Sts Pierre et Paul 2022

+

Solennité de saint Pierre et saint Paul

Mercredi 29 Juin 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

À nos oreilles et dans notre cœur résonne encore la glorieuse déclaration que le Seigneur vient d’adresser à Simon, le fils de Jonas : « Votre foi est généreuse, Simon, et je veux faire de vous la Pierre de fondement pour mon Église. Nul ne pourra la renverser. On ratifiera même dans le ciel votre gouvernement terrestre ».

Oui, à ce moment-là, saint Pierre est établi en une place prééminente sur toutle corps de l’Église. Et pourtant, une minute ne passera pas qu’il aura déjà mérité de s’entendre appeler « Satan » par Jésus. C’est que le glorieux Pierre n’admettait pas le langage du Seigneur qui commençait à annoncer sa propre Passion.

De fait, depuis les premiers temps, saint Pierre gardait un petit travers — travers qui nous est à tous bien familier — : souhaiter l’avènement d’un homme doué d’une puissance supérieure qui nous aiderait à rétablir ici-bas un peu de justice selon l’ordre de Dieu. Voilà certes une aspiration religieuse, mais elle a besoin de quelque purification. Benoît xvi parle à ce sujet du désir d’un « homme divin ». Et de fait, l’homme Jésus semblait en ce sens plein de promesses : il s’était au début attaché cinq disciples, comme c’était la coutume chez les autres rabbis, et saint Pierre était du nombre, mais rapidement Jésus en avait choisi sept autres pour atteindre le chiffre de douze, nombre des tribus d’Israël, ce qui était le signe qu’il allait donner une nouvelle naissance au peuple de Dieu. Il se démarquait aussi des autres rabbis par les singuliers miracles qu’il accomplissait. La tentation était grande, et récurrente chez beaucoup, d’y voir l’homme béni de Dieu qui donnerait à Israël sa domination sur toutes les nations.

Saint Pierre ne corrigera ce travers humain qu’avec les larmes qu’il « commença à verser — Cœpit flere » (Mc 14, 72) au cours de la nuit de la Passion, quand le Seigneur le regarda. Il commença, et sans doute continua-t-il longtemps.

Le progrès de l’âme de saint Pierre s’est ainsi accompli par degrés, et nous assistons, dans l’Évangile d’aujourd’hui à l’une de ces étapes majeures. Jésus a demandé à ses disciples ce que l’on dit de lui, mais, remarquait Benoît xvi, « il ne se contente cependant pas de la réponse par ouï-dire. Il attend de la part de ceux qui ont accepté de s’engager personnellement avec Lui une prise de position personnelle. C’est pourquoi, il insiste:  “Pour vous, qui suis-je?”1 ». Pierre prend la parole, et, inspiré par le Père qui est aux cieux, il proclame : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu Vivant ». Cette parole est le premier Credo officiel de l’histoire de l’Église. Il a été inspiré par le Père, en présence du Fils, mais saint Pierre n’en comprend pas la portée réelle.

L’Église repose tout entière sur la profession de foi de saint Pierre et de tous ceux qui seront placés par l’Esprit Saint après lui à la tête de l’Église. Au sens fort, il s’agit de l’infaillibilité pontificale, qui représente pour tout chrétien le bienfait d’une assurance absolue dans le chaos des idées. Quand, dans les conditions requises, le Pape s’exprime officiellement, le Seigneur assure l’absolue vérité de sa parole. Fondés sur ce roc, nous n’oscillons plus à tout vent de doctrine. Notre saint Père le Pape François jouit ainsi de cette infaillibilité quand il parle « ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine en matière de foi ou de morale doit être tenue par toute l’Église2. » Ce sont les termes mêmes du Premier Concile du Vatican. Les autres propos du souverain Pontife jouissent aussi d’une assistance divine, moins absolue cependant, dans la mesure où la parole est plus ou moins officielle et concerne plus ou moins directement la foi et les mœurs.

