Pentecôte 2023

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Solennité de la Pentecôte

Dimanche 28 Mai 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Veni Sancte Spiritus. Dans la séquence que nous venons de chanter, nous avons répété quatre fois le mot « Veni — venez, Esprit Saint ». Et chaque jour de l’année nous avons coutume de le redire dans la prière au Saint-Esprit qui précède nos études : « Veni Sancte Spiritus — venez, Esprit Saint ». Cette demande, notre cœur la formule d’instinct en de multiples circonstances, et en particulier quand nous sentons que nous abordons une situation difficile. Tournons ce matin notre regard vers ce mouvement de l’âme qui attend aide et réconfort de la Troisième Personne de la Sainte Trinité, un seul Dieu avec le Père et le Fils.

Pourquoi demandons-nous l’Esprit Saint ?

C’est inscrit dans notre être chrétien. Depuis le baptême, nous vivons de la vie que le Seigneur nous a donnée et qu’il a décrite dans son Évangile. La vie divine vient en nous par le don de l’Esprit, et elle croît sous son influence : nous demandons que le Saint-Esprit vienne en nous parce qu’il fait de nous des fils de Dieu. Il nous rend participants de la nature divine, et frères du Seigneur. Quand l’Esprit-Saint entre chez nous, c’est la Trinité tout entière, indivisible, qui vient faire sa demeure en nous. Nous sommes en Dieu, il est en nous. Le Saint-Esprit est la Personne-Lien au sein de la Trinité. Il est le lien d’amour entre le Père et le Fils. Ce lien incréé a un écho créé : l’intimité des enfants de Dieu avec leur Père. C’est donc à l’Esprit que l’Église fait remonter notre lien avec Dieu.

Il est aussi la Joie éternelle dans la Trinité : la joie est fruit de l’Amour et il est personnellement l’Amour. C’est donc de lui que nous attendons toute joie. C’est ainsi que notre Bienheureux Père saint Benoît demande à ses moines de vivre la joie pascale dans le Saint-Esprit1. Les chrétiens font l’expérience d’un bonheur insoupçonné : le bonheur d’aimer et d’être aimés. Ce bonheur, nous l’attendons depuis toujours et nous en vivrons pour toujours si nous demeurons fidèles. Nous avons été tout spécialement créés pour ce bonheur.

Le Saint-Esprit nous invite donc bien loin des divertissements que nous propose le monde. Il y a certes de sains divertissements, nécessaires pour l’épanouissement de notre vie. Ces loisirs qui demeurent sous le regard de Dieu sont voulus par lui. Mais nous savons aussi que le monde propose avec insistance des plaisirs maquillés, dont la jouissance passagère ne parvient pas à cacher leurs dégâts durables et mortels. Les plus criminels de ces plaisirs n’aboutissent à rien moins qu’à donner la mort à un innocent ou à soi-même. Ils sont alors toujours une forme de blasphème contre le Créateur, contre la Vie. Saint Paul nous a dit que c’est « l’Esprit qui donne la vie » (Ro 8, 2). Plutôt que de la détruire, recevons-la avec reconnaissance, dans toute sa beauté et toutes ses exigences.

Mais comment demander l’Esprit Saint ?

Les sacrements sont d’eux-mêmes un appel à la présence du Saint-Esprit. Le baptême nous consacre comme temples de l’Esprit, et cette consécration est en soi et pour toujours une invocation de sa présence. Par la confirmation, l’Esprit Saint déploie en grand son influence en nous. Et en ces jours que la liturgie consacre au culte de l’Esprit, notre prière ne fait qu’actualiser ces réalités qui sont déjà inscrites dans notre être de chrétiens.

Le Catéchisme nous dit que « La forme traditionnelle de la demande de l’Esprit est d’invoquer le Père par le Christ notre Seigneur pour qu’il nous donne l’Esprit Consolateur2 » En effet, le Seigneur nous a dit que le Père désire grandement nous faire ce don. Il l’a dit en saint Luc, dans l’évangile que nous avons eu pour les Rogations : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 13).

Et « Jésus insiste sur cette demande en son Nom au moment même où il promet le don de l’Esprit de Vérité » dans le discours après la Cène : « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur » (Jn 14, 16)

Oui, nous devons demander le Saint-Esprit au Père par l’intercession de Jésus. « Mais la prière la plus simple et la plus directe est aussi traditionnelle : « Viens, Esprit Saint », et chaque tradition liturgique l’a développée dans des antiennes et des hymnes. »

Nous devons aussi demander à la Vierge Marie de nous apprendre à implorer le don de l’Esprit Saint. Contemplons-la, elle qui a si bien su attirer sur elle et sur l’Église entière le Don de Dieu.

