Pentecôte 2020

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Solennité de la PENTECÔTE, dimanche 31 mai 2020,

Notre Dame de TRIORS.

Mentes tuorum visita – Visitez les âmes de vos fidèles. La fête de ce jour avec son hymne Veni Creator prend cette année une couleur mariale, puisqu’elle prend la place de la Visitation de Notre Dame à sa cousine Élisabeth en ce 31 mai. Visitavit quos amavit, chante-t-on à Noël (Séquence, Adam de Saint Victor), Notre Dame est en visite avec le Saint-Esprit auprès de ceux que Dieu aime. Oui, en ce matin de Pentecôte, le divin Esprit fait irruption dans le cœur des apôtres qu’Il aime, au même titre et du même élan que le Père qui les aime, nous apprend le discours après la Cène : Pater amat vos quia vos me amastis (Jn. 16,27). Mais déjà le petit Jean avait exulté sous la motion du Saint-Esprit dans le sein de sa mère ; maintenant ce sont les apôtres qui exultent dans les rues de Jérusalem avec un enthousiasme attirant les foules. Cette ferveur inédite tranche avec le quotidien prosaïque des badauds ; aussi certains leur imputent-ils d’avoir trop bu (Act. 2,13).

Le dialogue entre Marie et sa cousine avait abouti à la louange du Magnificat publiant devant tous la présence divine en Elle, car le Saint-Esprit l’avait prise sous son ombre et le Verbe venait de s’incarner en elle pour notre salut (Luc 1,35). À la Pentecôte, Pierre chante les merveilles de Dieu, magnalia Dei (Act. 2,11), évoquant et défendant avec une ferme simplicité la sobre et chaste ivresse de l’Esprit, pour parler comme une hymne célèbre, laeti bibamus sobriam ebrietatem Spiritus. Le Royaume de Dieu est visible, il est désormais parmi nous. Adveniat regnum tuum, le souhait commence à devenir réalité, Regnum intra nos est – le Royaume est déjà là au dedans de nous (Cf. Luc 17,21).

Avant la Visitation des mystères joyeux et la Pentecôte des mystères glorieux, l’Histoire Sainte ancienne laissait présager cette mainmise divine dans nos vies. Une belle page mérite ce matin d’être évoquée. Samuel désigna en son temps le roi David qui devait régner sur Israël, préfigurant le Messie, notre Sauveur. Comme Élisabeth, sa mère fut longtemps stérile, mais la pensée divine se rit de nos échecs. Priant donc près de l’Arche d’Alliance à Silo, elle murmurait sa plainte légitime. La voyant marmonner ainsi, le prêtre Héli la dénigra comme les badauds de Jérusalem : Il pensa qu’elle était ivre, et lui dit: «Jusques à quand seras-tu dans l’ivresse? Fais passer ton vin». Et Anne (c’est le nom de la femme) répondit: Non, mais je suis une femme affligée dans son cœur; je n’ai bu ni vin ni boisson enivrante, mais j’épanchais mon âme devant le Seigneur… Ayant conçu un enfant, elle l’enfanta et le nomma Samuel» (I Sam. 1,12-20). Son action de grâces suivit, comme une ébauche du Magnificat de Marie : Fecit mihi magna qui potens est – le Tout-Puissant a fait pour moi des merveilles (Luc 1,49 Cf. I Sam. 2,3), magnalia Dei.

Un grand vent a ouvert la porte du Cénacle (Act. 2,2), attirant les passants : le Saint-Esprit a voulu ce signe spectaculaire. Néanmoins au Cénacle, c’était jusque là un grand calme riche et fécond ; les apôtres étaient recueillis autour de Notre Dame (Act. 1,14) ; ils ne s’ennuyaient vraiment pas en attendant ces quelques jours, selon l’ordre que leur en fit le Seigneur juste avant son Ascension. Deux faits de l’Ancien Testament viennent ici à l’esprit. Le Prophète Élie fut conforté dans sa mission par une brise légère pour le consoler et le fortifier (I Rois 19,12). Des cataclysmes s’étaient manifestés juste avant, orage, tremblement, éclairs, mais Dieu n’y était pas (19,11). Le léger bruissement de la brise fut pour lui l’indice de la venue du Tout-Puissant, analogue à la grâce préparant les apôtres au Cénacle. Pourtant devant les Hébreux, quand Moïse gravit la montagne, le Seigneur se manifesta alors avec de grands signes que Moïse affronta seul, tandis que le peuple était terrifié (Ex. 19,16).

