Noël messe du jour 2023

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Solennité de la Nativité du Seigneur
Messe du jour

Lundi 25 Décembre 2022

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

« Le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. »

Le Verbe donne l’existence à toute chose, il donne la vie, et il est tout lumière.

Et ce Verbe divin et éternel se fait chair pour éclairer les hommes. « Il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Il est venu pour que nous recevions la vraie lumière, la vraie vie, pour que notre communion avec Dieu soit restaurée. Ce que les apôtres ont vu, ce n’est rien moins que la gloire que le Verbe tient de son Père comme Fils unique. Une gloire dense, immense, pleine de grâce et de vérité… Et l’enfant vient nous offrir de voir cette gloire…

Quel écart entre la divinité du Verbe et notre pauvre condition humaine ! Car de notre côté, nous le savons bien, nous demeurons soumis aux exigences de la nature. Nous voilà fatigués après une nuit bien courte, notre esprit se porte peut-être déjà sur les activités qu’il va falloir déployer à la sortie de cette messe pour préparer la suite… Nous sommes arrimés aux contraintes terrestres, et nous sommes même blessés par le mal et par le péché.

Et Dieu nous invite à vivre en communion avec lui !

Comment Dieu, comment le Verbe s’y est-il pris pour nous rejoindre, pour nous offrir le cadeau inestimable que le Père a voulu nous donner ?

C’est saint Irénée qui nous enseignera ce matin. Dans un passage de son ouvrage Contre les hérésies, le Doctor unitatis développe la beauté et l’utilité de l’abaissement du Verbe, qui se fait chair, qui se fait petit enfant pour nous rejoindre et nous unir à lui. En Jésus, Dieu se fait nourriture assimilable. Voici les paroles de l’Évêque de Lyon :

De même, en effet, qu’une mère peut donner une nourriture parfaite[, une nourriture d’homme adulte,] à son nouveau-né, mais que celui-ci est encore incapable de recevoir une nourriture au-dessus de son âge, ainsi Dieu pouvait, quant à lui, donner dès le commencement la perfection à l’homme, mais l’homme était incapable de la recevoir, car il n’était qu’un petit enfant. Et c’est pourquoi aussi notre Seigneur […] vint à nous, non tel qu’il le pouvait, mais tel que nous étions capables de le voir : il pouvait, en effet, venir à nous dans son inexprimable gloire, mais nous n’étions pas encore capables de porter la grandeur de sa gloire. Aussi, comme à de petits enfants, le Pain parfait du Père se donna-t-il à nous sous forme de lait — ce fut sa venue comme homme afin que, nourris pour ainsi dire à la mamelle de sa chair et accoutumés par une telle lactation à manger et à boire le Verbe de Dieu, nous puissions garder en nous-mêmes le Pain de l’immortalité qui est l’Esprit du Père1.

Saint Irénée renverse donc la perspective pour nous aider à contempler le véritable événement. Ce n’est pas seulement l’accueil d’un petit Enfant qui nous réjouit aujourd’hui. C’est surtout le fait que Dieu éternel sait que nous ne sommes que des enfants dans la vie surnaturelle. Et Dieu se fait pédagogue : il s’accommode à notre bas âge. Il se fait lait pour que nous puissions nous nourrir de lui. Il se fait petit avec nous pour qu’un jour, nous soyons grands en lui. Noël, c’est la rencontre entre les hommes et les femmes conscients qu’ils sont toujours enfants, et leur Dieu qui se fait petit, qui s’abrège. C’est ce que nous dit un petit peu plus loin, saint Irénée :

Dès le commencement, Dieu avait le pouvoir de donner la perfection [de la vie surnaturelle] à l’homme, mais celui-ci, nouvellement venu à l’existence, était incapable de la recevoir, ou, l’eût-il même reçue, de la contenir, ou, l’eût-il même contenue, de la garder. Et c’est pourquoi le Verbe de Dieu, alors qu’il était parfait, s’est fait petit enfant avec l’homme, non pour lui-même, mais à cause de l’état d’enfance où était l’homme, afin d’être saisi selon que l’homme était capable de le saisir2.