Amen.

1Saint Benoît, Sainte Règle, c. 49.

2CEC 2671 (cette citation et les deux suivantes).

Ascension 2023

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Solennité de l’Ascension du Seigneur

Jeudi 18 Mai 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Deux hommes, revêtus de blanc, s’adressent aux disciples dont les yeux sont fixés vers le haut : « Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

Oui, c’est un fait, l’Ascension du Seigneur Jésus tourne nos regards vers le ciel, lieu de notre espérance, et nous soupirons après le jour où nous suivrons le Seigneur notre chef, après le jour où serons réunis à lui. Car alors, le corps mystique du Christ sera tout entier dans la gloire. Le Christ a ouvert l’accès du sanctuaire céleste, et nos regards demeurent tournés là où nous voulons le suivre.

Mais écoutons bien à nouveau la parole des Anges : « Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Les Anges ne soulignent pas pour le moment que nous suivrons le Seigneur. Certes, nous le suivrons avec joie, mais pour le moment, les Anges appuient surtout sur le fait qu’il viendra. Au fond, ces personnages célestes nous enseignent pour l’instant à attendre Dieu, à attendre notre cher Seigneur. Le message que Dieu veut nous adresser par leur biais est un message d’attente, d’attente laborieuse, sereine et joyeuse.

Nous attendons trois venues du Christ : nous attendons qu’il descende sur terre à la fin du monde, bien sûr, et nous l’attendons aussi à la fin de chacune de nos vies, mais nous l’attendons encore au cœur de nos journées. Ces trois attentes qui suivent l’Ascension rejoignent au fond la triple attente de la période liturgique de l’Avent.

Le Catéchisme de l’Église catholique souligne que :

Depuis l’Ascension, l’avènement du Christ dans la gloire est imminent même s’il ne nous « appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa seule autorité ». Cet avènement eschatologique peut s’accomplir à tout moment même s’il est « retenu », lui et l’épreuve finale qui le précédera1.

Et saint Paul vi reprend dans sa Profession de foi ce que les chrétiens ont toujours professé :

Jésus est ressuscité le troisième jour, nous élevant par sa résurrection à ce partage de la vie divine qu’est la vie de la grâce. Il est monté au ciel et il viendra de nouveau, en gloire cette fois, pour juger les vivants et les morts : chacun selon ses mérites — ceux qui ont répondu à l’amour et à la pitié de Dieu allant à la vie éternelle, ceux qui les ont refusés jusqu’au bout allant au feu qui ne s’éteint pas. Et son règne n’aura pas de fin.

Nous attendons donc ce retour final qui amènera l’achèvement du salut et la perfection de notre union à Dieu. Les saints attendent ce jour sans frayeur, mais au contraire avec impatience.

Mais chaque homme doit se préparer à une venue personnelle de Jésus. Il descendra pour chacun de nous, individuellement, pour cueillir notre âme au jour où il lui plaira. Nous approchons chaque jour de cette rencontre finale et personnelle. Nous espérons fermement que cette rencontre sera définitive, que nous ne serons plus jamais séparés, si Jésus nous trouve vivants de la vertu théologale de charité. Car alors, à cette heure de la mort que redoutent tant les impies, le Seigneur descendra nous chercher avec une grande douceur, une grande bonté, un grand amour. Que notre cœur soit donc en fête, et chaque jour davantage, à mesure que s’approche ce jour béni.

Enfin, il a été chanté dans l’Évangile que certes le Seigneur a été élevé au Ciel — assumptus in cœlum, mais aussi qu’il demeure tout de même au milieu de ses disciples puisque, lorsque ceux-ci se répandent partout pour prêcher, le Seigneur œuvre avec eux — Domino cooperante. Oui, le Seigneur demeure avec eux, avec nous.

Jésus vient nous visiter chaque jour. Chaque matin préparons-nous à le rencontrer, au détour d’une porte, dans le fil de la journée. Et chaque soir, demandons-nous : « Au détour de quelle porte ai-je croisé mon Seigneur ? »

Il descend sur l’autel à chaque Messe ; il descend doucement dans nos cœurs, à chaque communion. Il descend avec la même douceur et la même bénédiction qui enveloppèrent son départ.

