Solennité de la Translation de N. Bx Père St Benoît, mardi 11 juillet 2017.

+

Solennité de la Translation de N. Bx Père St Benoît,

Notre Dame de Triors, mardi 11 juillet 2017.

 

 

Mes très chers Fils,

Nulle paternité spirituelle au monde n’a ressemblé à la Paternité divine comme celle de saint Benoît (D. Delatte, com. p. 2). Ce propos bien connu est très juste, éclairant largement l’histoire de l’Église, puisque Dieu a disposé de telle sorte les événements historiques que chacun des Ordres religieux est venu s’attacher à lui en quelque manière, à l’école de sa paternité (id°). Dieu a voulu en user pour déverser par lui sur une bonne part de la chrétienté les fruits de l’Incarnation rédemptrice. Non pas, pour autant, que St Benoît ait atteint la plus grande sainteté possible : celle de Notre Dame la dépasse évidemment, et St Grégoire son biographe raconte la rencontre où sa sœur fut exaucée pour avoir mieux aimé le Seigneur (Vita c. 33). Mais nous fêtons ce matin une sainteté patriarcale, c’est-à-dire le rayonnement que le Bon Dieu a voulu lui accorder pour servir de façon si particulière ses desseins.

Alors qui donc est-il, et comment comprendre une sainteté si singulière ? La Règle nous donne la réponse, puisque selon la remarque de S Grégoire le saint homme était incapable d’enseigner autrement qu’il ne vivait (Vita c. 36) ; et également le récit de sa Vie en laquelle le saint pape décrit sa beauté morale, son tempérament et presque ses traits eux-mêmes (Cf. com. p. I).

Ces références que nous connaissons tous permettent d’entrer dans l’évangile de cette messe, et plus spécialement de comprendre un peu l’expression in regeneratione. Sans angoisse ni esprit mercantile, St Pierre pose une question sur son avenir ; il parle au nom des autres Apôtres, au nom aussi de tous les pauvres volontaires qui cherchent Dieu en suivant Jésus sur un chemin dont les méandres peuvent être déconcertants. Pour St Benoît, ce furent les étapes qu’il ne pouvait prévoir en quittant Rome et ses dangers : après Enfide, ce fut Subiaco, mais aussi Vicovaro, et enfin le Cassin, étapes où il fut mis peu à peu comme sur un chandelier pour éclairer au loin (Cf. Vie c.6). Il fait penser à Abraham, chaque étape était dans la main de Dieu, guidée par Lui, ce qui ne veut pas dire pour le confort de sa nature. Dieu l’a mené d’arrachement en arrachement, lui faisant mériter une grâce spéciale dont ses fils bénéficient maintenant. Car nous autres, nous bénéficions grâce à lui de notre vœu de stabilité : il nous épargne ainsi ses propres tâtonnements qu’on ne saurait affronter sans les grâces exceptionnelles dont il fut gratifiées. Abraham et les Patriarches marchent devant, comme la colonne de nuée dans le désert, mettant en sécurité ceux qui les suivent.

L’expérience de N Bx Père pénètre de la sorte le mystère de notre évangile caché sous l’expression in regeneratione. L’Ancien Testament attendait une telle rénovation, une « nouvelle donne » de l’Histoire sainte dont les Juifs étaient pourtant déjà si fiers, et à juste titre. Peut-être l’attendaient-ils dans une perspective trop matérielle, écoutant trop mollement les Prophètes. Mais Jésus est venu de fait pour l’accomplir : Voici que je viens faire toutes choses nouvelles, dit-il dans l’Apocalypse (21,5), et St Pierre qui regimba si longtemps contre le mystère de la Croix liée à cette régénération, écrit aux premiers chrétiens : Nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera (II Pi. 3,15). Le baptisé l’attend de la vie éternelle, il le vit déjà de façon inchoative, le consacré en a déjà la primeur.

St Hilaire lit l’expression in regeneratione dans cette perspective eschatologique : les apôtres avaient suivi Jésus au baptême régénérateur, écrit-il (in Mt. XX,4), à la sanctification par la foi, à l’adoption qui faisait d’eux ses cohéritiers comme dit St Paul ; ils devaient ainsi le suivre à la résurrection d’entre les morts, qui doit sanctionner cette rénovation : toutes choses que seul Jésus pouvait donner, et non pas la Loi close sur elle-même, toutes choses qui devaient les conduire à une gloire supérieure à celle des Patriarches anciens, souches des douze tribus d’Israël. La régénération ne sera donc complète qu’à la résurrection finale de la chair, indique aussi St Jérôme (in h.l.), quand les morts ressusciteront de la corruption, désormais incorruptibles, quand la chair sera renouvelée par cette incorruptibilité comme l’âme l’est déjà par la foi.