Cinquante jours après Pâques, les pèlerins étaient à Jérusalem pour commémorer cette promulgation de la Loi sur le Sinaï. Dom Guéranger décrit le fruit intérieur de grâce qu’ils reçurent alors : La première Pentecôte sur les rochers sauvages de l’Arabie, au milieu des éclairs et des tonnerres, intimait une loi gravée sur des tables de pierre. En cette seconde Pentecôte, le ciel ne s’assombrit pas, on n’entend pas le roulement de la foudre; les cœurs des hommes ne sont pas glacés d’effroi comme autour du Sinaï ; ils battent sous l’impression du repentir et de la reconnaissance : un feu divin s’est emparé d’eux, et ce feu embrasera la terre entière (An. Lit. T.P. III, p. 265 ; Cf. Heb. 12,18ss).

L’Évangile de ce jour unifie ces divers textes épars de l’Écriture. Il s’agit de la fin du chapitre XIV de S. Jean (Jn. 14,23-31) : Aimer Jésus, pour les pèlerins désormais convertis, c’est garder sa parole. Aussi son Père aime ces obéissants, comme il l’a dit des apôtres eux-mêmes : le Père et le Fils viennent faire leur demeure en eux, et l’Esprit-Saint, que son Père envoie au nom de Jésus, leur enseigne toutes choses, leur rappelant tout ce qu’il a dit en son évangile. Dès lors, soyons sans trouble ni effroi. C’est sûr, le Prince de ce monde est là, mais il ne peut plus rien contre Jésus et les siens. Le Saint-Esprit est à l’œuvre dans le recueillement au Cénacle devenant notre dans la brise légère de la vie intérieure ; la mission ne vient qu’après, pour rendre audible le message évangélique du salut, sachant bien qu’ici, l’exemple vaut mieux qu’une cymbale retentissante (Cf. I Cor. 13,1).

Et ce ne fut pas le cas de Jeanne d’Arc, canonisée il y a juste 100 ans et brûlée vive un 30 mai en son XIVème s. En effet, elle a d’abord vécu ses voix comme une brise légère, avant que sa docilité intrépide bouleverse et imprime l’ordre divin à son époque ; puis elle mourût d’amour en contemplant le Crucifix. Hier à Rouen ce dernier fut mis à l’honneur en une belle messe de déconfinement. La brise légère se remarque ainsi depuis le mystère de la Visitation de Notre Dame chez sa cousine, chaste ivresse du Cantique des cantiques : Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés (5,1). Notre Dame jeune adolescente toute joyeuse parcourt en hâte le chemin vers sa cousine, dans le colloque intime avec le mystère qui vit désormais en elle. En ce contexte contemplatif fait irruption l’exultation remuante et charmante du petit Jean qui accueille son cousin et Sauveur. Le mystère du Cénacle gagne à être lu à la lumière de ce rapprochement : Notre Dame est là, présidant à la naissance de l’Église comme mystère visible. Les grands événements d’après nos confinements ambigus et pénibles sont en sa Main Immaculée, Regina caeli laetare, laetemur in ea, amen alleluia.

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Acsension 2020

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Solennité de l’ASCENSION du Seigneur,

Notre Dame de TRIORS, le jeudi 21 mai 2020.

À 12 ans, l’Enfant Jésus s’étonnait de l’inquiétude de Marie et de Joseph, avant les retrouvailles au Temple (Luc 2,49) : Pourquoi me cherchiez-vous ainsi ? Aujourd’hui, deux anges brillants posent une question analogue aux disciples : Quid admiramini – Pourquoi rester ainsi à regarder (Act.1,11). À 12 ans, Jésus répondit lui-même qu’il se devait d’être chez son Père, aux affaires de son Père. À l’Ascension, les ministres de blanc vêtus invitent les apôtres à regarder plus loin que les apparences. Tout est cohérent et uni dans le dessein du Sauveur.

De son côté, l’enlèvement d’Élie au ciel peut-il apporter un éclairage utile au mystère de ce jour ? Un char de feu et des chevaux de feu sépara Élie d’Élisée, et Élie monta au ciel dans un tourbillon (II Rois 2,11). Cinquante compagnons-prophètes partirent alors pour voir si le char ne l’avait pas laissé quelque part ; ils revinrent bredouilles, au bout de trois jours comme Marie et Joseph, bien sûr sans l’avoir trouvé (II Rois 2,12-18). Et S. Grégoire pointe la grande différence d’avec la fête de ce matin : Élie fut emporté au ciel sur un char, écrit-il, pour démontrer clairement que n’étant qu’un homme, il avait besoin d’un secours étranger. En revanche notre Rédempteur n’a eu besoin ni de char, ni d’anges pour monter au ciel : Créateur de toutes choses, il s’éleva par sa propre vertu au-dessus de tous les éléments.

L’Évangile de ce matin dit ensuite du Seigneur qu’il est assis à la droite de Dieu (Mc. 16,19). Étienne, le protomartyr, a vu ces cieux ouverts à la fin de son témoignage ardent, et, précise-t-il, le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu (Act 7,56). S. Grégoire en déduit de belles choses : C’est en tant que juge que, aujourd’hui, il est assis à la droite de Dieu. Mais pour porter secours à celui qui devait combattre pour lui, il se tient debout. Ainsi Étienne, au milieu du combat qu’il soutenait pour lui, voit debout Jésus-Christ venu l’aider. Mais S. Marc, lui, le montre assis à la droite de Dieu, parce qu’après la gloire de son ascension, il parait dans l’attitude de juge des hommes à la fin du monde.