À Césarée, saint Pierre était inspiré, mais Benoît xvi relève qu’il « n’avait pas encore compris le contenu profond de la mission messianique de Jésus, le nouveau sens de [… ce mot : Christ ou] Messie. Il le démontre peu après, en laissant comprendre que le Messie qu’il poursuit dans ses rêves est très différent du véritable projet de Dieu. »

Mais Jésus transfigure nos attentes. Au lieu de susciter un « homme divin », il vient, lui qui est Dieu, et il emprunte le chemin de l’humilité et de la souffrance. Il se fait « Dieu humain », capable de souffrir dans son humanité pour nous sauver et nous rendre participants de sa nature divine, comme saint Pierre le dira si bien un jour (cf. 2 P 1, 4). Ce n’est pas un homme isolé qui se voit doté d’une puissance divine, mais le peuple de Dieu tout entier qui reçoit le don de vivre de la Vie de Dieu.

Écoutons encore le Pape émérite qui nous fait profiter de la leçon :

Nous aussi, nous avons le désir de Dieu, nous aussi, nous voulons être généreux, mais nous aussi, nous attendons que Dieu soit fort dans le monde et transforme immédiatement le monde selon nos idées, selon les besoins que nous constatons. Dieu choisit une autre voie. Dieu choisit la voie de la transformation des cœurs dans la souffrance et dans l’humilité. Et nous, comme Pierre, nous devons toujours nous convertir à nouveau. Nous devons suivre Jésus et non pas le précéder : c’est Lui qui nous montre la route3. [… le Seigneur Jésus nous dit :] « Ce n’est pas à toi de m’indiquer la route, moi, je choisis mon chemin, et toi, remets-toi à ma suite. »

Amen.

1Benoît xvi, Audience générale du 17 Mai 2006.

21er concile du Vatican, 20 septembre 1870.

3Benoît xvi, Audience générale du 17 Mai 2006.

Fête Dieu 2022

+

Solennité de la Fête Dieu

Jeudi 16 Juin 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

 

À chaque célébration de la sainte Messe, le Seigneur Jésus vient vraiment, il se rend présent sur l’autel. Bientôt, lorsqu’il sera exposé dans l’ostensoir, nous pourrons lui offrir notre adoration et notre louange.

La séquence que nous avons chantée avant l’Évangile a été composée par Saint Thomas d’Aquin. Dès les premiers mots, elle nous a invités à acclamer, à louer notre Dieu et notre Pasteur, celui qui nous crée et qui nous nourrit : « Lauda Sion Salvatorem… — Sion, acclame ton Sauveur, acclame ton Guide et ton Sauveur, par des hymnes et des cantiques ! ». Ces mots semblent bien enthousiastes pour nos cœurs qui sont peut-être un peu mornes et abattus devant tant et tant de difficultés à l’heure actuelle.

Mais la liturgie n’est pas naïve et elle persiste à exhorter Sion, Jérusalem, l’Église, à louer son Seigneur présent sur l’autel. Il y a quelques 140 ans déjà, à l’époque des premières expulsions des communautés religieuses, le climat politique était morose. Pourtant, Mère Cécile Bruyère, première Abbesse de Sainte Cécile de Solesmes, encourageait ses moniales à la louange, et à chanter sans restriction les versets du Psaume 147 : « Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion. » (Ps. 147, 12). Oui, l’Église a toujours de bonnes raisons d’acclamer son Dieu. Madame l’Abbesse s’en explique :

Voyez comme ses enfants [… acclament Sion, la grande épouse de Notre Seigneur] et en même temps la pressent d’entonner un cantique de triomphe. […] « Jérusalem, chante le Seigneur. Sion, chante ton Dieu ». Quelle est cette Sion ? Cette Jérusalem ? C’est la sainte Église catholique, apostolique et romaine et tous les enfants de Dieu invitent leur très auguste, très noble Reine à chanter au Seigneur.

Les temps où nous vivons [, poursuivait la Mère Abbesse,] ne semblent pas [… nous inviter à] une acclamation si joyeuse ; et ne vaudrait-il pas mieux convoquer l’Église à d’autres accents [et chantonner avec mélancolie cet autre Psaume] : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions » (Ps. 136, 1). Mais non, ce n’est pas la pensée de l’Église aujourd’hui. Nous ne sommes pas exilés, nous sommes dans la cité, nous sommes les enfants du dedans, et nous avons le droit de crier à notre Mère : « Lauda Jerusalem — Chante, Jérusalem ». Nous sommes peut-être les derniers qui verront la victoire de l’Église sur la terre ; il faut donc nous montrer satisfaits, joyeux comme des gens qui savent que la victoire est à eux.

