pourquoi après sa Résurrection, Jésus institue finalement Pierre chef de son Église. Il l’interroge trois fois : « Pierre m’aimez-vous plus que ceux-ci ? ». Et Pierre, doucement, humblement, répond : « Seigneur, vous, vous savez tout, vous savez bien que je vous aime. » Saint Pierre est peiné. Mais cette peine ne tourne pas chez lui en dépit. Il est davantage peiné par sa propre trahison que par l’insistance de Jésus.
La première confession de foi, à Césarée, avait été très personnelle et très théorique. Pierre avait affirmé ce qu’il savait de Jésus. Ici, ce n’est plus seulement de doctrine qu’il est question, mais d’amour. Et saint Pierre est dégagé de son individualisme : il est constitué en lien indéfectible avec ses frères dont il doit prendre soin comme d’un troupeau. « Maintenant, explique Dom Delatte, le troisième Abbé de Solesmes, le Seigneur veut faire quelque chose de plus qu’un docteur ; il est facile de constituer un docteur, il suffit d’avoir une parole de vérité, mais il faut autre chose pour faire un pasteur, et c’est ce que le Seigneur veut faire1. »
Et la connaissance aussi a changé de direction. Ce n’est plus tant ce que Pierre pense du Seigneur qui compte, mais la connaissance que le Seigneur a de l’amour de Pierre : « Seigneur, vous, vous savez tout, vous savez bien que je vous aime. »
La foi de Pierre est alors garantie sans erreur dans la mesure où il aime le Seigneur plus que les autres apôtres. Le Seigneur Jésus demande à saint Pierre d’être éminent en charité. L’affection de saint Pierre doit être plus grande que l’affection des autres apôtres pour le Seigneur. Pourquoi cela ? Dom Delatte, quand il commente ce passage aux moniales de Sainte-Cécile, trouve une aimable explication :
Ce plus his, « plus que ceux-ci, plus que vos frères », est une sorte de piège infiniment délicat et habile, et en même temps très tendre du Seigneur ; il veut ménager à l’Apôtre l’occasion de se mettre une fois encore au-dessus de ses frères, comme [à Césarée] il s’y était mis une première fois, de lui-même, sans en être sollicité. Par ce procédé infiniment divin et délicat, le Seigneur avait le dessein de calquer, de mesurer aux conditions du reniement, les conditions de la protestation, et il fournit à l’Apôtre saint Pierre une occasion de témérité, de présomption ; une occasion de s’élever au-dessus des autres. Diligis me plus his ? Remarquez que l’Apôtre y était invité par le Seigneur même, je crois qu’il aurait pu répondre : « Oui, je vous aime plus que tous » ; mais, même après y avoir été invité par le Seigneur, dans une prudence surnaturelle et vraiment opportune, l’Apôtre n’établit aucune comparaison entre lui et les autres. Ce n’est pas une affirmation de foi qui est demandé ici, c’est une affirmation de charité, de tendresse.
Nous sommes chacun constitués en responsabilité sur un petit domaine, ne serait-ce que sur notre propre vie. Et cette responsabilité, qui vient de Dieu, ne peut s’appuyer que sur un amour humble du Seigneur Jésus. Saurons-nous redire chacun dans notre cœur, avec la Vierge Marie, avec saint Pierre, et avec saint Paul dont c’est aussi la fête : « Seigneur, vous, vous savez tout, vous savez bien que je vous aime. » ?
Amen.
1Dom Delatte, Commentaire sur saint Jean, aux moniales de Sainte-Cécile, in hoc loco.