Aujourd’hui, alors que nous sommes invités à contempler les grandeurs que nous expose le Prologue de l’Évangile de saint Jean, ce Verbe qui était au commencement auprès du Père, ces grandeurs de la vie trinitaire éternelle et en particulier la génération du Verbe, ne prenons pas des allures de grands théologiens, mais abordons ces mystères avec une âme d’enfant toute pure. Avec l’âme des bergers, avec l’âme de saint Joseph qui voit le Verbe couché dans une mangeoire, avec l’âme immaculée de la Vierge Marie. Et laissons-nous porter, et prenons part à la louange des Anges, au Père, au Verbe et à l’Esprit Saint, Dieu unique qui vit et règne éternellement,

Amen.

1Saint Irénée de Lyon, Adversus Haereses, IV, 38, 1, trad. Adelin Rousseau.

2Saint Irénée de Lyon, Adversus Haereses, IV, 38, 2.

Noël messe de minuit 2023

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Solennité de la Nativité du Seigneur
Messe de minuit

Lundi 25 Décembre 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

« Soyez sans crainte », dit l’Ange aux bergers. « Soyez sans crainte ! Oui, vous me voyez, moi qui suis un Ange, et cela vous effraie, mais je suis envoyé par Dieu pour vous annoncer la plus heureuse des nouvelles. N’ayez pas de crainte, non plus, devant la grandeur des manifestations de Dieu. Bien sûr, il est nécessaire à la créature de craindre son créateur avec révérence, mais la crainte servile, il faut la laisser de côté, surtout cette nuit. Vous voyez un Ange dans la nuit bien sombre, et bientôt il sera accompagné d’une multitude d’autres, qui forment les armées du Ciel et je comprends bien que ce soit terrifiant. Mais si vous voulez vous rassurer, allez voir le Petit qui dort à quelques pas de là. »

Oui, les bergers sont invités à aller rendre visite au Fils de la glorieuse Vierge Marie, à Jésus, Sauveur du monde, vrai Dieu et vrai homme, mais ce Fils majestueux se présente dans la situation la plus humble qui soit : il est un nourrisson, il est couché dans le râtelier où mangent des animaux. Vraiment, il est désarmé, et il commence dès à présent son enseignement. Il nous dit dès maintenant qu’il n’est pas venu pour se venger, mais pour être une nourriture. C’est sa justice à lui que de vaincre le mal par le bien. La seule arme du Seigneur, et elle est invincible, c’est de se donner avec vulnérabilité, comme nourriture pour notre guérison et pour notre marche vers le cœur de Dieu.

Comme les bergers, nous pourrions être effrayés, nous aussi. Dans la nuit de notre temps, nous ne voyons pas un Ange, mais les visages livides des maîtres de ce monde qui veulent, sous couvert de bienveillance, semer la mort. Nous pourrions être effrayés quand se profilent des textes législatifs qui se proposent d’assurer l’impunité, et même d’encourager ceux qui interrompent les vies humaines les plus vulnérables, la vie avant même la naissance et la vie des personnes âgées.

Mais l’Enfant de la crèche montre déjà, il clame silencieusement, que c’est cette vie vulnérable qui assure la nourriture à toute l’humanité. Ne nous laissons pas ébranler et défendons sans broncher, sans trembler, la valeur sacrée de toute vie humaine. Les Évêques de France ont invités tous les chrétiens de notre chère patrie à une prière spéciale à cette intention cette nuit. Supplions notre Dieu, qui s’est fait si proche, qu’il mette promptement un terme à la spirale de l’égoïsme meurtrier, et de l’impiété hédoniste. Avec nos Évêques et tous nos frères et sœurs de l’Église catholique qui est en France, implorons l’Enfant Jésus en ces termes :

En cette nuit de Noël, où Dieu vient visiter notre humanité et vivre une vie semblable à la nôtre, nous vous prions Seigneur, avec toutes les paroisses de France, pour le respect et la protection de la vie, de sa conception à sa fin naturelle.

Que la lumière de Bethléem éclaire avec force et douceur ceux qui nous gouvernent afin que ceux qui sont chargés d’élaborer et de voter les textes législatifs, prennent mieux conscience du fait que toute vie est un don pour l’humanité, que toute vie est digne et respectable.

Qu’en cette nuit de Noël, chacun d’entre nous, toujours plus conscient du don merveilleux de la vie, s’engage davantage auprès des plus fragiles et des plus vulnérables pour construire une civilisation authentiquement humaine.