Chaque année il est plus à propos pour l’Église de chanter ce psaume [et pour nous aujourd’hui cette séquence], car qu’est-ce que la marche de l’Église catholique, apostolique, romaine à travers le temps ? D’années en années ce sont des victoires, son existence même est une victoire. Depuis son début on cherche à l’écraser, on cherche à l’anéantir, et d’années en années, elle est sur le sol inébranlable, inattaquable et toujours la même ; chaque année compte une nouvelle victoire et elle chante ce psaume avec plus d’énergie car il est plus applicable à l’année présente qu’à celle qui précède. Revenons un peu en arrière : que de générations ont espéré anéantir l’Église, et croyaient chanter le triomphe final ! Mais l’Église peut encore entonner ce psaume « Lauda Jerusalem », et certainement l’an prochain nous le chanterons aussi. Les révolutions, les décrets se succèdent sans interruption, mais ils ne peuvent rien, ils se ruent sur la pierre et ils ne peuvent l’écraser ; nous avons donc le droit de chanter « Lauda Jerusalem » avec triomphe et avec action de grâces1.

Louons, donc. Et quelle mesure à notre louange ? Saint Thomas nous le dit : « Tant que vous le pouvez, osez louer, vous ne risquez pas d’en faire trop, parce que vous serez de toute façon dépassés par l’objet de votre louange ».

Notre louange du Dieu-Eucharistie n’est cependant pas vaine. Dieu attend que nous lui rendions grâce. C’est notre bien de nous reconnaître bénéficiaires de ses dons. L’Eucharistie, sémantiquement, c’est l’action de grâce. Et s’il nous est arrivé de participer à des messes d’une manière trop désinvolte, le cycle liturgique nous offre aujourd’hui l’occasion de réparer nos négligences par une louange très largement déployée.

Réjouissons-nous de participer dès ici bas au banquet qui nous nourrira éternellement. L’Agneau divin, qui sera notre lumière et notre vie pour toujours dans le Royaume de son Père, se donne aujourd’hui, ici même, pour nous soutenir sur le chemin. La vie éternelle est déjà commencée. Chaque communion est pour nous une participation à la vie du Christ, à sa mort et à sa résurrection. Chaque communion nous fait entrer dans le corps mystique du Christ. Nous sommes revêtus de sa beauté spirituelle. Alors vivons en cohérence avec ce que nous recevons, avec ce que nous devenons. Et que notre joie s’exprime sans contrainte dans une louange éternelle.

La sainte Vierge elle-même, mère de l’Église et Sion de la Nouvelle Alliance, est le maître de chœur de notre louange ecclésiale. Elle donne le ton et le rythme, elle inspire nos paroles et baigne notre joie de sa pureté virginale, faite d’humilité et de dévouement.

Lauda Sion, Salvatorem !

Amen.

1Mère Cécile Bruyère, Conférences sur la Dédicace, 12 octobre 1880.

Pentecôte 2022

+

Solennité de la Pentecôte

Dimanche 5 Juin 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

« Veni Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium — Venez, Esprit Saint, remplissez les cœurs de vos fidèles. » Cette prière, qui revient souvent sur les lèvres chrétiennes, nous l’avons chantée à genoux au deuxième Alléluia, et la liturgie l’a développée dans la Séquence. Pourquoi cet Alléluia a-t-il été chanté à genoux ?

C’est que la présence du Saint Esprit est vraiment le cœur de nos vies ; il s’agit de notre trésor le plus précieux, à implorer sans cesse. Notre présence sur terre n’aurait vraiment aucun attrait s’il n’y avait dans nos cœurs cette présence du Saint Esprit. Et c’est afin que nous recevions ce don que le Seigneur Jésus est descendu dans le sein de Marie et qu’il a accompli sa mission pascale. Il est venu faire de nous, en lui, des fils du Père. Qui imprime en nous cette filiation, cette ressemblance au Fils Unique, si ce n’est le Saint Esprit ?

C’est en ce sens que le Catéchisme de l’Église catholique enseigne que « la grâce est d’abord et principalement le don de l’Esprit qui nous justifie et nous sanctifie1 ». Voilà la présence spéciale du Saint Esprit que nous implorons. Il vient et il nous donne la grâce sanctifiante, cette qualité foncière de notre être, par laquelle nous sommes amis et même enfants de Dieu.