Saint Jean a achevé son Apocalypse sur ce thème de l’attente du retour du Seigneur. « L’Esprit et l’[Église-]Épouse disent : « Viens ! » […] Et [Jésus] déclare : « Oui, je viens sans tarder. » — Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »

Que notre attende de Celui-qui-vient soit une participation à l’attente de la Vierge Marie avant Noël et, plus tard, après l’Ascension.

Amen, Alléluia !

1CEC 673 ; cf. Ac 1, 7 et 2 Th 2, 3-12.

Pâques 2023

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Solennité de Pâques

Dimanche 9 Avril 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Exultons, louons Dieu qui a fait de grandes choses : il a ôté le poids de la mort qui pesait sur l’humanité et il lui a rendu une vie nouvelle ! Pour cela, il a employé les moyens qui lui plaisent particulièrement parce qu’ils sont marqués au coin de la joyeuse modestie et de l’humilité.

La victoire est en effet réservée aux petits. Marie, plus jeune que le péché, a fait échec à la loi de mort qui dominait le monde. Saint Pierre, dont le cœur a été percé quand Jésus l’a regardé, a accueilli la miséricorde de Dieu. Et Jésus surtout, silencieux comme l’agneau que l’on mène à l’holocauste, a pris à complet rebours la logique bruyante de la puissance humaine.

Oui, désormais, « elle est passée, la figure de ce monde » (cf. 1 Co 7, 31). Et les saintes femmes de ce matin en sont encore un exemple. Elles se savent trop faibles pour rouler la très grande pierre — « qui était vraiment imposante — Erat quippe magnus valde ». Elles s’interrogent à ce sujet, mais elles se dirigent tout de même vers le tombeau. Quand on a en vue une grande œuvre, on s’y porte sans se laisser déconcerter par le secondaire. On espère qu’une solution se trouvera au moment voulu. Les saintes femmes visent une belle action qui a pris possession de leur âme : rendre les derniers devoirs au Corps de leur bien-aimé Seigneur. Elles ne se laissent pas arrêter par les obstacles matériellement démesurés au regard de leur faiblesse. Quand l’amour s’en mêle, la quête d’une fin se fait impérieuse. Et elles trouvent la pierre roulée. Dieu nous précède toujours sur le chemin de nos résurrections spirituelles. Il roule les pierres tombales qui nous enfermaient dans la mort.

Les femmes ressentent de la frayeur à la vue de l’Ange resplendissant. Mettons-nous à leur place ! Les pauvres sont encore dans une atmosphère de deuil et de ténèbre : elles viennent embaumer un mort. Elles se préparent à pleurer, dans la pénombre du tombeau qui a englouti le plus cher de leurs amis dans la fleur de sa jeunesse. Et voici qu’elles se trouvent en présence d’un Ange, sous les trait d’un aimable jeune homme, lumineux et resplendissant de vie, qui leur dit avec conviction : « Ne vous effrayez pas ! » Trente quatre ans plus tôt, saint Gabriel avait dit de même à Marie : « Ne crains pas ! » « Ne vous effrayez pas ! », car Jésus est vivant. Lui qui s’était fait le plus faible de tous a pulvérisé la carapace, la chape de plomb du péché, qui pesait sur l’humanité.

Oui, c’est en adoptant humblement l’attitude de la plus grande vulnérabilité que le Seigneur a vaincu. Quand un homme, ou une femme, cherche à être fort par lui-même seulement, il renforce cette carapace qui le sépare de Dieu. Mais quand nous accueillons la grâce de Dieu comme des enfants, nous nous approchons du point faible de cette carapace, de cette chape de plomb du péché. Il y a un point qu’elle ne peut contenir, un point qui lui est incompréhensible : la douce humilité à l’égard de Dieu. Le Diable, qui a voulu se passer de Dieu, ne comprend pas cette attitude d’humilité, d’humble dépendance à la grâce. Plus nous approchons de cette attitude, et plus nous lui échappons. Et avec le Christ, nous provoquons ce tremblement de terre qui fissure et qui pulvérise toute la carapace des tombeaux. Elle vole en éclat, la pierre vraiment très lourde qui pesait sur l’humanité.