Oui, nous voulons retrouver une civilisation authentiquement humaine, une civilisation qui mette en honneur les lois divines inscrites dans nos cœurs humains, en particulier le respect de la vie et l’honneur de la famille. Car nous ne voulons pas non plus des substitutions déséquilibrées que l’on tente de nous imposer pour dissoudre la famille.

Récemment, il nous a été raconté que l’un de nos Évêques, le jour de son sacre épiscopal, a voulu commencer ses remerciements en saluant sa « première Église ». Il se tournait alors vers son père et sa mère, présents au premier rang de l’assemblée. Oui, un père et une mère, c’est la première Église de tout enfant, c’est l’Église domestique. Il n’y a pas d’autre berceau dans le plan de Dieu, pour accueillir une vie qui vient au monde. La famille, composée d’un père, d’une mère et, si Dieu veut, de frères et sœurs, est le porche d’entrée de la grande Église de Dieu. Et dans l’Église, le chrétien trouve tout ce qui lui permet de parcourir son pèlerinage terrestre, en union indéfectible avec le Pape, aujourd’hui le Pape François, qui tient sur la terre la place du Christ.

Alors réjouissons-nous de toutes les familles, de tous les pères et mères qui vivent la voie de sainteté de l’indissoluble mariage. Prions aussi pour les familles blessées qui souhaiteraient retrouver cette harmonie. Remercions le Seigneur pour toute la fidélité qui se déploie et qui offre un berceau accueillant aux vies humaines que Dieu donne. La fécondité humaine est une participation à la fécondité en Dieu que nous avons chanté dans l’Introït. Toute génération humaine est un prolongement créé de la génération éternelle du Verbe.

Puisse la Vierge Marie, avec saint Joseph son très chaste époux, bannir nos craintes et remplir la nuit de notre monde avec la joyeuse lumière de l’Enfant qui vient de naître.

Amen.

Immaculée Conception 2023

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Solennité de l’Immaculée Conception

8 Décembre 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Le septième répons de l’office de cette nuit a mis sur nos lèvres ces mots de l’Apocalypse : « Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. »

La lune est sous les pieds de cette femme. Tout, mis à part le Soleil divin, est plus petit qu’elle. Tout. Et saint Bernard, dans un de ses sermons, nous a expliqué pourquoi il lui semble bien justifié de reconnaître la Vierge Marie dans cette femme revêtue du soleil1. Certes, dit-il, « l’ensemble de la vision prophétique vise clairement l’Église du temps présent, mais elle me paraît s’appliquer sans inconvenance à Marie. » Et voici pourquoi.

Le soleil se lève sur les bons et les injustes, et de même, la Vierge Marie ne discute pas sur nos mérites ou nos péchés passés. À la prière de tous, en effet, elle se montre disponible et extrêmement accueillante. Sa pitié s’étend aux « besoins de tous avec une tendresse sans bornes ».

Et puis, « dans le soleil, [à la différence de la lune,] l’ardeur et la clarté sont constante ». Notre Dame n’a pas de variation d’humeur à notre égard.

Mais saint Bernard pousse plus profond son regard contemplatif. La Vierge Marie n’est pas seulement soleil dans son rapport aux hommes, mais elle est surtout tout ensoleillée en raison de son rapport à la majesté divine :

On a raison de représenter Marie enveloppée de soleil, dit-il, elle qui s’est enfoncée dans les abîmes de la divine sagesse jusqu’à des profondeurs incroyables, au point qu’elle nous apparaît immergée dans cette lumière inaccessible jusqu’au degré possible pour une créature ne jouissant pas de l’union hypostatique.

Notre Dame est plongée dans la lumière divine à l’ultime degré pour une pure créature, pour une créature qui n’a pas l’union hypostatique. Cette union hypostatique dont parle le saint docteur est le privilège du Seigneur Jésus. En la personne de Jésus s’unissent la nature divine et la nature humaine. C’est l’union hypostatique. Il est la seule personne qui ait ainsi les deux natures. Et chez lui, la nature humaine est tout irradiée par la nature divine. Quant à Marie, elle n’a que la nature humaine. Mais elle a été préservée de tout péché, de toute défection à l’égard de Dieu, parce qu’elle devait un jour être sa Mère selon la nature humaine. La proximité immédiate de son Fils l’a immergée dans la lumière divine, à tel point qu’on peut dire qu’elle est revêtue du soleil. Nulle autre créature n’a été enveloppée d’une telle gloire. Certes, l’incandescence de Dieu s’est approché de plusieurs d’entre elles ; le feu du soleil divin habite le cœur des séraphins, et il a purifié les lèvres du prophète Isaïe en les effleurant (cf. Is 6, 7). Mais saint Bernard nous assure que :

[Ce feu habite tout l’être de la Vierge Marie qui s’en] trouve irradiée avec tant d’excellence qu’on ne peut découvrir en elle le moindre soupçon, je ne dis pas de ténèbres, mais de pénombre ou de lumière moindre, et pas davantage le plus petit atome un peu tiède ou qui ne soit pure incandescence.