Devant le premier Concile, tenu à Jérusalem, St Pierre affirme la puissance de la foi venue de Dieu pour nous ramener à Lui et nous préparer à la vision dans le ciel, fide purificans corda eorum (Act. 15,9) : tout comme le peuple élu de jadis, les païens en s’ouvrant à la foi, remarque St Pierre, bénéficiaient eux aussi de ce processus divin de purification du cœur. Partout la foi est un grain de sénevé qui renouvelle complètement la vie morale et féconde notre potager intérieur. À la suite des païens d’Antioche, les moines ont comme programme la pureté du cœur que Dieu accorde avec l’exercice plénier de la foi (Cf. Cassien, Conf. 1). N Bx Père nous inscrit dans ce mouvement de sainteté enclenché dès les temps apostoliques ; il la fait rayonner en tant que Patriarche. La vie monastique entreprise en Orient au IVième siècle a été codifiée par N Bx Père dans sa Règle, et sa Vie nous montre comment il l’a vécue.

Quand nous mettons nos pas à notre tour en ce chemin de foi, la « régénération » nous est offerte, au terme du combat spirituel. L’humilité donne alors à la foi de dégager toute son énergie théologale. Selon l’indication de la Règle, le désir très vif des choses éternelles devient un instrument spontané de l’art spirituel (RB IV/46) et VII/1). St Benoît est comme Abraham, premier de cordée, Patriarche pour tous les croyants. Néanmoins l’un et l’autre sont précédés bien sûr par Notre Dame, Immaculée Conception. C’est avec Elle et en Elle que nous pouvons saisir l’enjeu de la vie de foi et son beau développement de régénération, joignant notre Suscipe à son Fiat et à son Ecce ancilla Domini, amen.

Homélie pour le centenaire de Fatima, Vendredi 13 mai 2017

Vendredi 13 mai 2017, messe du centenaire de Fatima.

 

 

 

 

 

Mes bien chers fils,

 

Notre Dame garde tout dans son Cœur Immaculé (Luc 2,19). Cela veut dire que tout ce qu’Elle voit, tout ce qu’Elle touche, Elle le rapporte à la cause divine qui nous donne d’être et d’agir. Par Elle, rien alors n’échappe à la causalité de la Bonté divine et tout est bien. L’Immaculée a pour vocation de nous donner Jésus, le Sauveur : salut divin qui ménage ainsi toutes choses pour que la Bonté divine en soit très satisfaite. De tout, cette Bonté attend de pouvoir dire comme à l’origine, que son plan a réussi, que tout est achevé, erant valde bona – consummatum est (Gen. 1,31 & Jn. 19,30). C’est alors le triomphe du Cœur Immaculé et le Dominus regnavit parfait.

 

La vie monastique est faite pour que ce plan divin se réalise dès ici-bas d’une façon à la fois visible et cachée, in abscondito Faciei. Tout doit y être très bon, reflet de la bonté divine, aussi tout y est-il marqué par le consummatum est. Seules l’humilité et la patience permettent en effet d’y accéder ; sans elles, il n’y aurait en cette prétention qu’un affreux acte de vanité pharisaïque ; avec elles c’est l’assurance d’être avec Jésus. Voilà pourquoi nos petites couronnes d’épines ont tant de valeur aux yeux du Bon Dieu, elles trouvent là leur précieuse raison d’être. C’est donc par Elle, l’Immaculée, que nous voulons faire passer notre patience et notre amour humilié et purifié pour qu’Elle les présente devant la Très sainte Trinité.

 

Nous les lui présentons comme à l’abbesse de céans. Le Père abbé Édouard dont c’est la fête aujourd’hui, sous le soleil de Fatima, ne manquait pas d’occasion de la nommer ainsi, l’abbesse du monastère. Nous profitons de ce jour anniversaire de la dernière apparition de Fatima pour faire cette démarche. Comme lui aussi avec ses successeurs, nous voulons mettre l’œuvre et les personnes qui nous sont confiées sous les exigences maternelles de celle dont les bien-aimés sont les cœurs purs, les petits, les humbles (Marie, Mère et Reine, p. IV).