On peut ainsi mieux mesurer ce que allons chanter dans le Credo : Ascendit in caelum, sedet à dexteram Patris – Il est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant. C’est là ce qu’a d’«admirable» ce mystère ; S. Augustin en est enchanté : Il n’est pas assis comme les hommes ont coutume de s’asseoir. S’asseoir a ici le même sens qu’habiter : Jésus-Christ habite à la droite de Dieu le Père, il est heureux et il habite au sein de la béatitude, qui est appelée la droite du Père ; car on n’y connaît que la droite, il n’y a plus alors de souffrance. La collecte du jour reprend justement l’image de l’habitation, car -et cela aussi est admirable dans le mystère du jour- elle nous concerne nous aussi. Nous y prions le Père par son Fils Jésus-Christ, Dieu né de Dieu, afin que nos âmes aussi habitent dans ces régions célestes, là où Il est entré – ipsi quoque mente in calestibus habitemus. À ce titre la vie contemplative est au cœur même de la vie de l’Église. Dans la sillage de l’oraison propre à la fête, et après bien d’autres saints, Ste Élisabeth de la Trinité parle du ciel de notre âme. Enfant, elle avait appris le sens de son prénom en hébreu, « maison de Dieu » ; cette révélation devînt le centre de sa spiritualité : l’habitation de Dieu, être une « demeure » de la Trinité pour vivre « à la louange de sa gloire».

Cette année, le confinement a coïncidé avec le Carême et le Temps pascal qui va vers sa fin. À cette occasion, le Père abbé Primat de l’Ordre vient d’écrire un peu longuement. Il y voit un ‘cadeau déguisé’ et une chance pour le charisme monastique, séparé de tous pour être tout à tous en l’Unique qui est dans les cieux. En effet en ce temps de crainte et d’inquiétude, écrit-il, il y a quelque chose qui est tranquillement à l’œuvre dans le cœur des croyants ; le Saint-Esprit en nous nous guide de manière si simple et bonne, si touchante et qui nous transforme. C’est une paix subtile et tranquille, humble et gracieuse, sage, noble et qui nous aide. Voilà la mystérieuse paix de Pâques que le Christ nous a laissée, à nous, ses disciples bénédictins.

Une étude sérieuse du Collège des Bernardins fait méditer sur le rôle des sacrements et des prêtres (Père Laurent Stalla-Bourdillon). Appelés «sacrements de la foi», précise cette étude, ils supposent que c’est dans la foi que se reçoit la grâce divine. Or, notre mentalité contemporaine a tendance à vouloir la réalité tout de suite, et non pas la réalité de la foi. Ainsi, on croit déjà réalisé et effectif en ce monde, ce qui est la promesse du monde qui vient. Ce que nous sommes vraiment devenus par les sacrements, nous le serons seulement (mais vraiment) dans le monde qui vient (et que nous ne voyons pas encore) ; en ce monde-ci, et nous devons encore le devenir, à travers la patience et la persévérance de la foi. C’est souligner le rôle irremplaçable et préjudiciel de l’espérance ouverte sur le ciel

Puis le Père abbé Primat reprend divers points de la doctrine monastique, insistant surtout sur le silence. Le confinement nous l’a imposé, puissions-nous le goûter maintenant de plein gré. Il y a encore quelques mois, dit-il, nos vies étaient happées par le rythme rapide de la société, aux dépens du temps consacré au silence et à la réflexion. Ces semaines ont réveillé en nous la conscience de son importance. Peut-être fûmes-nous au début mal à l’aise avec ce surcroît de silence en nos vies. Désormais puissent les moments de silence et de réflexion être reçus comme de précieux moments pour la communion avec Dieu, à travers la lectio divina, l’adoration ou la tranquillité de la présence divine vivante en nous.

Mais l’évangile de ce matin nous fait une objection : en effet la vie contemplative ne s’oppose-t-elle pas à la proclamation de l’évangile dont nous venons d’entendre le précepte (Mc. 16,15&20) ? S. Augustin se plaint que la prédication des Apôtres n’a pas encore atteint toute la terre. Il se répond à lui-même : Le commandement s’adresse à toute l’Église jusqu’à cette consommation des siècles à propos desquels il dit : «Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles». En lien avec la bénédiction dont parle S. Luc au terme de son évangile (25,50s), l’abbé Primat nous rassure, nous voyant au cœur de l’Église, enfermés ensemble autour de Marie dans un même lieu, vivant dans la prière, dans l’attente et dans la sainte anticipation de la main aimante et gracieuse de Dieu qui nous apporte la bénédiction anticipée de la guérison, du renouveau intérieur et de l’espérance pour l’avenir. Dans son Jésus de Nazareth, le dernier mot de Benoît XVI est pour cette bénédiction qui fixe en contemplation tout ce que fait la Mère Église : Dans la foi, écrit le Pape émérite, nous savons que Jésus en bénissant tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente de la joie chrétienne (JdN III, p. 330), cette joie même qu’annonçait Gabriel à Marie et répandue désormais à profusion, Gaude Maria Virgo, amen, alleluia.