Vraiment, elle est l’Immaculée. Malgré son humilité confondante, qui nous la rend accessible, elle rayonne de toutes les vertus. C’est donc à raison que la liturgie nocturne poursuivait son septième répons avec ces mots : « Le Seigneur l’a revêtue des vêtements du salut, de la tenue de justice, et telle une épouse, il l’a ornée de ses joyaux. »

Le mal n’est jamais venu ternir ces éclats. Saint Jérôme, de son côté, nous disait ainsi au bréviaire ce matin2, pour conclure sa louange de la Mère de Dieu, que la Vierge Marie est une source scellée, une source sans fissure, où le mal n’entre pas. Elle est scellée par la grâce de Dieu, par Dieu lui-même. Les Trois Personnes sont à l’œuvre pour sceller cette source. Il est possible d’attribuer à chaque personne divine une œuvre de Dieu en Marie. Le Père lui donne la maternité, le Verbe donne sa lumière et sa docilité, et il se donne lui-même comme fils, et l’Esprit Saint unit à Dieu la vierge de Nazareth et la couvre de son ombre féconde et sanctifiante. Ainsi, la Trinité entière appose son sceau sur le cœur de la Vierge, et ce dès sa conception, en attendant le jour du grand Fiat, où se réalisera l’Incarnation. Saint Jérôme termine ainsi son sermon avec cette expression : « Fons signatus sigillo totius Trinitatis — Fontaine scellée du sceau de toute la Trinité ».

Demeurons en cette source pure, par laquelle Dieu a voulu nous faire parvenir toute grâce. Dieu est venu remplir cette source. Le resplendissement de sa gloire y habite. Elle le reflète pour chacun des hommes. Elle est vraiment revêtue du soleil.

Amen.

1Cf. Saint Bernard, Sermon pour le dimanche dans l’octave de l’Assomption, n. 3 : EC 5, 263-264.

2Saint Jérôme, Sermon pour l’Assomption, fin de la même 7e leçon.

Toussaint 2023

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Solennité de la Toussaint

Mercredi 1er Novembre 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

L’Église nous invite aujourd’hui à bénir et louer Dieu pour les saints, et pour chacune de leurs saintetés. Chacun manifeste plus particulièrement une perfection divine. Mais la première sainteté crée, celle de la Vierge Marie, est riche de toutes les vertus. C’est la sainteté blanche qui manifeste que Dieu est saint en toute ligne. Nous honorons en particulier notre Mère du nom d’Immaculée Conception : et en cela, elle nous dit la grande pureté de Dieu. La Vierge Marie nous dit qu’il n’y a que lumière en Dieu, qu’il ne s’y trouve aucun retour sur soi. Dieu n’est jamais égoïste. Il n’est que don.

Il donne toute sainteté et c’est à lui remonte l’honneur et la louange que nous adressons à chaque saint. L’Épître, tiré de l’Apocalypse l’a proclamé : « Salus Deo nostro, qui sedet super thronum, et Agno. […] Benedíctio et cláritas et sapiéntia et gratiárum actio, honor et virtus et fortitúdo Deo nostro in sǽcula sæculórum. — Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! […] Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »

Par l’humilité, l’obéissance et la pureté de saint Joseph, nous remercions Dieu qui, dans son immense amour, s’est mis à notre service. Par saint Pierre, ardent à suivre le Seigneur et à attirer tous les hommes à sa suite, nous nous laissons habiter par le bonheur d’être aimés d’une manière exigeante par un Dieu ardent à nous attirer à lui.

Ainsi, au travers de la litanie de tous les saints, nous nous réjouissons et nous louons le Seigneur d’avoir réalisé dans leurs âmes les perfections qu’il a décrites dans les huit béatitudes.