 

À la fin de cette messe en l’honneur de son Cœur Immaculée et Douloureux, je lui renouvellerai dans cet état d’esprit la consécration de l’abbaye faite en entrant dans le millénaire le 1er janvier 2001. La consécration d’une communauté a un sens éminemment cénobitique, engageant le présent et l’avenir, également plein de la contrition due aux bévues passées. Par là, la communauté affirme le souverain domaine de Dieu sur elle : se consacrer au Cœur de Marie revient pour nous à prendre la Ste Vierge comme souveraine en tant que communauté, comme nous le faisons chacun à la suite de S. Louis-Marie.

 

Quel sens donner à cela ? La raison d’être des consécrations dans l’Église tient à deux choses, une conscience aiguë de la transcendance et de la sainteté de Dieu tout d’abord, puis la croyance non moins ferme que ce monde, encore sous l’emprise relative du démon, doit pourtant participer à la sainteté primordiale du Christ (Luc, 1,35 ; Jn., 17,19). Tout en nous a besoin de subir ce transfert d’appartenance intime et visible pour être digne de prolonger, rayonner et monnayer les effets de son activité rédemptrice ici-bas. Pour la communauté comme pour chacun d’entre nous, il s’agit d’un acte important, tout chargé du désir d’inaugurer une vie plus donnée à Dieu en Marie, et comportant un véritable engagement en ce sens. C’est confier à la Vierge fidèle la fidélité à notre propos monastique : Quaerere Deum, chercher Dieu vraiment avec Elle.

 

Je vous salue donc, Sainte Marie, Mère de Dieu et notre Mère. À Fatima il y a cent ans, votre main puissante a enseigné les trois enfants, leur montrant le mystère de leur vocation et jusqu’aux terribles obscurités de l’enfer. Puis le 13 octobre, votre main a fait danser le soleil sur la foule. Puisse le soleil de la grâce danser sans cesse en nos âmes, soulignant les purifications à opérer sub digito Dei, les beaux travaux aussi de Dieu opérant en nous, de bonis suis in nobis. C’est par le Père abbé Édouard que nous tenons l’héritage puissant de Dom Guéranger chantre de votre Immaculée Conception ; incluez-nous en ces vœux formulés alors apud Fontem amoris : Ô Sagesse maternelle, Mère de la lumière créatrice, Mère de la divine Sagesse, faites nous reposer auprès de vous dans votre maison Domus aurea, dans ce monastère qui est vôtre, du repos de la contemplation, nous rendant sages par votre maternité, par votre exemple, par votre action, par votre intercession, par votre garde, afin que nous devenions plus semblables à votre Fils, plus conformes à la Sagesse incarnée, image de la sagesse universelle “sortie de la bouche du Très-Haut”, ex ore Altissimi, par qui tout vit et respire, tend au parfait, et qui “dispose toutes choses avec suavité”, suaviter disponensque omnia, pour sa gloire, pour notre salut et celui du monde (Marie, Mère et Reine, p. 58, finale du Missus est 1955). Amen.

 

Bénédiction de Notre Dame de La Salette mercredi 31 mai 2017

+

mercredi 31 mai 2017, Fête de la Visitation.

Bénédiction de Notre Dame de La Salette.

 

 

 

Les larmes de La Salette ont une vocation. Le passant qui les voit, même de loin, est invité à s’approcher, puis à s’arrêter à ses pieds, à contempler enfin le pourquoi d’un tel chagrin, ce qui permet d’écouter leur invitation à la vraie joie. Le regard des enfants qui ont été attiré par la Belle Dame qui s’est levée pour eux, ce regard plaide pour la confiance à accorder à Marie. Le sommeil même du chien de Maximin dit à sa façon sa satisfaction de nous voir en de si bonnes mains.

Oui, Ave pleine de grâces et pleine de joie, Ave pleine de Dieu et du salut apporté au monde. Le premier salut vous est venu de l’ange Gabriel. Il voyait en effet en Vous cette vocation à diffuser la joie, la vraie joie. Depuis, les Ave se multiplient à l’infini dans le cœur des hommes appelés à s’approcher de Vous pour aller à l’Unique Sauveur, Jésus. Mais pour bénéficier de la joie qu’est Marie, il faut commencer par mettre en doute les fausses joies après lesquelles nous courrons si souvent, après lesquelles nous nous épuisons, et qui, en fin de compte ne font que nourrir frustrations et aigreur de la vie morale.