Avec la grâce, l’Esprit Saint nous donne aussi les vertus infuses, ramifications de cette grâce dans nos puissances, dans notre intelligence et notre volonté. Par les vertus, nous agissons bien, selon le désir de Dieu.

Mais il nous arrive de rencontrer des situations où les vertus habituelles ne sont plus suffisantes. Il se trouve des cas un peu spéciaux où nous devons recevoir attentivement une impulsion du bon Dieu, et puis nous devons ensuite agir avec une vigueur qui n’est pas habituellement à notre portée. Heureusement, dans ces situations spéciales, nous ne sommes pas dépourvus. Dieu ne nous abandonne jamais. Il est présent, et il nous donne là une lumière particulière, avec sa force et sa paix pour ces actions qu’il attend de nous.

Pour être bien réceptifs à ces interventions divines spéciales, nous devons présenter à Dieu comme des prises, des points où il pourra faire porter son impulsion. Ces prises, ce sont ce que l’Église appelle les dons du Saint Esprit, ces sept « dispositions permanentes qui rendent l’homme docile à suivre les impulsions de l’Esprit Saint2 ».

Ces dons, Dieu en a fait part à tous les fidèles, avec sa grâce. Oui, tous, nous sommes habituellement en possession des dons de sagesse, d’intelligence, de conseil, de force, de science et de crainte de Dieu. À nous de veiller à leur entretien en les exerçant. Ils font partie de notre organisme spirituel à développer, avec zèle, humilité et modération.

Parmi ces actions qui nous dépassent et que pourtant Dieu attend de nous tous, une est élevée entre toutes, c’est la contemplation, où l’homme connaît Dieu et l’aime comme Dieu se connaît et s’aime lui-même. Mère Cécile Bruyère écrit dans son maître livre, La vie spirituelle et l’oraison :

La contemplation est l’acte qui convient le mieux à notre nature intelligente et à notre caractère d’enfants de Dieu. Exercer nos facultés à la connaissance et à l’amour de la Vérité éternelle, recevoir une communication particulière et exceptionnelle des dons du Saint-Esprit, enfin être unis à Dieu par l’âme tout entière, n’est-ce pas la joie la plus désirable de cette vie ? […] La contemplation n’est [… pas une] science qui n’intéresse que l’intelligence : elle est un regard de l’âme entière, intelligence et volonté tout à la fois, vers la lumière divine ; à son premier degré, elle semble éveiller surtout en nous le don de piété, sous la forme d’une tendresse de dévotion plus ou moins habituelle qui ferait dire volontiers avec saint Pierre : Bonum est nos hic esse [ — Il est bon pour nous d’être ici]3.

Le don de piété fait entrer dans l’expérience de la paternité de Dieu, de sa proximité. Cette tendresse de dévotion qui nous habite n’a rien de mièvre. Elle est la véritable densité de notre vie. Sans cette tendresse, nos journées sonneraient creux. Elle n’est cependant pas toujours sensible, mais elle est toujours présente, car les dons du saint Esprit sont toujours présents avec la grâce sanctifiante.

« Venez, Esprit Saint, remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre amour. » Si c’est un feu, l’amour ne peut pas demeurer enfermé, sinon, il s’éteint. Si un feu consume votre cœur, alors votre cœur rayonne et ce feu réchauffe autour de lui. Demandons au Seigneur qu’il nous apprenne à nous aimer mutuellement. D’un amour effectif, d’un amour discret, d’un amour qui sait éviter les paroles blessantes. Aimons fortement, c’est à dire faisons-nous violence pour ne pas dire de mal les uns des autres. Recherchons ce qui est beau chez autrui et mettons-le en valeur. Prions le Saint Esprit pour qu’il nous donne cette force de lutter contre notre penchant à tout ramener à nous-mêmes.

Alors l’Église entière rayonnera de cette présence de l’Esprit dans les cœurs de tous ses enfants. L’Église est visiblement vraiment catholique dès ses premiers instants, quand tous les peuples sont invités, chacun dans sa langue, à recevoir la Bonne Nouvelle du salut. L’unité de l’Église n’a qu’un fondement, c’est l’Esprit répandu dans nos cœurs. Saint Paul l’a écrit aux Éphésiens :

En lui, vous êtes, vous aussi, les éléments d’une même construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit Saint. […] Ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix (Ep 2, 22 et 4, 2-3).