Alors tournons-nous vers la Vierge Marie, la première des rachetés, et apprenons d’elle à rejoindre l’humilité de son Fils. Laissons-nous, comme elle, revêtir par la gloire de Jésus Ressuscité. Le Pape Benoît xvi nous y a invités lors de son voyage en France en 2008 :

Regardons […] cette « Femme ayant le soleil pour manteau » que nous montre l’Écriture (Ap 12, 1). La Très Sainte Vierge Marie, la Femme glorieuse de l’Apocalypse, porte sur sa tête une couronne de douze étoiles qui représentent les douze tribus d’Israël, tout le peuple de Dieu, toute la communion des saints, et avec, à ses pieds, la lune, image de la mort et de la mortalité. Marie a laissé la mort derrière elle ; elle est entièrement revêtue de vie, celle de son Fils, le Christ ressuscité. Elle est ainsi le signe de la victoire de l’amour, du bien et de Dieu, donnant à notre monde l’espérance dont il a besoin. Ce [matin], tournons notre regard vers Marie, si glorieuse et si humaine, et laissons-la nous conduire vers Dieu qui est vainqueur1.

Que Notre Dame soit notre guide en ce temps pascal qui s’ouvre : qu’elle nous indique les beautés de son Fils à contempler et qu’elle nous introduise dans la Vie nouvelle qui nous est offerte,

Amen, Alléluia !

1Benoît xvi, 13 Septembre 2008.

Vigile Pascale 2023

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Vigile pascale

Nuit de Pâques, Samedi 8 – Dimanche 9 Avril 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

« Après le sabbat, à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine, Marie Madeleine et l’autre Marie vinrent pour regarder le sépulcre » et un Ange leur annonce la plus profonde des joies : Jésus, comme le soleil qui point, a vaincu la nuit de notre mort. Au cours de cette nuit, au début du troisième jour depuis son grand sacrifice, Jésus a brisé le domaine des ténèbres. « Alléluia ! — Louez Dieu ! »

Dans la louange du cierge pascal chantée tout à l’heure par le Diacre, nous avons entendu cette très mélodieuse exclamation : « O vere beata nox — Ô, nuit vraiment bienheureuse ! » Ce chant de l’Exsulet rend gloire à la lumière invincible du Christ.

Quel est, pour nous, disciples du Christ, le mystère de la nuit ? Dans la Bible, nous voyons souvent le contraste entre une nuit et l’irruption de la lumière de Dieu.

Ne serait-ce qu’à l’origine, quand le monde gisait dans le Chaos dans le tohu et bohu : « La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. » (Gn 1, 2-3)

Mais le péché de l’homme a réintroduit le désordre et l’obscure confusion dans notre monde. L’Évangile nous présente cette nuit de péché. Pensons à cette nuit pénible où les disciples peinent à ramer dans leur barque. L’arrivée de Jésus les plonge dans la panique, mais leur apporte le réel réconfort. Pensons aussi à cette nuit dans laquelle s’est enfoncé Judas s’en allant trahir son ami ; et c’était cette même nuit qui n’était pas encore achevée que Pierre avait renié son Seigneur. Nous connaissons ces nuits noires, dans chacune de nos vies, quand la foi se fait obscure, quand la maladie et la souffrance semble nous imposer comme le désespoir.

Jésus lui-même est entré dans cette nuit. Les trois Évangiles synoptiques nous disent qu’au moment de sa mort, de pesantes ténèbres recouvrirent « toute la terre ». C’est l’heure où le Prince des ténèbres pense avoir vaincu, puisqu’il a écrasé même cet homme si parfait qui lui échappait depuis le début.

Oui, Jésus est entré dans notre nuit, mais lui, il en est sorti, et il nous entraîne dans son lumineux sillage. En effet, la nuit, avec lui, n’est pas conclusive. Elle passe. Rappelons-nous cette nuit de Noël, témoin de l’apparition du Sauveur : « Un silence paisible enveloppait toute chose, et la nuit […] était au milieu de son cours […] ; alors, du haut du ciel, venant de votre trône royal, Seigneur, votre Parole toute-puissante fondit en plein milieu de ce pays de détresse » (Sg 18, 14-15).

Le Verbe de Dieu fond au milieu de son peuple hébété par l’obscurité. Comme lors de la délivrance du peuple hébreu, il supprime les rejetons du mal et délivre les âmes qui l’attendent. Nicodème a été une de ces âmes disponibles, qui vient trouver Jésus pour lui demander quelque lumière alors qu’il fait nuit.