Dans le Prologue de sa Règle comme au 1er degré d’humilité, S. Benoît fait de même : si nous voulons la vie véritable qui ne trompe pas, dit-il avec le psalmiste, fuyons le mal, faisons le bien, et poursuivons alors avec conviction la paix apportée par l’Incarnation rédemptrice, car Dieu ne laisse pas son peuple gémir en vain dans ses misères, Dieu se laisse toucher, comme Marie le disait à Pontmain en janvier 1871.

En 1846 à La Salette donc, la Très Sainte Vierge a prévenu que, une fois passées les tragédies de la Révolution, la paix n’était pas vraiment recherchée ; la paix dont on se contentait, n’était pas la vraie paix digne du cœur humain. On s’affairait alors sur les plaisirs faciles, on s’affaissait dans les futilités malsaines, sans sursum corda, sans lever les yeux vers les montagnes de Dieu, sans ces pensées venues du fond de la prière et du recueillement qui permettent de voir Dieu dans la foi et l’humilité, dans l’adoration en esprit et en vérité.

En 1917, il y a juste un siècle donc, la paix avait entièrement disparu, la cruauté de la guerre battait son plein. Nos villages ont encore la liste des morts à la guerre en ces quatre années sans fin. Dans le lointain Portugal, Notre Dame a repris son message de La Salette, message de sévérité qui met un coup d’arrêt à la superficialité des âmes pour leur donner faim et soif de la justice divine qui ne trompe pas, message d’espérance pour ceux qui se lèvent comme les enfants et écoutent les belles promesses.

De nos jours, la guerre n’est pas là officiellement ; pourtant chacun la sent roder autour de lui. Les plaisirs futiles fusent de tous côtés sous nos yeux, dans le vacarme d’une impertinente arrogance. Marie veille pourtant sur tous et sur chacun de ses enfants, car vraiment tous et chacun méritent beaucoup mieux que cela. Chaque passant est pour elle un intime qu’elle appelle et qu’elle éduque à la foi et à l’humilité pour l’éveiller à la joie de l’adoration en esprit et en vérité.

Notre Dame de la Visitation, vous êtes aussi Notre Dame du Cénacle qui nous apprenez à nous arrêter pour regarder l’Unique Réalité Nécessaire. Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant, et au long des jours, et à l’heure de la mort de chacun d’entre nous, amen.

Solennité du Transitus de Saint Benoît, mardi 21 mars 2017

+

Solennité du Transitus de Saint Benoît,

mardi 21 mars 2017, Notre Dame de Triors.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Nous avons tout quitté. En disant cela, S. Pierre ne cherchait pas à se vanter d’être généreux, il interrogeait simplement le Seigneur à cause de l’inexplicable affirmation qu’il venait d’entendre à propos de la défection du jeune homme riche à cause de ses richesses, affirmation qui laissait les apôtres sans voix (Mt. 19,23-26). Reliquimus omnia – nous, nous avons tout quitté, qu’en est-il alors ? Le Seigneur commence par définir l’attitude des apôtres plutôt par rapport à Lui, non par rapport au créé, secuti estis me – vous, vous m’avez suivi ; puis il élargit l’enjeu à ceux qui feraient de même dans les siècles à venir : omnis qui reliquerit, quiconque aura tout quitté, père mère, famille et biens terrestres ; c’est ce que nous venons d’entendre proclamer dans le chant de l’évangile (Mt. 19,27-29).

Reliquimus, qui reliquerit (Mt. 19,27 & 29). « Quitter », c’est un mot qui sépare : ce mot peuple le désert, dit S. Pierre Damien à la suite des Pères (Hom. 9), ce mot évoque l’arrachement de toute vie spirituelle un peu conséquente, ouverte pour tout de bon à l’Unique Nécessaire. Pourtant, disent encore les Pères, des philosophes s’étaient déjà fait remarquer en vivant à part, en s’éloignant de la vie sociale. On peut très bien quitter la société comme eux sans chercher Dieu pour autant, on peut même s’éloigner ainsi par pur mépris de la plèbe. Oui, tant de contrefaçons guettent l’authentique pureté du cœur. Et secuti estis me, propter nomen meum, précise ici Jésus à Pierre.