Que la Vierge Marie veille maternellement sur l’unité de vie de ses enfants qui, fils d’un même Père, sont tous ensemble l’Église.

Amen.

1CEC 2003.

2CEC 1830.

3VSO, c. 15.

Ascension 2022

+

Solennité de l’Ascension du Seigneur

Jeudi 26 Mai 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

 

Après avoir parlé à ses disciples, le Seigneur est enlevé au ciel et s’assied à la droite de Dieu. Et les apôtres, joyeux, s’en vont prêcher en tout lieu. La destinée du Seigneur et celle de ses disciples semblent désormais séparées. Le Seigneur nous aurait-il tout simplement abandonnés ? Est-il descendu sur terre accomplir ainsi des œuvres merveilleuses et s’éclipser un jour ?

L’Évangile nous rassure : avec les apôtres en prédication, le Seigneur œuvre toujours et confirme leur parole par des miracles. Il demeure auprès de nous sur terre, dans l’invisible. Mais ce n’est pas tout. Ce n’est pas seulement sur terre que se poursuit, dans la réalité de la foi, la communion de l’Église et de son Seigneur. Le deuxième Alléluia de la Messe chante aussi que, montant dans les hauteurs, le Seigneur emmène avec lui, captive, la captivité : captivam duxit captivitatem. Si l’on prend au concret le terme captivitas, le verset de l’Alléluia signifie en toute rigueur : « Il a emmené de force les hommes captifs ». C’est une expression bien vigoureuse !

Ce verset est tiré du Psaume 67e qui chante une victoire militaire d’Israël. Le Peuple de Dieu était faible, mais Dieu est intervenu. C’est la victoire même de Dieu, et elle se célèbre à la façon antique des généraux vainqueurs qui défilaient triomphalement à la tête de leurs troupes, enrichis du butin prélevé sur les vaincus, et précédés de leurs captifs enchaînés.

L’expression « Ascendens in altum, captivam duxit captivitatem — Montant dans les hauteurs, il a emmené de force les hommes captifs » nous vient de la Vetus itala, qui hérite du Psautier des LXX.

Saint Paul, écrivant aux Éphésiens, cite aussi ce verset du Psaume 67e selon les LXX pour donner une « image du Christ vainqueur emmenant avec lui les âmes auprès de Dieu au jour de son Ascension1. » Une fois victorieux, il distribue comme il lui plaît son butin pour faire de l’Église un corps unique dans sa diversité.

Dans la Vulgate, le deuxième Psautier de saint Jérôme, appelé Gallican, est ici plus proche de l’Hébreu et nous y chantons : Ascendisti in altum, cepisti captivitatem, ce que les récentes Bibles en français rendent nettement par : « Les chars de Dieu sont des milliers de myriades ; au milieu, le Seigneur ; au sanctuaire, le Sinaï. Tu es monté sur la hauteur, capturant des captifs, recevant un tribut, même de rebelles. » (Ps 67, 18 et 19).

Quoi qu’il en soit, l’expression demeure étrange. Elle choque même, puisque nous sommes accoutumés à voir le Seigneur se présenter comme un libérateur. Il a constamment redit qu’il n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Où se trouve donc cette liberté, si vraiment le Seigneur ne nous mène que par contrainte ?

C’est alors qu’il faut se souvenir que l’Ancien comme le Nouveau Testament ne transmettent au fond qu’un unique message : Dieu veut nous affranchir de l’esclavage des idoles et nous ramener à lui, source de vie. Quand le Psaume chante le peuple des captifs emportés de force par le Seigneur, cela rappelle les retours des captivités d’Égypte et de Babylone. La force du Seigneur est reconnue alors comme une libération, et cela malgré nos volontés rebelles dans leurs illusions puisque le séjour chez les païens a faussé nos jugements. Au fond, nous voulons cette force divine, qui apporte ce qui nous manque pour sortir de nos ornières.

Rappelons-nous bien cela, lorsqu’il nous semble que les lois de Dieu sont contraignantes : en réalité, le Seigneur est venu nous libérer de la servitude du péché. Et faisons chacun un examen personnel de l’ornière d’où nous aimerions que le Seigneur nous sorte aujourd’hui.

