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Solennité du trépas de
Notre Bienheureux Père saint Benoît
Jeudi 21 mars 2024
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.
Mes bien chers frères et sœurs,
Mes très chers fils,
Saint Pierre a osé poser ouvertement au Seigneur la question qui travaille le cœur de chacun. Car les disciples commencent à comprendre que suivre le Seigneur, c’est assumer des renoncements radicaux, des renoncements insensés aux yeux de la pauvre raison humaine. Quel avantage en retour peut donc justifier l’abandon des biens les plus chers à l’homme ?
La réponse du Seigneur fait appel à notre foi : il promet la vie éternelle, c’est à dire la communion avec le Père, par lui le Christ, dans le Saint-Esprit. Il promet aussi le centuple surnaturel des biens naturels laissés de côté. Il rétablit en fin de compte la hiérarchie des biens.
Il ne nous incite pas seulement à rompre avec l’esclavage du péché, mais encore à renoncer à certains biens naturels, et cela coûte.
Dans cette perspective notre Bienheureux Père a organisé la vie monastique pour nous ramener tout entiers à Dieu, et cela au prix d’une certaine souffrance.
Alors ce matin, regardons la présence de la souffrance dans la vie de saint Benoît et dans sa Règle. De la sorte, nous vivrons la solennité d’aujourd’hui dans la luminosité de ce temps de la Passion du Seigneur.
De même qu’il y a pour saint Benoît un mauvais et un bon zèle, il y a aussi une mauvaise et une bonne souffrance. La mauvaise souffrance, c’est celle qui taraude le cœur quand il s’éloigne toujours plus de Dieu et s’en va à l’enfer. La bonne souffrance en revanche, « sépare des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle1 ».
Nous savons par saint Grégoire le Grand que saint Benoît a souffert volontairement le feu d’un buisson d’épines pour se séparer du vice, pour être délivré de l’incendie intérieur d’une passion impure2. Et d’une manière générale, le Père des moines d’Occident nous enseigne cette souffrance assumée volontairement dans le but de revenir à Dieu. Son dixième instrument ne demande-t-il pas au moine de « se renoncer soi-même pour suivre le Christ3 » ?
« Pour suivre le Christ ». En effet, la souffrance n’a de sens que si elle nous permet de rejoindre le Seigneur Jésus. La phrase qui clôt le Prologue de notre Règle l’indique avec concision : « On communie, par la patience, aux souffrances du Christ, afin de mériter d’avoir part aussi à son royaume4. »
Oui, notre patience est fréquemment sollicitée. Le quatrième degré d’humilité nous prévient en citant le Psaume 43e : « “À cause de vous [mon Dieu], la mort nous guette tout le long du jour, on nous traite comme des brebis vouées à la boucherie”. Et, dans la ferme espérance du dédommagement divin, [nos] âmes poursuivent, joyeuses, le texte sacré : “Mais, en toutes ces souffrances, nous triomphons, à cause de Celui qui nous a aimés”5 ».
C’est vraiment grâce à l’amour de Dieu que nous triomphons, et nous rejoignons le Christ, le Christ obéissant. « Une obéissance immédiate est […] le propre de ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ6 ». Oui, nous voulons nous « soumettre pour l’amour de Dieu, en toute obéissance, au supérieur, imitant le Seigneur, de qui l’Apôtre a dit : “Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort”7 ».
L’armée des obéissants a un chef, le Seigneur lui-même, qui est le premier obéissant ; et saint Benoît engage tout nouveau venu, pour « militer sous le Seigneur Christ, le vrai Roi, [à prendre] en main les très fortes et nobles armes de l’obéissance8 ».
Le Seigneur nous montre donc l’exemple du renoncement. La Règle nous rappelle que nos services rendus au prochains atteignent le Seigneur qui souffre : les hôtes et les malades sont vraiment pour nous le Christ qui manque d’un toit et qui pâtit dans son corps.
La croix a donc sa présence dans notre vie. Quand nous sommes crucifiés par des personnes haineuses, le soixante-dixième instrument des bonnes œuvres nous ramène à la prière de Jésus en croix, et demande de « prier pour ses ennemis, dans la charité du Christ9 ».
Oui, la croix est présente dans nos vies, comme elle l’a été dans celle de notre Bienheureux Père. Il a souffert des faux frères et des adversaires extérieurs. Il a su employer la croix pour mettre en déroute l’ennemi du genre humain, le diable. D’un signe de croix, il chasse un merle importun. D’un signe de croix, il bénit un vase empoisonné, et cette bénédiction au moyen du signe de la Vie a brisé le vase de mort. Les bénédictions chassent ce qui est mauvais, et favorisent ce qui est bon.
Enfin, la mort même du patriarche est une participation de celle du Seigneur Jésus. Quelques instants avant de mourir, « il se fait porter par ses disciples à l’oratoire et là, il s’assure pour son départ en recevant le Corps et le Sang du Seigneur, puis, entouré de ses disciples qui soutiennent de leurs mains ses membres affaiblis, il rend le dernier souffle en prononçant des paroles de prière10 ».
Que la Vierge Marie nous enseigne à prononcer chaque jour les petits Fiat, ces petits « Oui » par lesquels nous acceptons les souffrances quotidiennes. Que cette Mère bénie et compatissante nous aide à traverser les passages resserrés où nous devons abandonner une part de notre encombrant barda, pour pouvoir ensuite, légers, le cœur dilaté, « dans l’ineffable douceur de l’amour, poursuivre notre course sur la voie des commandements divins11 ».
Amen.
1Saint Benoît, Sainte Règle, c. 72.
2Cf. Saint Grégoire le Grand, Dialogues, l. 2 Vie de Notre Bienheureux Père, c. 2.
3Saint Benoît, Sainte Règle, c. 4.
4Saint Benoît, Sainte Règle, Prologue.
5Saint Benoît, Sainte Règle, c. 7.
6Saint Benoît, Sainte Règle, c. 5.
7Saint Benoît, Sainte Règle, c. 7, 3e degré.
8Saint Benoît, Sainte Règle, Prologue.
9Saint Benoît, Sainte Règle, c. 4.
10Saint Grégoire le Grand, Dialogues, l. 2 Vie de Notre Bienheureux Père, c. 37.
11Saint Benoît, Sainte Règle, Prologue.