Il y a de la variété. Saint Benoît diffère de sainte Mère Teresa. Et pourtant, chaque saint a suivi l’ensemble des huit béatitudes. Aucune d’elles ne manque dans son cœur, car la bonté d’une chose tient à l’intégrité de son être. S’il y avait un seul manque, un seul défaut, l’âme ne serait plus tout à fait bonne.

En chacun, cependant, nous retrouvons la pauvreté d’esprit, le détachement des biens du monde. En chacun, il y a la douceur, qui nous vient du Cœur du Christ. Chacun des saints a pleuré parce que chacun a souffert, en communion avec le Seigneur, pour le salut du monde. Tous ont eu faim et soif de la justice, de la sainteté aux yeux de Dieu, ils ont ardemment désiré leur sainteté et celle de leurs frères et de leurs sœurs. La miséricorde a été le guide de leurs relations avec le prochain, une miséricorde bien entendue, qui sait aussi défendre les droits de Dieu, dont la rigueur est encore une marque d’amour. Les cœurs de saints, les cœurs de tous les chrétiens qui vivent en communion avec l’amour de Dieu, sont d’une pureté et d’une limpidité qui laisse loin derrière elle tout retour sur soi, tout accaparement égoïste. Quand ainsi le ciel de notre cœur est limpide, nous pouvons voir Dieu à l’œuvre dès ici-bas, et nous avons la promesse de le contempler et de nous en rassasier éternellement. Tous les saints et les saintes, ayant cette âme juste et pure, sont habités par la paix, dans leur rapport filial avec Dieu, et dans leurs rapports fraternels avec le prochain. Habités par cette paix avec Dieu, ils sont devenus source de paix pour autrui, artisans de paix. C’est le signe qu’ils sont vraiment fils et filles de Dieu. Et ils sont ainsi affermis et rendus capables d’endurer, de supporter les assauts du mal. Ils souffrent les persécutions de tous genres pour la justice, et se rendent ainsi dignes du royaume des cieux. La dernière béatitude explicite une de ces persécutions : le fait d’être victime de paroles malveillantes. Tous les saints ont été dénigrés et persiflés d’une manière ou d’une autre. Le monde ne supporte pas les bonnes œuvres et il s’applique toujours à critiquer dans la vie des justes un détail qui, grossi hors de son contexte, devient scandaleux. C’est là une œuvre diabolique qui oppose la mauvaise parole de la critique à la bonne parole de l’annonce de l’Évangile. La langue double insinue la méfiance et sape l’œuvre de salut, l’annonce de l’Évangile. Veillons donc à ne pas participer à cette culture du dénigrement. Si nous nous rendons compte que l’on a mal parlé de nous, cela nous est douloureux. Et pourtant, quand à notre tour nous révélons un défaut d’autrui, nous trouvons cela normal : nous nous donnons une bonne raison, nous estimons qu’il est nécessaire de prévenir, par exemple. Mais au fond, quand nous dénigrons un tiers, c’est surtout pour nous mettre au dessus de lui.

Alors, si nous voulons faire partie du peuple innombrable des saints, si nous voulons les connaître et être connus d’eux, commençons par ne jamais dire de mal d’autrui sans raison grave. Le Pape François nous a dit récemment, avec humour, mais avec vérité, que prendre cette résolution et la mettre en pratique, c’est ouvrir nous-même le dossier de notre cause de canonisation ! Voici les mots qu’il a prononcés à l’attention des oblats de notre ordre : « S’il vous plaît, en tant que bénédictins, que votre langue soit utilisée pour louer Dieu, et non pour bavarder sur les autres. Si vous faites la réforme de vie de ne jamais bavarder sur les autres, vous aurez ouvert la porte à votre cause de canonisation1 ! »

La fête de la Toussaint nous dit finalement que nous ne sommes pas seuls en face de Dieu. Nous ne vivons pas dans un intimisme isolé de nos frères. L’Apocalypse nous a annoncé que nous nous connaîtrons dans notre multitude. Dieu a voulu qu’il y ait entre ses enfants une communion, un échange, une louange mutuelle qui durera pour l’éternité. Dès à présent, et dans l’ordre surnaturel, nous sommes présents les uns aux autres. La Vierge Marie en particulier est auprès de chacun de nous et nous sommes auprès d’elle. Qu’elle nous conduise à la société éternelle des saints.

Amen.