Une part de l’humanité languissait aux limbes avant la venue du Messie : ces justes pour qui l’accès au Royaume du Père n’était pas ouvert. Adam et tous les saints de l’Ancienne Alliance attendaient leur libérateur dans une joie progressive. Leur nombre croissait et l’on voyait arriver des porteurs de bonnes nouvelles de plus en plus précises. Le charpentier Joseph de Nazareth se présente et annonce la naissance, sous l’ombre de l’Esprit, d’un Sauveur pour Israël ; Jean le Baptiste, peu après, vient témoigner qu’il arrive enfin, l’Agneau de Dieu qui enlève l’obstacle qui interdit l’accès au royaume. Lors de sa Pâque, Jésus brise ces portes et emmène avec lui ces âmes bien-aimées. Ce « superbe trophée que le vainqueur entraîne après lui [sont ainsi d’abord] ces heureux captifs qu’il a délivrés de la prison des limbes » souligne Dom Guéranger dans son Année Liturgique.

L’autre part de l’humanité libérée, c’est notre assemblée à nous tous qui vivons dès aujourd’hui en communion avec le Seigneur. Selon l’expression de saint Grégoire le Grand, « le décret qui nous condamnait a été aujourd’hui abrogé, et abolie la sentence qui nous vouait à la corruption. […] Oui, montant sur les hauteurs, [le Seigneur Jésus] a emmené en captivité notre nature captive, puisqu’il a détruit notre corruption par la puissance de son incorruptibilité2. » Dès lors, nous nous réjouissons d’appartenir au butin de ce Roi victorieux. Nous appartenons à son cortège, nous sommes heureux d’accueillir ses ordres qui sont source de vie :

Les êtres intelligents, dit Dom Delatte, se sont rangés en deux camps : ceux qui obéissent, et ceux qui n’obéissent pas ; et la lutte des deux armées est sans trêve. Chacune a son roi ; et qui prétend se soustraire à l’obéissance passe de fait sous la tyrannie d’un autre. Dieu pour dieu : j’aime mieux le mien3 !

Aimons donc notre Roi et, libérés de nos péchés et de nos vices, pénétrons après lui et avec lui dans le sanctuaire trinitaire. Cette sainte captivité ne va pas sans une profonde appartenance à Marie, car Notre Dame est le Saint des Saints, le Temple où Dieu est venu nouer son alliance avec les hommes. Notre vie demeure à l’intérieur de ce sanctuaire de vraie liberté.

Amen.

1Dom Delatte, Les Épîtres de saint Paul, t. 2, p. 117

2Saint Grégoire, Homélie 29 sur l’Évangile.

3Dom Delatte, Commentaire de la Règle, p. 5.

Dimanche de Pâques 2022

+

Solennité de la Résurrection du Seigneur

Dimanche de Pâques, 17 Avril 2022

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Paix éternelle, Victoire inamissible, Lumière sans ombre.

Le Christ triomphe sur la mort et le mal, il chante paisiblement sa joie d’avoir accompli sa mission. « Je suis ressuscité, je suis encore et désormais pour toujours avec vous, mon Père, alléluia ! » Par ces mots du Psaume 138e, l’introït ouvre notre Messe pascale.

Resurrexi. Le Seigneur ressuscité parle de sa résurrection personnelle, mais au nom de son corps mystique tout entier. Tous, nous chantons en lui notre bonheur d’avoir été sauvés. Tous, nous sommes partie prenante de ce miracle de la Résurrection du Seigneur. C’est nous, surtout en fait, qui étions morts ; et morts de la plus terrible des morts : la mort du péché. Si Jésus est allé sous le pressoir de la Croix, ce n’était que pour nous revêtir, nous les hommes ses frères de la beauté de son Sang. Désormais, nous sommes ressuscités avec lui, en lui, et nous chantons, à Dieu notre Père, notre joie profonde d’être désormais pour toujours avec lui, tecum sum.

« Vous avez étendu votre main sur moi, poursuit l’introït, et votre sagesse s’est montrée admirable, alléluia, alléluia ! » La main de Dieu est étendue sur nous. C’est une main qui prend en charge et qui protège. La main de Dieu posée sur nous, voilà la seule main-mise que l’homme puisse accepter, la seule aussi qui fasse son complet bonheur. Quand Dieu nous prend dans ses mains, alors il nous lave de nos souillures, nous libère de nos œuvres de mort, et nous ramène à la vie divine.