Nous fêtons ce matin S. Benoît auquel s’applique l’évangile. En quittant la Ville de Rome, il ouvrait un grand chemin de purification des cœurs, pour lui-même et pour un grand nombre. Mais Dieu s’y est pris avec lui par touches successives, sous la motion constante et très forte de la recherche de l’Unique Nécessaire. Benoît commença donc par s’éloigner de Rome, explique S. Grégoire, par dégoût de la vie dissolue des étudiants, ignorant volontaire, sagement illettré. Néanmoins il avait encore la compagnie de sa nourrice, sa mère adoptive si l’on en croit la tradition qui affirme que sa véritable mère serait morte à sa naissance, avec Scolastique sa jumelle de sang avant de l’être dans la vie religieuse. Il quitta cet ultime attachement en s’enfuyant, en s’enfouissant dans la grotte. Puis il y eut encore d’autres étapes, au fur et à mesure que grandissait son influence : les 12 monastères de Subiaco et le Mont Cassin. Benoît n’était pas moins riche que le jeune homme qui ne parvînt pas à quitter ses biens. Mais peu importe ici la quantité : face à Dieu, tout le créé n’est qu’une goutte d’eau au bord d’un seau, dit Isaïe (40,15) ; et au terme de sa vie, Benoît, ouvert à l’ordre divin, vit combien est étroit tout l’ordre créé (Vie c. 35).

Concernant notre évangile de ce matin, S. Jean Chrysostome se moque d’abord un peu de Pierre : Qu’as-tu donc quitté, toi ? Un filet, une barque, un métier bien modeste, est-cela que tu appelles tout ? Puis il se reprend : Pierre ne parle pas ici par préoccupation personnelle, il parle plutôt au nom de la famille des pauvres volontaires. Pierre quant à lui venait de recevoir les clefs qui ouvrent et possèdent le ciel : que pouvait-il lui manquer ?  Il interroge plutôt ici au nom des pauvres volontaires qui suivent Jésus (Hom. 64 in Mt. 1). Voilà l’important : il ne s’agit pas seulement de tout quitter, il s’agit de suivre Jésus qui nous ouvre alors dès ici-bas un peu du ciel.

Quaerere Deum, tel est le critère équivalent que N. B. Père donne de la vocation. S. Jean Chrysostome achève ainsi son propos : Pierre avait compris que le point capital était de suivre Jésus, que la renonciation aux biens de la terre n’était qu’une préparation (id°). Le plus important est donc bien la fin de la phrase de Pierre : et sequamur te – et nous vous avons suivi. S. Benoît répète à ses disciples de ne rien préférer à l’amour du Christ, absolument rien, omnino (Reg. cc. 4, 5 & 72). L’adage lui vient de S. Antoine qui lui-même voulait imiter l’Apôtre disant du Christ qu’il était devenu toute sa vie, Christus vita mea (Colos. 3,4). Les vrais moines n’ont pas d’autre vie que Christ.

Pierre ou Paul, Antoine ou Benoît : l’évangile n’a pas d’autre ambition que d’orienter vers Dieu venu nous sauver. Oui, il faut le redire, la vie monastique doit être un arc-en-ciel touchant la terre pour l’arracher à l’enfer qui, sans cela, ambitionnerait de tout envahir. À Fatima, Notre Dame a montré l’éternel enjeu de la conversion de nos mœurs, de la stabilité dans la recherche de Dieu et de l’obéissance qui configure au Christ. Dans sa maladie qui devait lui ouvrir le ciel, le Bx Francesco a beaucoup souffert, mais il disait : Oui je souffre, mais peu importe. Je souffre pour consoler Notre-Seigneur et ensuite, dans peu de temps, j’irai au ciel. Parler ainsi montre qu’on a déjà un pied au ciel. Avec les enfants de la Cova da Iria, nous voulons nous mettre à l’école de la Belle Dame pour mieux suivre son divin Fils, Regina monachorum, ora pro nobis, amen.

Homélie pour la fête de la Sainte Trinité 2017

+

Solennité de la Très Sainte Trinité,

11 juin 2017, Notre Dame de TRIORS.