Oui, Jésus est entré dans notre nuit pour une seule chose : pour la crever et nous en faire sortir. Il est ressuscité et nous avons acclamé par trois fois la Lumière du Christ, Lumen Christi, au début de notre veille sacrée.

Jésus, cependant, laisse aux hommes leur liberté, et les ténèbres de certains ne l’ont pas reçu. Le combat se prolonge, mais nous en savons l’issue. La nuit semble s’étendre sur bien des dimensions de notre monde qui se donne des lois ténébreuses en essayant de plonger dans la mort les enfants à naître et les personnes pour qui la vie est lourde. Mais ces prétentions ne dureront pas. Saint Jean l’a vu par avance et nous a annoncé :

Alors j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. […] Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » […] La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y porteront leur gloire. Jour après jour, jamais les portes ne seront fermées, car il n’y aura plus de nuit (Ap 21, 1-5; 23-25).

Sainte Vierge Marie, depuis toujours et pour toujours irradiée de la lumière de votre Fils, introduisez-le chez nous et veillez à ce qu’il y soit bien accueilli,

Amen, Alléluia !

Jeudi Saint 2023

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Cène du Seigneur

Jeudi Saint 6 Avril 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du repas, […] Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture (Jn 13, 1-4).

Jésus sait qu’il est Dieu, Fils de Dieu le Père, tourné vers son Père dans l’élan de l’Esprit Saint. Il sait que, même descendu parmi les hommes, il est revêtu de la gloire divine et qu’il retourne avec assurance vers son Père. Et cependant, ce soir, il retire son manteau, et il se met à genoux devant ses disciples, devant nous. Ce n’était pas assez pour lui d’avoir revêtu l’humanité, et d’avoir été tout enveloppé des humbles langes enfantines. Ce n’était pas assez d’avoir ensuite porté les rudes habits des charpentiers et d’avoir usé ses semelles sur notre terre. Non, ce n’était pas assez.

Jésus retire son manteau, ce manteau qui lui donnait la prestance d’un rabbi. Jésus, pendant ce repas où il se donne aussi en nourriture et en boisson, s’en dépouille et revêt l’habit de service. En nouant un tablier à sa ceinture, il montre qu’il s’est fait notre esclave… Ce n’est pas une simple mise en scène, c’est l’expression de la vérité. La Vierge Marie, la « Servante du Seigneur », est là, et elle regarde son fils. Elle le reconnaît bien dans ce geste. Jésus se met à genoux devant sa créature. Il a voulu se mettre à genoux devant nous pour nous chercher au plus bas de notre petitesse. Il se met à genoux pour servir, pour supplier. Il mendie notre obéissance, notre docilité, notre amour. Adorons cette humilité du Seigneur et laissons-nous percer le cœur par un tel dévouement. Laissons-nous aimer, sans demander de raisons. Sainte Élisabeth de la Trinité, cette chère carmélite de Dijon qui a passé 26 ans sur cette terre, a écrit un profond billet à sa Mère Prieure fin 1906, peu avant de monter retrouver son Seigneur.

Vous êtes étrangement aimée, aimée de cet amour de préférence que le Maître ici-bas eut pour quelques-uns et qui les emporta si loin. […] Écoutez ce qu’Il vous dit ; « Laisse-toi aimer plus que ceux-ci, c’est-à-dire sans craindre qu’aucun obstacle n’y soit obstacle » […] Mère, la fidélité que le Maître vous demande, c’est de vous tenir en société avec l’Amour, c’est de vous écouler, de vous enraciner en cet Amour qui veut marquer votre âme du sceau de sa puissance, de sa grandeur. Vous ne serez jamais banale, si vous êtes éveillée en l’amour ! Mais aux heures où vous ne sentirez que l’écrasement, la lassitude, vous Lui plairez encore si vous êtes fidèle à croire qu’Il opère encore, qu’Il vous aime quand même, et plus même : parce que son amour est libre et que c’est ainsi qu’Il veut se magnifier en vous ; et vous vous laisserez aimer plus que ceux-ci1.

Jésus, dans son abaissement et son humilité, a lavé nos pieds. Il a ainsi anticipé le grand mystère du lendemain, le mystère de l’abaissement dans la Passion, où il nettoiera nos âmes en les plongeant dans son Sang rédempteur. Le lavement des pieds est, comme la sainte Eucharistie, l’anticipation de la Croix. C’est d’ailleurs pour cela que, quelques instants après, Jésus dira dans sa prière à son Père : « Je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jn 17, 4). L’œuvre est accomplie, achevée. Après la Cène Jésus considère déjà qu’il a accompli l’œuvre que son Père lui a donné à faire : il nous a aimés et il nous a sauvés dans son humilité.