Nous ne comprenions pas pourquoi sa providence nous laissait endurer de si douloureuses expériences, mais nous voyons désormais de plus en plus nettement dans sa lumière le bien que le Seigneur a accompli en nous à l’occasion de ces épreuves. Si le Carême a été lourd à la nature ankylosée dans ses travers, nous voilà désormais bien allégés de nos attaches aux biens qui passent. Le contexte ecclésial est parfois déroutant, surtout quand on entend outre-Rhin des évêques revendiquer des positions morales tout-à-fait contraires à la loi divine. Ce que l’Église a toujours enseigné est la voie du véritable bonheur inscrit par Dieu dans la nature humaine, et cela ne variera pas. Si Dieu permet cette contradiction, c’est qu’elle sera l’occasion d’une présentation de la beauté du mariage plus nette encore et bien utile à tous les hommes et les femmes de notre temps. D’autres situations déroutantes sont venues aggraver notre fardeau : les craintes sanitaires et politiques, la guerre à nos portes, et surtout l’incertitude pour le futur liturgique. Ces poids nous viennent aussi de la main de Dieu, bien fermement, et ils nous préparent à de belles résurrections, dans une vie nouvelle.

Oui, c’est d’une vie nouvelle que le Christ vit désormais. Il n’a plus à vivre la vie d’ici bas. Saint Bernard le dit avec sa façon :

L’Épouse [qui le cherche encore sur les places et dans les ruelles] juge encore comme un enfant : elle s’imagine, je crois bien, qu’à peine sorti du tombeau l’Époux à reparu en public, et qu’il y a repris sa vie habituelle, prêchant les foules, guérissant les malades, se montrant dans sa gloire parmi les Israélites, pour voir s’ils l’accueilleraient, revenant de la mort, comme ils avaient promis de le faire au cas où il se déclouerait de la croix1.

Non, le Seigneur ne revient pas vivre au contact des hommes. Il sait quelle est leur réaction. L’expérience a déjà été faite, la première mission est accomplie.

Les saintes femmes commettaient un peu la même erreur lorsqu’elles voulurent embaumer le corps du Seigneur Jésus. Elles désiraient conférer une pérennité artificielle à ce corps qui a vécu la vie commune. Mais « Il avait achevé la mission que lui avait confiée son Père, et l’Épouse aurait dû le comprendre, ne fût-ce qu’en entendant la voix expirante du crucifié prononcer ces mots : Tout est consommé2. » Désormais, il se hâte de retourner auprès de son Père, tecum sum, « car une fois élevé de terre, il aura plus de force pour attirer toute créature à lui3 ». Plus rien de vétuste ne doit demeurer dans nos vies. Engageons-nous dans cette vie nouvelle, sur la lancée des purifications quadragésimales. Livrons-nous désormais avec un élan de ferme espérance à la prière, à la charité fraternelle, à la lectio divina, au travail généreux. Ne laissons pas l’égoïsme de l’épidémie numérique s’introduire à nouveau si Dieu nous a aidé à la chasser en ces jours de pénitence. Ne cherchons pas non plus à tout prix une artificielle pérennité de la santé que nous promettent les idéologies menteuses d’une prétendue médecine : notre paradis n’est pas sur cette belle terre, mais dans la communion éternelle à la vie trinitaire.

Le soleil vient de se lever, comme l’a dit l’Évangile. Ce jour que fit le Seigneur est un jour nouveau. Rien de vétuste ne s’y prolonge. « Il est ressuscité, dit l’Ange aux femmes, et il n’est pas ici. » Il n’est pas là où l’on attendrait qu’il fût, là où il avait été déposé. Sa vie est nouvelle. Il nous précède en Galilée. Il nous attend ailleurs qu’à Jérusalem, au cœur de la société huppée où se prennent les décisions. Il nous attend en Galilée, dans notre terre d’origine, et là, dans nos circuits de bonnes habitudes acquises au long du Carême, il nous attend avec sa vie nouvelle. Ne cherchons le Christ ailleurs que dans nos devoirs d’état, mais cherchons le autrement dans un cœur libre de tout levain d’égoïsme.

La Vierge Marie, sereine dans sa pureté, ouvrira nos yeux pour reconnaître à chaque instant de notre vie d’aujourd’hui la présence très réelle de son Fils ressuscité. Il vit en nous.

Regina Cœli, lætare,

Amen, Alleluia.