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Nous venons d’entendre la conclusion de l’évangile selon S. Mathieu, avec son dernier mot si consolant, à savoir que Jésus est avec nous chaque jour, jusqu’au dernier, jusqu’à la consommation des siècles, jusqu’à la fin du monde (28,18-20). Cette présence encourage la mission de l’Église d’évangéliser le monde, quelques soient les avatars éventuels que lui réserve l’actualité : elle a vocation, malgré tout ce qui tente de s’opposer à sa liberté, de baptiser chaque fils d’homme et de lui apprendre à vivre en conformité avec l’enseignement de Jésus. Tout est dit ainsi de ce qui se passe dans l’histoire depuis 2000 ans, tout est ramassé en ces trois versets.

Bien sûr, l’actualité est souvent déprimante, l’Église sainte et universelle en a pris l’habitude, elle ne craint plus les phobies sur l’avenir, et les menaces quotidiennes. Mais celles-ci entravent l’exercice de la foi chez les petites âmes : elle fait penser au grand nombre qu’on ne vit qu’à demi, comme si le Maître divin qui nous donne l’existence ne nous la donnait qu’à regret et y tolérait des chagrins indignes de sa Bonté souveraine. Une foi insuffisante ne sera jamais à la hauteur de la vie morale, n’acceptant la Grande Pensée du Bon Dieu qu’avec réticence. Elle s’arrête alors en chemin, bloquée par ce pauvre ressenti immédiat, prompt à l’illusion qui fait de celui-ci comme un unique nécessaire.

Les Anciens étaient plus simples dans leur foi, et donc plus entiers dans leur adhésion au plan de Dieu. À nous mettre à leur école nous plonge dans le Cœur de l’Église où l’on n’a pas peur, car Jésus a vaincu le Mauvais.Un Père grec lit notre évangile avec simplicité et justesse : Ne dites pas que les commandements que je vous fais ici sont difficiles, car je suis avec vous, moi qui rend toutes choses légères (S. Jean Chrysostome, Hom. in Mt., 90). L’objection perdure pourtant : Seigneur, vous nous dites cela, mais vous êtes parti au ciel, nous laissant à nos difficultés : où donc est votre Présence promise ? Bède le Vénérable se posait déjà la question : Comment le Sauveur a-t-il pu dire : Voici que je suis avec vous, alors qu’il dit dans un autre endroit qu’il s’en va vers Celui qui l’a envoyé ? C’est, se répond-il en substance, que les choses divines ont d’autres lois que les choses humaines. Oui, le Sauveur va vers son Père avec son humanité ; il reste pourtant, concrètement, efficacement, avec ses disciples en cette nature divine par laquelle il n’a jamais cessé d’être l’égal de son Père. Quand il dit, ‘jusqu’à la consommation des siècles’, il use d’une expression finie, pour signifier l’infini, car il est évident que celui qui reste dans le siècle présent avec les élus pour les protéger, demeurera éternellement avec eux après la fin du monde, pour les récompenser. S. Jérôme voit en la promesse du Seigneur d’être avec ses disciples jusqu’à la fin, l’affirmation qu’ils vivront toujours, et que le Seigneur n’abandonnera jamais ceux qui croiront en lui. En montant au ciel, Il n’abandonne pas ceux qu’il a adoptés, dit de son côté S. Léon (Sermon de Pâques), au contraire, Il les fortifie en leur inspirant la patience sur terre, tout en les appelant à la gloire.

Les Pères rejoignent donc ainsi le cri confiant de la petite Thérèse de Lisieux qu’elle reçut de ses pieuses lectures (Arminjon) : à la fin, après nos petits efforts, Jésus nous dira : voilà, à mon tour ! Oui, tout homme appartient à Dieu et est sous la gouverne de sa Providence : a fortiori celui que le saint baptême a consacré au Père, au Fils et au Saint-Esprit. C’est là que s’enracine notre joie de conformer notre vie à la volonté divine : car notre liberté nous fait appartenir alors tout entier à Dieu. À Fatima la Sainte Mère de Dieu est venue il y a cent ans pour rendre l’humanité à Dieu en l’arrachant à ses démons qui lui font la vie sur terre si tragiquement difficile. L’ange qui prépara les trois enfants à son audience leur a appris à se courber devant la Très Sainte Trinité pour l’adorer et lui offrir la Présence Eucharistique, Présence jusqu’au dernier jour, et avec les enfants, offrons cette Présence en réparation pour les négligences et les profanations dont elle est elle-même l’objet : nous reconnaissons alors que Jésus est avec nous jusqu’à la consommation des siècles. Sans être théologienne, Sœur Lucie tirait de l’orange qui est bien une avec sa peau, sa pulpe et ses pépins une humble image du grand mystère de ce jour : dans une seule unité, l’orange, nous avons trois choses distinctes et qui ont différents buts… Alors pourquoi nous étonner qu’en un seul Dieu il y ait trois personnes distinctes : le Père, le Fils et l’Esprit Saint ? (Mémoires de Lucie).