Dans cet acte d’humilité, Jésus nous donne un exemple. Il le dit explicitement : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. [… ] Heureux êtes-vous, si vous le faites. » (Jn 13, 14-17).

Jésus souhaite donc que nous nous lavions les pieds les uns aux autres. Il nous est aisé de nous mettre aux pieds ceux que nous aimons, pour leur rendre quelque service. Une maman, un papa aime se pencher au pied de son enfant pour lui nouer les chaussures, pour laver une petite blessure. Nous sommes heureux aussi de rendre quelques services pénibles aux personnes pour lesquelles nous éprouvons de l’affection. Mais essayons de le faire aussi pour ceux qui nous sont moins aimables, pour ceux-là même qui nous sont désagréables. Faisons-leur du bien, discrètement… Et l’Évangile se répandra dans les cœurs : dans le nôtre d’abord et puis dans le cœur de ceux qui reçoivent ce geste.

La Servante du Seigneur, la Vierge Marie, a contemplé l’attitude de son Fils, et son cœur a vibré de fierté. Elle a exulté en présence d’un amour si dévoué. Qu’elle nous enseigne à imiter son Fils du fond du cœur.

Amen.

1Sainte Élisabeth de la Trinité, Lettre à sa prieure, Octobre 1906

Trépas de st Benoît 2023

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Solennité du trépas de
Notre Bienheureux Père saint Benoît

Mardi 21 Mars 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Saint Pierre demande quelle récompense sera donnée à ceux qui, comme lui, ont tout quitté pour suivre le Seigneur Jésus. En réponse, Jésus se plaît à faire le détail de ce qu’ils ont quitté : une à une, il énumère les merveilles qui lui ont été offertes en bloc dans un holocauste complet : les affections familiales, la joie d’un foyer et celles d’une fécondité humaine, et enfin l’usage des biens matériels. En récompense est donnée la vie éternelle, la parfaite communion avec Dieu dans l’Église.

Notre bienheureux Père Saint Benoît a obtenu cette vie. Auprès de la Trinité, il adore et il intercède pour nous. Et nous fêtons aujourd’hui le jour béni où il a été invité à recevoir cette récompense bienheureuse. Saint Grégoire le Grand nous a décrit avec beauté la mort de saint Benoît1. Passage sans heurt dans une atmosphère de prière, ce trépas reflète la vie entière du Père des moines d’Occident. Dieu a donné en cette heure dernière un résumé de la personnalité de son Serviteur. Dom Delatte souligne à quel point la providence de Dieu veille sur chaque mort :

[La Providence] composera notre mort et en fera toutes les circonstances. […] Tout est posé de Dieu. Il y aura dans ma mort des caractères spéciaux, individuels, qui seront propres à ma mort et la distingueront de toute autre. Je mourrai à une heure donnée, à un âge défini, d’un accident, d’une maladie, d’une souffrance qui auront été prévues pour moi, dans des conditions intérieures et extérieures prévues par Dieu, voulues de Dieu ; je mourrai d’une mort qui répondra à ma vie ; mais je sais à n’en pas douter que la physionomie de mon départ aura été dessinée par Dieu, définie par lui. C’est lui qui m’appellera lorsqu’il jugera bon ; et il appelle ses brebis par leur nom2.

Considérer la mort en face, c’est aussi lui rendre son vrai visage de rencontre et répondre aux faux débats actuels qui veulent mettre la main sur cette heure sacrée. L’homme n’a pas prise sur l’heure mais il peut et il doit s’y préparer par une bonne vie. La mort reflète la manière de vivre. Examinons donc de près la mort de notre Bienheureux Père.

Aux derniers temps de sa vie, saint Benoît avait mis une dernière main à la rédaction de sa Règle, remarquable par sa « discrétion et sa clarté ». Les ultimes semaines ont été marquées par l’affection fraternelle : au parloir avec sa sœur sainte Scholastique, et dans ses entretiens avec l’Abbé Servandus, qui était pour lui tant un disciple qu’un frère spirituel. Ces échanges étaient marqués par le désir du ciel : les deux Abbés « s’imprégnaient mutuellement des douces paroles de la vie, et, cette suave nourriture de la patrie céleste dont ils ne pouvaient jouir encore parfaitement, ils la goûtaient du moins en soupirant après elle3. » L’homme de Dieu est alors si profondément uni à son Seigneur qu’au cours d’une prière nocturne à la fenêtre de sa cellule, il lui est donné de voir le monde entier ramassé en un rayon.