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Pâques 2020

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Solennité de la Résurrection du Seigneur,

le 12 avril 2020, Notre Dame de TRIORS.

La porte du Cénacle était encore close le soir de Pâques, bien que la pierre ait été dégagée du sépulcre au petit matin. Aux origines, ce fut même le premier et humble soulagement pour les trois Marie, avant que l’ange leur indique le glorieux message de la sainte Résurrection : on vient d’entendre cela (Mc. 16,1-7). Néanmoins, le grand succès de Dieu ne fut pas perçu de sitôt, l’impression oppressante d’échec perdura chez les apôtres avec diverses nuances. L’éveil à la foi pascale se fit lentement, avec une certaine langueur. Les femmes crurent aisément, mais les hommes furent plus lents à les prendre au sérieux, à en croire les pèlerins d’Émmaüs (Luc 24,22-24).

Heureusement par la suite, les diverses apparitions pascales firent bien des apôtres les authentiques témoins de la Résurrection (Act. passim). Et, après la Pentecôte, la foi pascale devint publique, rayonnant à partir de la communauté primitive. Au début du IVème s., l’empereur se convertit, et la foi pascale devient alors un fait social, célébré dans la liturgie. Celle-ci se dégageait du culte impérial pour chanter sans ambiguïté le Christ Notre Seigneur vainqueur de la mort. Peu de siècles après, la fête de Pâque était célébrée avec une saine magnificence, lorsque S. Grégoire le Grand eut exercé son charisme de transférer la pompe impériale au profit désintéressé du seul Christ Seigneur. Un recueil officiel du tout début du VIIIème s. décrit l’entrée solennelle du pape lors de la messe de Pâque avec un grand luxe de détails (Ordo Romanus I).

Il quitte son palais du Latran à cheval en direction de la basilique Sainte-Marie Majeure, l’église de la station en cette Solennité des solennités. Son cortège enrichi de la présence de dignitaires et du clergé, apporte une sorte de sacristie ambulante avec tout ce qui est nécessaire : l’évangéliaire, le chrême, les aiguières, la patène avec le calice, et les chandeliers. À l’arrivée, le pape gagne la sacristie pour revêtir les ornements sacrés, pendant que l’évangéliaire est porté sur l’autel. Puis il prend contact avec les chantres, leur donnant le signal pour entonner l’introït avec le psaume. Le pape monte alors à l’autel à la suite de sept acolytes portant sept chandeliers, ce qui demeure encore dans la liturgie papale; ceux-ci précèdent sept diacres et sept sous-diacres dont un thuriféraire.

Après la vénération du coffret des Sancta, ancêtre mobile de notre tabernacle, il salue l’autel, et donne la paix aux assistants. Après un temps de prière silencieuse, il fait signe de conclure le chant de l’introït, baise l’évangéliaire avec l’autel, tandis que les chandeliers sont posés à terre. Puis le Pape se rend de l’autel à son siège et s’y tient face à l’Orient. Le Kyrie est répété plusieurs fois au choix du Pontife, avant d’être fixé bientôt à neuf. Après l’intonation du Gloria et la salutation « Pax vobis », le chant de la collecte conclut l’introduction à la messe de la solennité de Pâque dont le déploiement se poursuit.

Certes, nos messes habituelles, même pontificales, sont bien modestes en comparaison. Mais la Pâque de cette année, avec toutes nos églises fermées, présente vraiment un hiatus abyssal. Est-ce à dire que nous rétrogradons à la foi vacillante de la première matinée pascale de l’an 33 ? Refusons une telle conclusion, si superficielle, et voyons plutôt dans les circonstances actuelles, exceptionnelles, la grâce d’un long Samedi saint, commencé dès le milieu du Carême et prêt à se prolonger encore. Mais ce vide du Grand Samedi est désormais rempli du clair-obscur de Pâques. Dans un homélie anonyme vraiment bien inspirée, attribuée à S. Épiphane de Salamine (+ 403), nous vivons cette grâce du long Samedi avec Jésus victorieux, descendant aux enfers comme on le chante dans le Credo. Écoutons cela : Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Le roi semble dormir : la terre pourtant a tremblé et s’est calmée, car Dieu s’est endormi dans la chair, et est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Il est parti chercher Adam, notre premier père, la brebis perdue, ainsi que tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort.