Peu d’années avant Fatima, une carmélite de Dijon vivait intensément la vocation inscrite en son nom, Élisabeth de la Trinité : O mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-moi à m’établir en vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l’éternité ! Ce matin sera béatifié à La Spezia Itala Mela qui a vécu intensément de ce mystère ineffable dans les décennies qui ont suivi Fatima. Cet oblat bénédictin de S. Paul Hors-les-Murs a pourtant vécu loin de la foi avant 1917. Il devînt même farouche athée lors de la mort de son jeune frère après une maladie crucifiante. Néanmoins la dévotion à la Trinité le transforma totalement, plus précisément l’habitation de Dieu en son âme, ce mystère essentiel et fascinant de notre foi, disait-il, mystère mis en valeur à Fatima et solennisé en ce jour. Ses notes spirituelles nous encouragent maintenant : Vivre l’inhabitation c’est vivre son baptême : ce serait une grave erreur de voir là une ‘dévotion particulière’. Il s’agit pour tous de vivre la grâce que le baptême donne, pour pénétrer dans la réalité divine promise par Jésus : Nous viendrons et nous ferons en lui notre demeure (Ms. 4,52). Je n’oublierai jamais, écrit-il encore, que notre âme est la maison de la Sainte Trinité. Elle est là comme en un nouveau ciel. Bien souvent, nous cherchons à nous unir à Dieu par des moyens compliqués, sans nous rendre assez compte que par l’état de grâce l’invité divin est déjà là. En nous recueillant un instant en nous-mêmes dans les activités de la journée, nous sommes en contact avec l’auguste Trinité, qui daigne alors sanctifier nos cœurs, et bien vite nous découvrir ses trésors infinis (Ms 33, 219, 125 en L.).

S. Louis Marie, le Père de Montfort entraînait les âmes dans ses cantiques : Il a pris pour son temple / Et mon corps et mon cœur / C’est là que Sa grandeur / Nuit et jour se contemple. Mieux encore que tous les saints, Notre Dame ne cesse de nous encourager à cet acte de foi simple, Salve Regina, spes nostra salve, ostende nobis Jesum, amen.

Homélie pour la fête de la Dédicace 2017

+

Solennité de la Dédicace, jeudi 12 octobre 2017.

 

 

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

Zachée vaut mieux que le sycomore, mais Zachée a besoin du sycomore pour se hisser et être à même de pouvoir voir Jésus. L’édifice du culte vaut moins que les pierres vivantes, à savoir les âmes des fidèles, même si ceux-ci ont besoin de la beauté visible du temple pour désirer et voir la Beauté qui ferme les lèvres (Angèle de F.). Notre sanctuaire, si beau soit-il, vaut moins que la vie monastique que nous voulons y mener, aussi humblement et aussi fidèlement que nous le donne la grâce de Dieu. Se mettre au diapason de la beauté liturgique n’a d’autre but que de glorifier Dieu lui-même et, arrachés à la vieillerie du péché, d’ennoblir à son contact nos âmes rachetées dans le Sang de Jésus. Le Temple chrétien est l’écrin qui souligne le trésor de la grâce qui fait vivre nos âmes. Domum tuam decet sanctitudo, la sainteté est l’apanage de la maison de Dieu, et la maison de Zachée, domum tuam, devient sa Maison.

