+

Solennité du trépas de
Notre Bienheureux Père saint Benoît

Mardi 21 Mars 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Saint Pierre demande quelle récompense sera donnée à ceux qui, comme lui, ont tout quitté pour suivre le Seigneur Jésus. En réponse, Jésus se plaît à faire le détail de ce qu’ils ont quitté : une à une, il énumère les merveilles qui lui ont été offertes en bloc dans un holocauste complet : les affections familiales, la joie d’un foyer et celles d’une fécondité humaine, et enfin l’usage des biens matériels. En récompense est donnée la vie éternelle, la parfaite communion avec Dieu dans l’Église.

Notre bienheureux Père Saint Benoît a obtenu cette vie. Auprès de la Trinité, il adore et il intercède pour nous. Et nous fêtons aujourd’hui le jour béni où il a été invité à recevoir cette récompense bienheureuse. Saint Grégoire le Grand nous a décrit avec beauté la mort de saint Benoît1. Passage sans heurt dans une atmosphère de prière, ce trépas reflète la vie entière du Père des moines d’Occident. Dieu a donné en cette heure dernière un résumé de la personnalité de son Serviteur. Dom Delatte souligne à quel point la providence de Dieu veille sur chaque mort :

[La Providence] composera notre mort et en fera toutes les circonstances. […] Tout est posé de Dieu. Il y aura dans ma mort des caractères spéciaux, individuels, qui seront propres à ma mort et la distingueront de toute autre. Je mourrai à une heure donnée, à un âge défini, d’un accident, d’une maladie, d’une souffrance qui auront été prévues pour moi, dans des conditions intérieures et extérieures prévues par Dieu, voulues de Dieu ; je mourrai d’une mort qui répondra à ma vie ; mais je sais à n’en pas douter que la physionomie de mon départ aura été dessinée par Dieu, définie par lui. C’est lui qui m’appellera lorsqu’il jugera bon ; et il appelle ses brebis par leur nom2.

Considérer la mort en face, c’est aussi lui rendre son vrai visage de rencontre et répondre aux faux débats actuels qui veulent mettre la main sur cette heure sacrée. L’homme n’a pas prise sur l’heure mais il peut et il doit s’y préparer par une bonne vie. La mort reflète la manière de vivre. Examinons donc de près la mort de notre Bienheureux Père.

Aux derniers temps de sa vie, saint Benoît avait mis une dernière main à la rédaction de sa Règle, remarquable par sa « discrétion et sa clarté ». Les ultimes semaines ont été marquées par l’affection fraternelle : au parloir avec sa sœur sainte Scholastique, et dans ses entretiens avec l’Abbé Servandus, qui était pour lui tant un disciple qu’un frère spirituel. Ces échanges étaient marqués par le désir du ciel : les deux Abbés « s’imprégnaient mutuellement des douces paroles de la vie, et, cette suave nourriture de la patrie céleste dont ils ne pouvaient jouir encore parfaitement, ils la goûtaient du moins en soupirant après elle3. » L’homme de Dieu est alors si profondément uni à son Seigneur qu’au cours d’une prière nocturne à la fenêtre de sa cellule, il lui est donné de voir le monde entier ramassé en un rayon.

Pour l’âme qui voit le Créateur — dit saint Grégoire —, toute créature paraît bien exiguë. En effet bien que cette âme n’ait contemplé qu’un faible rayonnement de la lumière du Créateur, tout le créé se réduit pour elle à de petites proportions.

Avec une grande délicatesse, saint Benoît appelle alors l’Abbé Servandus pour le faire profiter aussi de cette grâce. Mais cette charité fraternelle savait aussi s’envelopper aussi de silence. Dieu avait informé son serviteur de la date de sa mort, si bien qu’il s’y préparait avec davantage de ferveur : « Six jours avant son départ, il s’était fait ouvrir son tombeau », mais il avait imposé la discrétion à ses confidents.

Avec la charité et le silence, saint Benoît fait preuve aussi de patience et accueille l’accablement des accès de fièvre. Il donne un acquiescement humble filial à toutes les dispositions de Dieu. Par cette patience il s’identifie au Christ souffrant et participe à sa Passion.

Il garde aussi une grande piété. Il se fait porter à l’oratoire où il a recours aux sacrements, la source fondamentale de la vie surnaturelle : « il s’assure pour son départ en recevant le Corps et le Sang du Seigneur ». Saint Benoît sait la valeur du viatique. Il aurait pu dire, avec Dom Delatte :

Je ne porterai à Dieu que mon âme créée par lui et les œuvres qu’il aime, les œuvres qui me sont venues de lui. […] Je lui porterai ma foi, mon espérance et ma charité. Je lui porterai ma vie surnaturelle, ma grâce sanctifiante, le bénéfice de mes confessions, le fruit de mes communions. C’est pourtant vrai cela : mon âme aura été chaque jour trempée dans la pourpre du sang de Dieu. Avec mon seul baptême, je serais allé vers Dieu avec confiance, comme vers un Père, comme vers une Mère : et voici que je m’en vais vers lui avec le fruit de mes communions, avec une âme toute baignée et toute pénétrée de la beauté du sang de son Fils4.

Et sa prière se poursuit sans interruption jusqu’au dernier instant. Père des cénobites, il fait de cette prière et de sa mort-même une œuvre conventuelle. « Entouré de ses disciples qui soutenaient de leurs mains ses membres affaiblis, il rend le dernier souffle en prononçant des paroles de prière ». Aujourd’hui, rappelons-nous qu’il suffit d’être homme pour sentir qu’on n’abandonne pas un mourant.

Saint Grégoire nous dit qu’à cet instant, deux moines virent « Benoît, le bien-aimé de Dieu » monter au ciel sur une « voie recouverte de tissus précieux et illuminée de lampes innombrables, s’étendait de sa cellule jusqu’au ciel, empruntant un chemin tout droit, à l’Orient ». Les tissus précieux et lampes sont les honneurs d’accueil rendus au saint. Ils sont aussi la manifestation des mérites de sa vie. Car si saint Benoît avait souhaité se contenter d’habits grossiers5, il avait aussi voulu que les âmes se revêtent des plus belles parures des vertus et de la science. Et il a organisé la vie monastique de telle sorte que nos lampes demeurent allumées jusqu’au matin6, brillant des bonnes œuvres. Il a suivi une voie droite de sa cellule jusqu’au ciel, sans complication, sans se donner aux créatures. Nos cellules, et plus largement notre clôture, sont le point de départ d’un voyage assuré vers le ciel. Le Cloître n’est ouvert que vers le haut.

Demandons à Marie, la reine des moines, la grâce de revenir souvent à nos sources monastiques, qui nous indiquent et le chemin et le terme béni.

Amen.

1Cf. saint Grégoire le Grand, Vie de Notre Bienheureux Père, ch. 37.

2Dom Delatte, Notes sur la vie spirituelle, p. 173.

3saint Grégoire le Grand, Vie de Notre Bienheureux Père, ch. 35.

4Dom Delatte, Notes sur la vie spirituelle, p. 173.

5Cf. Saint Benoît, Règle, c. 55.

6Cf. Saint Benoît, Règle, c. 22.