1DISCOURS DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS AUX PARTICIPANTS DU VÈME CONGRÈS MONDIAL DES OBLATS BÉNÉDICTINS, Salle Clémentine, vendredi 15 Septembre 2023.

Dedicace 2023

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Solennité de la Dédicace

Jeudi 12 Octobre 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils,

Nous fêtons aujourd’hui la présence spéciale de Dieu dans notre église, la consécration de ces murs pour qu’ils constituent à jamais une demeure de Dieu avec les hommes. Ici, la Vierge Marie nous accueille toujours, dans son Immaculée Conception, et elle nous introduit auprès du Roi, elle qui est toujours bienvenue auprès de son Fils.

Nous avons besoin d’une telle ambassadrice, parce que, de fait, notre faiblesse nous incline aux fautes et, quotidiennement, nous avons la tristesse de déplaire à Notre Seigneur. Comment alors, entrer sans crainte dans la demeure de Dieu ?

L’Évangile de la fête de la dédicace nous rassure à ce sujet. En effet, saint Luc ne nous rapporte pas simplement la présence de Jésus dans la maison d’un homme, mais le chemin accompli de part et d’autre pour que soit rendue possible cette habitation divine dans une demeure humaine. La Vierge Marie n’apparaît pas ici, mais par sa prière cachée, elle intervient silencieusement en faveur de Zachée. Elle sait quel est le désir de son Fils Jésus. Elle implore Dieu dans ce sens. Elle obtient que les pécheurs accèdent à l’intimité avec le Verbe de Dieu. Elle obtient la pénitence et la réconciliation.

Cet Évangile fait de multiples allusions à la conversion.

Saint Luc indique très consciemment que Zachée est un publicain, un lâche qui pactise avec le monde païen. Zachée est même un chef des publicains, et il a si bien réussi dans ses agissements qu’il en est devenu riche. Voilà un vrai pécheur auquel nous ressemblons tous, avec nos tristes égoïsmes.

Et pourtant, ce Zachée a quelque chose d’aimable : il veut voir Jésus. Jésus aussi veut le voir : arrivé sous le sycomore où Zachée est perché, Jésus lève les yeux. Jésus cherche du regard chacun de nous, même dans les lieux incongrus où nous pousse notre petitesse.

Alors la conversion commence. Jésus ordonne de descendre rapidement, et Zachée descend vite. Quelle merveille ! Ne nous décourageons pas devant nos lenteurs contre lesquelles nous avons tout tenté. Quand Jésus le veut, il s’approche et nous ordonne de descendre des perchoirs de nos égoïsmes. Et vite, nous en descendons ! Nous descendons en nous même, dans le silence intérieur où l’on peut entendre la voix de Dieu.

La conversion n’est pas encore tout à fait achevée, mais Jésus décide tout de même d’aller dès à présent dans la maison, dans l’intériorité de Zachée. La conversion n’est pas achevée, puisque Zaché se sent encore en mauvaise posture quand on murmure autour de lui qu’il est un pécheur. Sa conscience n’est pas encore tranquille. Alors il décide, sous la poussée de la grâce qui est déjà chez lui, de rendre au quadruple ce qu’il détient frauduleusement.

À ce moment-là, Jésus peut véritablement se réjouir que le salut soit arrivé pour cette maison. Les derniers mots qu’il prononce montrent bien qu’il recherchait la conversion du pécheur quand il s’est invité chez lui : « Venit enim Filius hominis quaerere et salvum facere quod perierat — En effet, le Fils de l’homme [… n’est pas] venu [pour autre chose que] chercher et sauver ce qui était perdu. »

Quand nous prenons conscience que nous sommes tous dans la situation de Zachée, nous nous découvrons aimés de manière inconditionnelle par l’immense miséricorde de Dieu. Et cet amour déborde de notre cœur, en direction de tous nos frères, pécheurs comme nous. Cet amour de Dieu que nous donnons à nos frères, c’est cette compensation au quadruple de tout ce que nous nous devons les uns aux autres. Oui, quand Jésus est présent dans nos cœurs, le lien de la charité nous unit très solidement. Nous devenons les pierres qui constituent l’Église, pierres polies par la pénitence et unies entre elles par le ciment de la charité. Mère Cécile Bruyère disait à ses moniales :

Plus cet or de la charité est pur, plus il joint les pierres entre elles et alors que voulez-vous qu’on risque ? […] Ce que Notre Seigneur a fait ne peut être détruit, ce qu’Il a joint ne peut être séparé. […] Le temps pourra amener des jours plus ou moins sereins, mais la maison est debout, elle voit passer bien des événements et leur survit. Quand le lien de la charité est bien serré on marche avec force, il y a déjà un commencement de l’affermissement que Dieu nous donnera dans l’éternité1.