Pour l’heure, les enfers qu’a créés notre société se manifestent comme tels par l’épreuve sanitaire que l’on sait ; la grâce pascale s’offre à elle in abscondito comme une visite salutaire. En ce jour, le Seigneur lui offre –c’est le sens de notre prière pour ceux qui souffrent et ceux qui nous gouvernent- une grâce des retrouvailles analogue à celle que l’homélie décrit : Adam en tant que premier père et premier mortel, entendit le premier le bruit des pas du Seigneur qui venait vers les prisonniers. J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous! Pendant qu’il disait cela, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. Plein de stupeur Adam se frappa la poitrine et cria aux autres : Mon Seigneur est avec nous tous – Dominus nobiscum ! Et le Christ lui répondit : Et cum spiritu tuo. Puis lui ayant saisi la main, il lui dit ce que notre rituel applique au profès avant la sainte communion : Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ! Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Lève-toi et partons d’ici, car tu es en moi et je suis en toi. Je me suis endormi sur la croix, la lance m’a percé le côté à cause de toi qui as dormi au paradis pour que je fasse sortir Ève de ton côté : ma douleur a guéri celle de ton côté. Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie,

Ce beau souhait, nous demandons humblement et avec foi au Seigneur de le dire à ceux qui gèrent la vie sociale. Depuis trop longtemps ils se réfèrent à des principes naturalistes myopes et malsains. Puissent-ils réapprendre les règles du bon sens inspirées par Dieu que l’on nomme le droit naturel, c’est-à-dire ce qu’une consciente droite accepte spontanément. Les siècles chrétiens ont laissé des traces que beaucoup ont voulu flétrir, mais ces traces sont encore porteuses de vie. Notre Dame a prédit son triomphe qui est celui de son Fils pour notre temps. On peut y appliquer l’homélie qui poursuivait : Mon Père céleste attend sa brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle de noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le royaume des cieux qui existait avant tous les siècles vous attend. La liturgie grandiose de S. Grégoire attend patiemment la version de Pâques pour notre temps. L’homélie du IVème s. décrivait ce retour à la vie comme un nouveau baptême, de haut en bas, puis de bas (et même du plus bas) vers le plus haut, comme quand on plonge un nouveau-né dans la piscine baptismale pour l’en arracher, ruisselant de vie nouvelle !

Ce beau rapprochement a été fait ces jours-ci dans un des nombreux articles destinés aux fidèles confinés. Il leur fixait ainsi le programme pascal de cette année : Découvrir ce que l’absence eucharistique, tellement étrange, tellement rude pour les catholiques que nous sommes, peut révéler, en creux ; à savoir la présence agissante de Celui qui ne dort jamais, qui travaille sans cesse. Nous sommes confinés, mais Il est actif au plus infecté de nos cœurs, en cet en-bas, tout en bas, tout au fond ! Découvrir aussi, comme le peuple juif en Exil que, plus que Jérusalem, pourtant si importante, si vitale, est nécessaire ce que nos pères médiévaux appelaient la res du sacrement, à savoir la charité : redécouvrir que la res, la charité demeure toujours accessible, jamais confinée.

Alors, le Salve festa dies avait vraiment lieu d’être chanté tout à l’heure : Tristia cesserunt infernae vincula legis, expavitque chaos luminis ore premi – le carcan lugubre saute, le chaos épouvanté laisse passer à plein la lumière puissante. Et tout au long du Temps pascal notre demande sera exaucée, in hoc paschali gaudio, ab omni mortis impetu, tuum defende populum, le Seigneur se porte garant pour notre temps de la santé spirituelle libérée des principes mortifères. Alors nous pouvons célébrer la joie de Notre Dame sans aucune réticence, Regina caeli laetare, amen, alleluia.

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Jeudi Saint 2020

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Jeudi Saint 9 avril 2020, Notre Dame de TRIORS.

Ce soir notre Cénacle est à huis clos, portes fermées. Avons-nous peur de l’extérieur, comme les disciples qui s’y enfermèrent le soir de Pâque (Jn. 20,19) ? La porte close, ce soir n’est-elle pas plutôt un grand signe pour raviver notre perception de la sainte Eucharistie dont nous célébrons solennellement l’institution, portes closes : les grands mystères se reçoivent sur la pointe des pieds, comme Moïse au Sinaï. Et nous rejoignons ainsi la splendeur des liturgies solitaires, chacun dans sa chambre, la porte fermée également (Mt. 6,6). Il y a 115 ans S. Pie X élargissait l’accès à la sainte Table, et nous voici tous confinés, loin d’elle pour le grand nombre depuis des semaines. C’est un grand signe, étonnant et douloureux. Il faut tenter de discerner l’intention de la divine Provi-dence qui permet cela.

