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Solennité de la Toussaint, Notre Dame de TRIORS,
dimanche 1er novembre 2020.
Nous venons d’entendre le début du sermon sur la Montagne, introduit par un exorde solennel (Mt. 5,1-12). Le Seigneur y rejoint son auditoire en profondeur. Derrière la foule, il voit en effet l’humanité de tous les temps, il nous voit donc tous ce matin. Il voit la foule, il monte sur la montagne, il s’assoit, ce qui, pour S. Augustin, indique sa dignité de docteur et de maître; puis les disciples approchent afin d’entendre de plus près et proclamer ensuite la Bonne Nouvelle à toute la création, comme écrira S. Marc (16,15).
Le Maître prend alors la parole et il enseigne, proclamant la Loi nouvelle par les huit béatitudes que complète la neuvième. Sur ce nouveau Sinaï, il y a ici plus que Moïse pour nous énoncer la Loi définitive. La dernière béatitude, un peu à part, est adressée à la 2ème personne du pluriel ; elle nous est donc adressée : Bienheureux êtes-vous, quand tout se mettra en travers et semblera se conjuguer contre vous, ce qui arrive trop souvent. Le Golgotha se présente derrière le Mont des Béatitudes. Le prix de l’imitation de Jésus est dit ici sans fard : oui dans sa pensée, il n’y a visiblement qu’un pas entre les deux Monts.
Le Seigneur Jésus inaugure sa mission ; le voilà qui se met à l’ouvrage. On le dirait heureux et à son aise comme un charpentier, dit S. Jean Chrysostome, qui verrait un bel arbre capable de faire un chef d’œuvre. Jésus est là, voyant bien la foule, videns turbas. En écho, l’Apocalypse fait admirer le résultat de sa moisson, avec l’immense foule des saints, vidi turbam magnam (Ap. 7,9). Celle-ci est impossible à dénombrer, elle est à l’échelle de ce qu’entrevoit l’évangile de ce matin, à la hauteur du désir intense et impatient de Jésus de nous voir tous toutt à Lui, desiderio desideravi (Luc 22,15).
Avant la neuvième béatitude qui s’adresse donc à chacun de nous, les huit premières forment un tout ordonné, orienté vers l’ultime, comme pour tempérer l’effroi devant les menaces évoquées, avec le risque de fuir et de l’esquiver. Enfin, la première comme la huitième est conclue pareillement, le Royaume des cieux est à eux. Toutes deux, elles enchâssent l’ensemble en vue de préparer les esprits aux exigences de la dernière : le Seigneur se fait excellemment pédagogue. Le Royaume est promis, mais aux pauvres en esprit, le Royaume est ouvert, mais pour les persécutés : oui, car leur précarité, leur épreuve les configure au Grand Patient, à savoir Jésus en Croix, après avoir été le Maître sur la Montagne. Par la blessure de son Cœur ouvert, il se montre à nous comme le premier de cordée vers le Royaume. Il nous tire nous aussi avec nos épreuves, connues ou cachées.
La dernière béatitude est en effet celle du martyre. Tous, nous y sommes appelés d’une façon ou d’une autre. Donne ton sang et reçois l’Esprit, dit un Père du désert, comparant le labeur spirituel à une agonie. Le martyre au sens strict, le martyre sanglant fut d’emblée l’apanage des premiers siècles ; la liturgie de ce jour s’en ressent, dédiée dans l’Antiquité à la Reine de martyrs. Pourtant le voici de retour sous nos yeux comme l’ont remarqué les papes de Jean-Paul II au Pape François inclus.
De façon étrange et merveilleuse à la fois, la dernière béatitude éclaire alors l’âpre actualité avec ses énigmes sévèrement meurtrières. À dire vrai, depuis de longues décennies, notre pays s’appuie ostensiblement sur des principes savamment ambigüs, prêts à verser le sang. Exemple flagrant : le fallacieux droit au blasphème, prétendument fleuron de notre société des lumières, se révèle brutalement n’être qu’une torche allumant une poudrière : ridiculiser ce qui est le plus précieux pour l’autre ne saurait jamais semer la paix. Et il y a pourtant pire, quand le désordre moral est entretenu de façon législative, là est la source d’une guerre redoutable.
À l’orée de son ministère papal, Benoît XVI dénonçait la dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Et il déplorait qu’on vante ce relativisme comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle : se laisser entraîner à tout vent de doctrine (18 avril 2005). Dans sa récente encyclique (Fratelli tutti, n° 206), le pape François insiste : Le relativisme n’est pas une solution. Sous le couvert d’une prétendue tolérance, il finit par permettre que les valeurs morales soient interprétées par les puissants selon les convenances du moment.
Le vice a toujours été la voie facile qui mène à l’abîme, et il coûte cher à tous points de vue. La vertu en revanche qui paraît difficile et requiert de l’effort, donne la joie de s’être dépassé, sans rien coûter à la société. Mieux, l’énergie morale profite ensuite au bien de tous, prêt à éponger le sang et adoucir la panique. Le pape émérite comme son successeur nous encourage : Allez à contre-courant, n’écoutez pas les voix qui sont nombreuses à faire la propagande de modèles de vie fondés sur l’arrogance et la violence, le succès à tout prix, l’apparence et les possessions matérielles (Benoît XVI). Gavés de connexions, nous avons perdu le goût de la fraternité, vient de nous dire la Pape (Fratelli Tutti, N°33).
Pas de religion d’État, pas d’irréligion d’État, disait Aristide Briand en 1905 pour maquiller la laïcité d’un visage neutre et aimable. Mais celle d’aujourd’hui en ridiculisant le respect, nous met tous en péril grave. Alors tout est piétiné dans la société, la famille, la vie naissante et la vie à son automne, en vantant au passage l’homosexualité que l’on prétend apaiser en la légalisant comme un état normal et naturel : justifier par la loi tous les désordres, ne saurait jamais créer l’ordre, le droit lui-même se corrompt à ce jeu sinistre. Tout cela finit de façon sanglante, dans la rue ou même à l’église.
Au lieu d’aider l’homme blessé du chemin, on avive ses blessures et on l’empêche de voir que réellement, profondément, la vie est belle : elle est toujours belle et plus que nous ne pouvons le dire, comme nous le crient chacune des béatitudes : puisse notre société les laisser crier et convaincre chaque âme éprouvée. À dire vrai, l’Immaculée verse sur ce monde la beauté synthétique du beati mudo corde, son Cœur très Pur fait voir Dieu à ceux qui se mettent à son école, amen.