Pour l’âme qui voit le Créateur — dit saint Grégoire —, toute créature paraît bien exiguë. En effet bien que cette âme n’ait contemplé qu’un faible rayonnement de la lumière du Créateur, tout le créé se réduit pour elle à de petites proportions.

Avec une grande délicatesse, saint Benoît appelle alors l’Abbé Servandus pour le faire profiter aussi de cette grâce. Mais cette charité fraternelle savait aussi s’envelopper aussi de silence. Dieu avait informé son serviteur de la date de sa mort, si bien qu’il s’y préparait avec davantage de ferveur : « Six jours avant son départ, il s’était fait ouvrir son tombeau », mais il avait imposé la discrétion à ses confidents.

Avec la charité et le silence, saint Benoît fait preuve aussi de patience et accueille l’accablement des accès de fièvre. Il donne un acquiescement humble filial à toutes les dispositions de Dieu. Par cette patience il s’identifie au Christ souffrant et participe à sa Passion.

Il garde aussi une grande piété. Il se fait porter à l’oratoire où il a recours aux sacrements, la source fondamentale de la vie surnaturelle : « il s’assure pour son départ en recevant le Corps et le Sang du Seigneur ». Saint Benoît sait la valeur du viatique. Il aurait pu dire, avec Dom Delatte :

Je ne porterai à Dieu que mon âme créée par lui et les œuvres qu’il aime, les œuvres qui me sont venues de lui. […] Je lui porterai ma foi, mon espérance et ma charité. Je lui porterai ma vie surnaturelle, ma grâce sanctifiante, le bénéfice de mes confessions, le fruit de mes communions. C’est pourtant vrai cela : mon âme aura été chaque jour trempée dans la pourpre du sang de Dieu. Avec mon seul baptême, je serais allé vers Dieu avec confiance, comme vers un Père, comme vers une Mère : et voici que je m’en vais vers lui avec le fruit de mes communions, avec une âme toute baignée et toute pénétrée de la beauté du sang de son Fils4.

Et sa prière se poursuit sans interruption jusqu’au dernier instant. Père des cénobites, il fait de cette prière et de sa mort-même une œuvre conventuelle. « Entouré de ses disciples qui soutenaient de leurs mains ses membres affaiblis, il rend le dernier souffle en prononçant des paroles de prière ». Aujourd’hui, rappelons-nous qu’il suffit d’être homme pour sentir qu’on n’abandonne pas un mourant.

Saint Grégoire nous dit qu’à cet instant, deux moines virent « Benoît, le bien-aimé de Dieu » monter au ciel sur une « voie recouverte de tissus précieux et illuminée de lampes innombrables, s’étendait de sa cellule jusqu’au ciel, empruntant un chemin tout droit, à l’Orient ». Les tissus précieux et lampes sont les honneurs d’accueil rendus au saint. Ils sont aussi la manifestation des mérites de sa vie. Car si saint Benoît avait souhaité se contenter d’habits grossiers5, il avait aussi voulu que les âmes se revêtent des plus belles parures des vertus et de la science. Et il a organisé la vie monastique de telle sorte que nos lampes demeurent allumées jusqu’au matin6, brillant des bonnes œuvres. Il a suivi une voie droite de sa cellule jusqu’au ciel, sans complication, sans se donner aux créatures. Nos cellules, et plus largement notre clôture, sont le point de départ d’un voyage assuré vers le ciel. Le Cloître n’est ouvert que vers le haut.

Demandons à Marie, la reine des moines, la grâce de revenir souvent à nos sources monastiques, qui nous indiquent et le chemin et le terme béni.

Amen.

1Cf. saint Grégoire le Grand, Vie de Notre Bienheureux Père, ch. 37.

2Dom Delatte, Notes sur la vie spirituelle, p. 173.

3saint Grégoire le Grand, Vie de Notre Bienheureux Père, ch. 35.

4Dom Delatte, Notes sur la vie spirituelle, p. 173.

5Cf. Saint Benoît, Règle, c. 55.

6Cf. Saint Benoît, Règle, c. 22.