Des évêques ont parlé, celui de Valence notamment. Écoutons leur parole autorisée. Le premier équipement du combat contre l’épidémie pour le croyant, c’est bien sûr la prière : il ne saurait être mené sans Dieu de qui vient tout don parfait, et à la Providence duquel rien n’échappe. Le devoir de rester informé, sans tourner à l’obses-sion, ne doit donc pas contrevenir à ce plus grand devoir qu’est la prière : grâce à Dieu, la prière est revenue ici ou là. Si le virus peut attaquer la santé du corps, méfions-nous surtout du virus de la peur qui mettrait en péril la vie spirituelle et l’esprit de foi. La distanciation matérielle requise pousse à s’isoler : gardons-nous de la méfiance et du soupçon des personnes. Le devoir de chercher le visage de Dieu en l’autre reste entier. Notre cénobitisme, ancré dans le discours après la Cène, est ici en jeu.

De leur côté, les fidèles éloignés physiquement pour un temps des offices à l’église n’en réalisent pas moins, humblement et pauvrement, le programme liturgique décrit par le Concile (Sacr. Conc. 48) : Bien comprendre les rites et les prières, participant consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée autant que faire ce peut, formés par la parole de Dieu, rendant grâce à Dieu ; offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes et, de jour en jour, qu’ils soient consommés par la médiation du Christ dans l’unité avec Dieu et entre eux pour que, finalement, Dieu soit tout en tous.

Un tel texte est exigeant, aussi invite-t-il à un loyal examen de conscience eucharistique : l’accès facile à Jésus-hostie ne nous a-t-il pas rendue la sainte communion banale ? L’intention de S. Pie X en 1905 est rejointe ici par la profondeur du texte conci-liaire. En 1963 comme en 1905, la Mère Église aide doucement, comme S. Paul en son temps, à discerner le don divin pour qu’il ne condamne pas notre désinvolture. Redevenir enfant est toujours la seule issue pour communier à Jésus dans la joie chrétienne.

Par ailleurs, le virus joue providentiellement le rôle d’un catalyseur, révélant le malaise social ambiant. En cela, il désillusionne notre temps et fait donc œuvre de vérité. Le pape François le remarquait dans Laudato Si (105) : La réalité, le bien et la vérité semble surgir spontanément du pouvoir technologique et économique lui-même. Mais le fait est que «l’homme moderne n’a pas reçu l’éducation nécessaire pour faire un bon usage de ce pouvoir» (Romano Guardini)… En ce sens, l’homme se voit nu, exposé à son propre pouvoir toujours grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler.

À ces désillusions, s’ajoute donc maintenant l’absence de la communion sacra-mentelle qui éprouve vivement les fidèles, et le désir pascal la fait davantage ressentir. Néanmoins, la longue histoire de l’Église, sans minimiser l’épreuve, a de quoi apaiser un peu ce trouble. Pour certains il vaudrait mieux braver le danger, puisque la Présence réelle de Celui qui s’est nommé notre Vie ne sera jamais cause de mort ; les gouvernants temporels et spirituels manqueraient de foi. Mais l’exégèse mystique n’est pas ici la plus sûre ; elle procède de confusions qui mélangent les plans. Si S. Paul n’est pas mort quand une vipère le mordit à Malte, au point que les habitants de l’île le prirent pour un dieu (Act. 28,3s), S. Benoît, lui, bénissant la boisson empoisonnée, n’a pas pour autant purifié le breuvage, c’est plutôt le vase qui s’est brisé pour le protéger (Vie c. 3). La Transsubstan-tiation en maintenant les apparences de ce qui fut du simple pain, ne modifie pas leurs caractéristiques, elle n’a pas de soi à en ôter le danger de contagion. De même la souris qui ronge une hostie ne met pas en cause la toute-Puissance divine, elle accuse plutôt la grave négligence du sacristain.

La communion quotidienne a pourtant toujours été la source du courage et de la ferveur des fidèles. Là aussi, l’histoire de l’Église permet d’atténuer la peine de ne pas y recourir sacramentellement en cette fête de Pâques. Pourtant, l’accès à l’eucharistie a beaucoup varié dans l’antiquité chrétienne sans nuire à la sainteté. La rareté de la communion au Moyen Âge (au point que, sous S. Louis, on considérait comme le signe d’une ferveur exceptionnelle de communier six fois l’an) eut des précédents ici ou là dès les premiers siècles, spécialement en Orient ; à l’inverse des auteurs médiévaux présentent encore comme normale la communion fréquente au IXe s. (Raban Maur, Amalaire).