Le saint Curé d’Ars prêchant sur cet évangile de Zachée voit effectivement dans nos églises un autre ciel où Jésus-Christ daigne habiter parmi nous autres, pauvres pécheurs. Aussi faut-il faire effort pour respecter l’église, sa demeure : dissipation, conversations banales et mondaines, cela y outrage le Bon Dieu : à l’église on loue Dieu, au prétoire on parle aux hommes, les palabres du fond de la nef sous prétexte d’amabilité ne sont pas de mise. Nos Constitutions n’y tolèrent que de brèves remarques concernant la propreté du saint lieu. Seuls le silence et le chant y ont donc leur place, la mélodie sacrée étant d’ailleurs tirée du silence pour y ramener, enrichi par sa trace de piété. Le silence permet à l’indicible de se muer en chant, écrivait le futur Benoît XVI, il appelle à l’aide les voix du cosmos, pour que le non-dit devienne audible (Un chant nouveau pour le S.).

Dans son livre « la force du silence », le Cardinal Sarah évoque les dernières notes du Salve Regina de la Grande Chartreuse, venant mourir une à une dans un silence filial (n°247). Peu avant la parution de ce livre, le Cardinal guinéen rendit public un bel exposé sur le silence à l’église (Os. Rom., 30 janvier 2016), articulant son propos selon quatre axes : le silence comme valeur ascétique chrétienne, le silence comme condition de la prière contemplative, le silence prévu par les normes liturgiques, le silence enfin qui se confond avec la liturgie. Mais bien sûr, tout ici se tient, orienté vers ce dernier point. Il faut donc commencer par se taire, faisant effort pour se tenir tranquille à l’église : L’ascèse en effet, écrit le Cardinal, voilà le moyen indispensable qui nous aide à enlever de notre vie tout ce qui l’alourdit, c’est-à-dire ce qui entrave notre vie spirituelle ou intérieure, et donc ce qui constitue un obstacle à la prière. La joyeuse conversion de Zachée nous encourage ici  : il change sa vie sans tergiverser quand il s’agit d’accueillir chez lui le Seigneur ; il prend les grands moyens pour l’accueillir dans la demeure de son cœur, faisant taire d’un seul coup toutes ses anciennes préoccupations plus ou moins louches. Pour nous autres aussi, puissions-nous donner un coup d’arrêt aux pensées tumultueuses qui jasent en nous. Le silence intérieur, souligne le Cardinal, peut être constitué par l’absence de souvenirs, de projets, de paroles intérieures, de soucis. Plus important encore, grâce à un acte de la volonté, il peut résulter de l’absence d’affections désordonnées, ou de désirs excessifs.

Cela vaut pour notre temps comme pour celui de Zachée. Siècle après siècle, les Pères de l’Église ont souligné de la même façon la nécessité d’une bonne préparation avant d’accéder dans le sanctuaire et dans notre intérieur. Le Cal Sarah dans son article cite S. Ambroise, S. Augustin et S. Grégoire le Grand ; il renvoie également au chapitre VI de notre Règle bénédictine consacrée à cette réserve qui empêche de se répandre à tout propos pour des riens. L’esprit de la liturgie requiert ce beau et joyeux sérieux face à Dieu et à ses mystères.

Le saint Curé d’Ars, pour en revenir à lui, donnait l’exemple quand il était à l’église. À Ars, il y tenait compagnie au Seigneur de longues heures durant, en silence devant le tabernacle. La statue célèbre de Cabuchet le montre si ardent et modeste à la fois. Voyez combien cela fait plaisir à Jésus-Christ, disait-il lui-même, il est rapporté qu’un saint prêtre couchait toutes les nuits sur le marchepied de l’autel, afin d’être plus près de Jésus-Christ. Le bon Dieu permit qu’il y mourût ; il fut enterré dans le même endroit. Un autre couchait à la sacristie pour la même raison. Lorsque saint Louis était en voyage, dit ailleurs le curé d’Ars, au lieu de passer la nuit dans un lit, il la passait dans une église : si on lui disait qu’il ne pourrait pas y tenir, il répondait qu’il se trouvait mieux que quand il la passait dans son lit, tant il goûtait de consolations en la compagnie d’un si bon Maître.

La Mère de Dieu est toujours devant Dieu, en son sanctuaire trinitaire. La liturgie l’associe à l’antique Sion accueillant l’Arche sainte de l’Ancienne Alliance : Tressaille d’une joie immense, fille de Sion ! Pousse des cris d’allégresse, fille de Jérusalem ! Voici que ton Roi vient à toi (Zach. 9,9). Marie devance l’Église et la presse d’accueillir avec une joie indicible son Époux et son Cœur Eucharistique, adorant par Lui Dieu devenu son salut, exultavit spiritus meus, in Deo salutari meo, amen.