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Vigile pascale

Nuit de Pâques, Samedi 30 – Dimanche 31 mars 2024

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Après la liturgie du feu pascal, lumière vivante qui a fait échec aux ténèbres de la mort, après le chant de l’Exultet, nous avons entendu quatre lectures bibliques. Ces lectures de la vigile pascale portent le nom traditionnel de prophéties. Elles s’appellent prophéties parce qu’elles annoncent la grande victoire de Dieu sur le péché et sur la mort, elles annoncent la restauration de l’alliance entre Dieu et les hommes. Oui, selon les écritures, il fallait que le Christ traversât ainsi son mystère pascal, rétablissant l’alliance par l’obéissance dans la souffrance et par le renversement de l’empire de la mort.

Mais la première de ces lectures n’a fait que retracer les six jours de la création. C’est étonnant. Comment peut-on dire qu’il s’agisse vraiment d’une prophétie ?

Essayons de creuser cette question : comment le récit de la création prophétise-t-il le mystère de Pâques que nous célébrons avec joie cette nuit ?

C’est toujours à l’instant de la fondation d’une chose qu’est déterminée sa direction. Au moment de la conception d’un enfant, par exemple, tout en lui est déjà orienté vers son développement personnel unique. L’unique cellule qui le compose ne se développera pas en poisson ou en agneau, non, elle a déjà dignité de personne humaine, dont la vie innocente doit absolument être protégée. De même, dès l’origine, la création porte en elle le message, le programme de sa vocation. Elle est constituée avec une admirable harmonie pour servir d’écrin et de terreau à l’alliance entre Dieu et la créature humaine. Dès l’origine, la création nous parle d’alliance. Comment peut-on dire cela ?

Allons demander à saint Jean, un des témoins les plus immédiats de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus. Il commence son Évangile par la phrase : « Au commencement était le Verbe », le Logos, la Raison, la Parole. Et le texte de la Genèse nous montre cette parole à l’œuvre dans la création. Chaque phase de création est introduite par les mots : « Dieu dit ». C’est une parole efficace : Dieu dit et la chose est faite. C’est une parole qui est à l’origine de tout être créé.

Nous autres, nous avons l’habitude de voir les artisans œuvrer sans parler, leur chef-d’œuvre sortant peu à peu de leurs mains, sous leur regard appliqué.

Mais Dieu parle. Il se dit et il s’adresse à quelqu’un. Il s’adresse à lui-même, et il s’adresse à la créature elle-même. Il fait alliance dès l’origine. Le récit de la création nous parle d’alliance. Le résultat de la création, que nous admirons chaque jour dans sa beauté, nous parle de l’amour du Créateur. Benoît xvi l’a dit :

La création et l’histoire laissent transparaître l’essentiel. Ainsi, elles nous prennent par la main et nous conduisent vers le Christ, elles nous montrent la vraie lumière. […] L’alliance, la communion entre Dieu et l’homme, est prévue au plus profond de la création1.

Dieu n’a pas fait irruption dans le monde et dans l’histoire des hommes à partir seulement d’Abraham ou de Moïse, quand Dieu s’est constitué un peuple choisi. Il n’y a pas eu auparavant tout une immense période où le cosmos et Dieu étaient comme étrangers l’un à l’autre. Dans le Credo, l’Église confesse au contraire dès les premiers mots sa foi dans le Créateur (et donc dans la bonté de la création à soigner). Si Dieu est Créateur du Ciel et de la terre, c’est que la création est en relation avec lui.

À la fin de la création, Dieu voit que tout ce qu’il avait fait était très bon et, le septième jour, il se repose. Dans ce détail aussi le texte est prophétique. Le repos sabbatique est le temps de la nécessaire gratuité, de la relation avec Dieu, de la joie prise en commun. Il est devenu sacré dans la religion juive. Et il est important que l’on entende parler de cette institution du repos sabbatique en cette nuit qui nous mène du grand Sabbat au Dimanche de Pâque. Car si l’Église a transféré ce repos au premier jour de la semaine, cela signifie qu’il y a eu, en ce jour, un événement inouï plus grand encore que la création : la rencontre avec le Créateur qui reprend en main sa création et la rend victorieuse de la mort qui la blessait depuis le péché des origines. Le Pape Benoît xvi nous donnait ce développement :

La structure de la semaine […] n’est plus dirigée vers le septième jour, pour y participer au repos de Dieu. Elle commence par le premier jour comme jour de la rencontre avec le Ressuscité. Cette rencontre se renouvelle sans cesse dans la célébration de l’Eucharistie, où le Seigneur vient de nouveau au milieu des siens et se donne à eux, se laisse, pour ainsi dire, toucher par eux, se met à table avec eux. […] Cette rencontre, en effet, avait en soi quelque chose de bouleversant. Le monde était changé. Celui qui était mort vivait d’une vie qui n’était plus menacée d’aucune mort. Une nouvelle forme de vie, une nouvelle dimension de la création, avait été inaugurée. Le premier jour, selon le récit de la Genèse, est le jour où commence la création. À présent il était devenu d’une façon nouvelle le jour de la création, il était devenu le jour de la nouvelle création2.

Enfin, la première prophétie nous rappelle que Dieu est Créateur et qu’il possède donc toute la création dans sa main. Il est tout puissant et nous pouvons avoir confiance en lui. Il est maître de la vie, qu’il peut nous donner pour l’éternité. C’est le premier trait par lequel le récit de la création rejoint la victoire de la vie que nous célébrons cette nuit.

La Vierge Marie aussi a été témoin d’un premier instant, le premier instant de l’Incarnation, qui ouvre l’ère de la Rédemption, quand elle a dit « Oui » à l’Ange. Elle a été témoin du premier instant de la Passion, quand son Fils a célébré sa Pâque avec ses disciples. Elle a été témoin du premier instant du sacrifice de Jésus, et du premier instant de sa vie ressuscitée. En ce premier instant, toute la vie de l’Église est résumée, toute l’Alliance nouvelle et éternelle est déjà établie. Que Notre Dame nous donne part à la joie et à l’exultation qui l’habitent depuis. Avec elle, chantons sans cesse le Magnificat, en ces premières heures du temps pascal.

Amen, Alléluia.

1Benoît xvi, vigile pascale 2011, texte qui inspire toute la présente homélie.

2Benoît xvi, vigile pascale 2011.