S. Thomas d’Aquin traite ainsi de la communion quotidienne dans la Somme. Dans la primitive Église, écrit-il (IIIa, Qu. 80, a. 10, ad 5m), lorsque la dévotion de la foi chrétienne était plus forte, il fut décidé que les fidèles communieraient quotidiennement. Puis, la charité s’étant souvent refroidie, et à cause de l’abondance des péchés, Innocent III décida que tous les fidèles devaient communier au moins une fois l’an, à Pâques. Il remarque que deux motifs louables sont ici en cause, en sens inverse l’un de l’autre : le respect qui incline à l’abstinence (id. obj. 3), alors que l’amour, lui, invite à la réception quotidienne. Cependant, poursuit-il, l’amour et l’espérance l’emportent sur la crainte (qui souvent, d’ailleurs, est ici une crainte d’amour, crainte filiale), assurant le dernier mot à la communion fréquente (id. ad 3m).

La pratique de la communion rare passa hélas en coutume, aussi les chrétiens les plus fervents furent-ils privés sans motif de sa réception. Le jansénisme y ajouta sa glaciale théologie de la grâce qui faisait de la réception eucharistique une récompense, au lieu d’être l’aliment et le remède dont parle la liturgie. Sans faire concurrence à la communion sacramentelle, la communion spirituelle, en maintînt le désir, jusqu’aux mesures libératrices de saint Pie X en 1905, laissant les enfants y accéder, eux qui sont si souvent nos modèles en la matière.

S. Augustin a parlé maintes fois de la communion, reçue rarement ou quotidienne-ment ; son avis vient en aide au temps inédit que nous vivons. Il reprochait aux orientaux de ne pas communier tous les jours, contredisant alors le commandement du Seigneur dans le Pater concernant le Pain quotidien (Sermo in monte Domini II, 7, 26). Pourtant dans une lettre célèbre, il reconnaît que l’une et l’autre pratique peuvent être signe de ferveur (L. 54 à Januarius, cap. III). Interrogeant S. Ambroise, témoin de sa conversion, sur la disparité d’usages liturgiques, ce qui donnait des scrupules à sa mère Monique, l’évêque de Milan lui avouait préférer les usages de Milan en sa ville tout en s’adaptant avec joie aux usages romains à Rome. Lorsque j’eus rapporté à ma mère cette réponse, conclut-il, elle s’y rendit sans difficulté. Depuis ce temps, j’ai souvent repassé cette règle de conduite, et je m’y suis toujours attaché comme si je l’avais reçue d’un oracle du ciel.

Appliquant cela ensuite à la pratique eucharistique, et remarquant les divers avis en la matière, il conclut : Que surtout chacun demeure dans la paix du Christ. Zachée et le centurion ne se disputèrent pas entre eux, ni se jalousèrent lorsque le premier reçut avec joie le Seigneur dans sa maison tandis que le second disait n’être pas digne de l’y recevoir. Tous les deux honoraient le Sauveur d’une faon différente et en quelque sorte contraire ; mais tous deux se savaient misérables par leurs péchés, tous deux obtinrent miséricorde. Faire bon visage contre mauvaise fortune, l’adage empirique est plus profond qu’il n’y paraît. Tirer le meilleur parti de ce que permet la Providence est le réflexe de la foi qui voit par en haut, de l’intuition intime qui perce les secrets de Dieu sans révolte, dans la patience qui rejoint Jésus dans sa Passion, avec sa sainte Mère, debout, silencieuse et adorante au pied de la Croix, amen.

Épiphanie 2020

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Épiphanie du Seigneur,

lundi 6 janvier 2020, Notre Dame de TRIORS.

Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,

L’évangile d’hier et celui de ce matin se partagent le c. IIIème de S. Mathieu. Nous venons d’entendre l’épopée des Mages à la recherche de l’Enfant Jésus. Après leur enquête patiente, ils L’ont découvert avec Marie sa Mère et ont déposé à ses pieds leur vie toute entière, à travers l’offrande de leurs dons symboliques (Mt. 2,1-12). La scène magnifique séduit encore notre temps pourtant si peu ouvert à l’admiration du mystère de Dieu se dévoilant à nous : trop souvent elle préfère ses ténèbres à la lumière venue d’En-Haut. Le Pape François le remarquait à Noël : Oui, il y a des ténèbres dans les cœurs humains, mais plus grande est la lumière du Christ. Oui, il y a des ténèbres dans les relations personnelles, familiales, sociales, mais plus grande est la lumière du Christ. Il y a des ténèbres dans les conflits économiques, géopolitiques et écologiques, mais plus grande est la lumière du Christ (Message urbi & orbi).

Nos conflits manigancés font penser à celui que relate l’Évangile : le drame eut lieu après le départ des Mages, avec l’intrusion d’Hérode, grossière et meurtrière, obligeant la sainte Famille à fuir en Égypte. Hier l’évangile décrivait son retour après la mort du tyran (Mt. 2,19-23), retour de la Lumière là où elle devait briller tout d’abord, car plus grande est la lumière du Christ, comme le souligne le Pape, la Lumière aura le dernier mot. La Lumière vient en ce monde éclairer tout homme (Jn. 1,9), elle se cache parfois un temps, pour reparaître plus claire que jamais, la Lumière ne connaît pas d’échec face aux projets humains qui veulent l’obscurcir. Notre foi est cette Lumière divine offerte à chacun de nous, victorieuse du monde, dit S. Jean (I Jn. 5,4) : elle est victorieuse, à travers l’obéissance au devoir d’état, à travers la docilité et l’humilité, donnant alors à notre prudence de marcher toujours au pas de la Providence.