1Saint Bernard, Commentaire sur le Cantique, serm. 76, no 1.

2Saint Bernard, Commentaire sur le Cantique, serm. 76, no 1.

3Saint Bernard, Commentaire sur le Cantique, serm. 76, no 1.

Jeudi Saint 2022

+

Messe de la Cène du Seigneur

Jeudi Saint 14 Avril 2022

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

L’oraison Super Populum du Lundi Saint demandait à Dieu notre Sauveur de nous aider à nous approcher avec une joie profonde de la célébration des bienfaits par lesquels Dieu a bien voulu nous restaurer, nous rendre la santé. Oui, c’est avec joie que nous nous approchons. Les mystères de notre salut ne sont pas effrayants. Ils ne sont pas même rebutants. Certes, une véritable conversion nous est demandée. Nous en versons des larmes. Mais au fond, il s’agit de retrouver la santé surnaturelle de l’âme, la communion très vive avec notre Dieu. Voilà pourquoi l’Église nous exhorte à demander la joie, quand nous nous approchons de ces heures si dramatiques.

Le mystère de ce soir est tout empreint d’intimité. Nous sommes autour d’une table. Le Seigneur, maître du banquet, s’en fait le serviteur. Il veille d’abord à ce que tous s’approchent avec la pureté requise. Il s’agenouille pour laver les pieds et les âmes de chacun pour que chaque disciple puisse recevoir sans écran la grâce qu’il se prépare à donner. La confession pascale est notre lavement des pieds.

La Cène préfigure et réalise déjà le sacrifice du lendemain. Car dès l’institution de l’Eucharistie, le Seigneur a donné sa vie. Il l’a donnée sous les espèces du pain et du vin. Le Seigneur a daigné montrer cette vérité à Sainte Faustine :

En cette heure de prière, écrit-elle dans son Petit Journal, Jésus me permit d’entrer dans le Cénacle et j’assistai à ce qui s’y passait. Je fus très émue quand, avant la consécration, Jésus leva les yeux au ciel et entra dans une mystérieuse conversation avec Son Père. Ce n’est que dans l’éternité que nous comprendrons ce moment-là… Ses yeux étaient comme deux flammes, son visage rayonnant, blanc comme la neige, toute sa personne empreinte de majesté. Son âme pleine de lassitude, se reposa au moment de la consécration : l’amour était assouvi, le sacrifice pleinement accompli. Maintenant il ne restait plus que la cérémonie extérieure de la mort à accomplir, la destruction extérieure. L’essence est au Cénacle1.

Au moment de la consécration, les yeux du Seigneur sont comme deux flammes. Il est sur le point d’accomplir l’acte décisif et irrémédiable de notre salut. Il est venu pour cela, pour nous donner sa vie, pour sauver ces pauvres brebis qu’il a craint un instant de devoir condamner pour toujours, mais qui sont désormais dans ses mains. Et personne ne les en arrachera. Oui, dès le Cénacle, la mission du Seigneur est accomplie. Il est venu se faire la nourriture des âmes pour se les unir, se les assimiler et les ramener au Père. Il l’avait annoncé en ces mots si forts :

Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. […] Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement (Jn 6, 51, 54-58).

Les disciples ne comprennent pas encore ce que Jésus a accompli en leur lavant les pieds et en leur donnant à manger et à boire cette nouvelle nourriture et cette nouvelle boisson. Mais, il y a désormais une communion de vie. Le Bienheureux Père Marie-Eugène écrit :

Cette révélation sera faite après la Cène aux Apôtres devenus les prêtres et les amis du Christ, alors que la présence eucharistique verse dans leur âme l’onction qui éclaire et embrase. Jésus leur dit : Je suis la vigne, vous les sarments… Demeurez en moi et moi en vous2.

C’est alors que Jésus révèle l’intention unique de son sacrifice :

Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé (Jn 17, 21-23).

Le Christ est mort pour l’unité du corps mystique. Le sang répandu devient le lien qui a uni tout ce qui était séparé. De multiples grains de blé l’on fait un pain ; de multiples grains de raisin, on fait un vin ; de multiples personnes distinctes, le Christ et sa Mère font le corps de l’unique Église.

Amen.

1Sainte Faustine, Petit Journal, 683.

2Bienheureux Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je veux voir Dieu, 19573, p. 659.