La mystérieuse étoile du récit de ce matin figure en effet la lumière que la foi répand dans les âmes, explique S. Léon. Nous l’avons vue dans l’Orient (Mt. 2,2), disent les Mages, et ils l’ont prise au sérieux. S. Augustin souligne la ferme résolution de leur démarche morale qui engage toute leur vie : Ils font connaître ce qu’ils ont vu, et en même temps ils interrogent, ils croient et ils cherchent : figure en cela de ceux qui marchent à la lumière de la foi et qui désirent jouir de la claire vue. L’étoile se dérobe un temps, affinant et purifiant leur recherche, puis elle réapparaît à leur plus grande joie (Mt. 2,9s). La glose médiévale décrit avec minutie cet ultime contact avec l’étoile au moment où les Mages atteignent leur but : Elle ralentit sa marche jusqu’à l’instant où elle les mène aux pieds de l’enfant. Elle se met à leur disposition, mais sans leur commander. Elle montre au Sauveur ses adorateurs, éclairant la grotte d’une abondante lumière, inondant le toit de cette étable de ses rayons éclatants, puis elle disparaît, comme le dit l’Évangile : Jusqu’à ce qu’étant arrivée sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta (Mt. 2,9).

L’étoile disparaît quand elle a mené à la Lumière née de la Lumière ; Dieu est reconnu en Jésus et les Mages se prosternent et l’adorent (Mt. 2,11) : oui, la médiation de l’étoile n’est plus nécessaire puisqu’est reconnue désormais la Lumière divine, source de toute lumière créée, celle des anges et des étoiles comme celle de la raison humaine agissant avec droiture. Ici, la foi de Marie peut être rapprochée de la foi d’Abraham, disait Benoît XVI lors de sa dernière Épiphanie comme Pape, la décrivant en contraste avec la foi ouverte désormais aux païens dans la personne des Mages, et il poursuivait : C’est le commencement nouveau de la même promesse, du même immuable dessein de Dieu : il trouve aujourd’hui son plein accomplissement en Jésus-Christ. Et la lumière du Christ est si limpide et forte qu’elle rend intelligible le langage du cosmos à l’unisson des Écritures si bien que tous ceux qui, comme les Mages, sont ouverts à la vérité peuvent la reconnaître et arriver à contempler le Sauveur du monde : à partir du noyau, personnifié par Marie, la Fille de Sion, à partir du noyau d’Israël, le peuple qui connaît Dieu, qui a foi en Dieu qui s’est révélé aux patriarches, et sur la route de l’histoire, voici maintenant les Mages venus d’Orient. Et le Pape citait S. Léon : Qu’elle entre, qu’elle entre donc dans la famille des patriarches la grande foule des nations. Que tous les peuples adorent le Créateur de l’univers, et que Dieu soit connu non seulement en Judée, mais par toute la terre (Angelus, 6 janvier 2013).

Pourtant à la famille des patriarches et avant la grande foule des nations, il manque encore Jean Baptiste et les apôtres que la liturgie associe aujourd’hui aux Mages, pour former avec eux un lumineux triptyque. Dès la naissance, la Mère de Jésus montre le Messie aux païens, puis trente ans plus tard, la voix du Père accréditée par la colombe du Saint-Esprit montre à Jean Baptiste l’origine divine du Messie, tandis qu’Il se dévoilait Lui-même à ses apôtres, par son premier miracle à Cana, avec l’eau changée en vin, évoquant l’Heure de l’effusion de son Sang.

De la crèche à la Croix (Ste Édith Stien), le mystère de l’Incarnation est plus immense que nous ne pourrons jamais le comprendre. Marie Noël dont le pseudonyme honore le souvenir d’un frère décédé à Noël écrit bien cela : De fils, ô mon Dieu, je n’en avais pas. Vierge que je suis, vous, Tout-Puissant, me l’avez donnée. De chair, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas, pour rompre avec eux le pain du repas. De mort, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas, pour sauver le monde. Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée.

La proclamation des fêtes mobiles dans un instant nous fera passer de Noël au cycle pascal, c’est-à-dire de l’Incarnation du Verbe à la Rédemption, puisque Jésus est venu pour nous sauver dans son Sang : le bois de la crèche y devient celui de la Croix. Nous voulons aborder avec Notre Dame ce tournant liturgique et sa joie sérieuse, Alma Redemptoris Mater, Stella Maris, peccatorum miserere, amen.