Entrons donc avec confiance dans notre église, malgré le fardeau de nos péchés. La Vierge Immaculée nous introduit auprès de son Fils, présent au tabernacle. Laissons Jésus lever les yeux vers nous et faire de nous des pierres bien équarries et soudées entre elles par l’amour miséricordieux dont elles sont imprégnées.

Amen.

1Mère Cécile Bruyère, 12 Octobre 1877.

Assomption 2023

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Solennité de l’Assomption
de la Bienheureuse Vierge Marie

Jubilé des 60 ans de profession de Dom Géraud de la Brosse
Mardi 15 Août 2023

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Mes bien chers frères et sœurs,

Mes très chers fils, et vous spécialement qui célébrez les soixante ans de votre profession monastique,

Nous fêtons aujourd’hui avec grande dévotion le jour où le Seigneur Jésus est venu chercher sa Mère qui est aussi la nôtre, le jour de la glorification de la Vierge Marie. Nous avons chanté qu’un grand signe, Signum magnum, est apparu dans le Ciel : une femme revêtue de lumière, la lune sous les pieds et couronnée de douze étoiles, a été introduite dans la gloire céleste : Ad coelestem gloriam assumpta.

Et malgré ces éclats éblouissants, la Vierge Marie incarne toujours à nos yeux la valeur de la petitesse. Le Graduel a souligné en effet que la gloire de cette fille de Roi demeure tout intérieure ; Notre Dame semble ignorer sa dignité cachée. Il a presque fallu que sainte Élisabeth lui dise : « Vous êtes bénie, vous, la Mère de mon Seigneur et de mon Dieu ; et le Fruit de vos entrailles est béni ». Dans son humilité, la jeune Marie répond que Dieu a simplement regardé l’humilité de sa servante. Oui, c’est cette humilité qui a engagé le Seigneur à accomplir en elle de grandes choses. C’est là l’œuvre propre de la Miséricorde de Dieu qui se répand désormais sur toutes les générations qui l’attirent et l’accueillent par l’humilité. L’humble « procession du quinze Août » que nous accomplirons ce soir après les Vêpres sera en ce sens un appel aux secours divins pour notre pauvre pays.

Ce contraste entre le don de Dieu et la petitesse de notre condition humaine nous invite à méditer un peu sur le prix des vies marquées par la souffrance de la vieillesse ou de la maladie. Un certain nombre de nos contemporains estime qu’il est inutile, voire cruel, de prolonger la vie des personnes qui souffrent en leur procurant tous les soins que l’on peut raisonnablement leur fournir. Sous un masque de philanthropie, l’égoïste mentalité athée veut imposer l’euthanasie, ce mot affreux qui déchire nos oreilles et nos cœurs.

Mais pour aller directement au cœur du mystère de ces personnes souffrantes, apprenons, comme dit le Cardinal Sarah, à « regarder chaque malade à la manière dont Dieu le Père a regardé le Christ sur la Croix1 ». En 1996, le cardinal Ratzinger soulignait en effet que :

La lumière de Dieu repose sur les personnes souffrantes, dans lesquelles la splendeur de la création s’est extérieurement obscurcie ; elles sont d’une manière très particulière semblables au Christ crucifié. […] Aussi grande que soit leur souffrance, aussi défigurés et ternis [que] soient [ces malades] en leur existence humaine — ils seront toujours les fils privilégiés de Notre Seigneur, ils en seront toujours l’image, d’une manière particulière. […] Nous aimons en tous les humains, mais surtout chez les êtres souffrants, chez les handicapés mentaux, ce qu’ils seront et ce qu’ils sont déjà en réalité, dès maintenant. Dès maintenant, ils sont fils de Dieu — à l’image du Christ2.

La valeur profonde de leur vie est l’amour avec lequel ils peuvent accueillir l’épreuve, la souffrance, la vieillesse. Comme ils sont beaux, ces foyers où l’épreuve soudaine est acceptée avec abandon, comme ils sont beaux, ces foyers où la souffrance est portée dans la longueur des années, dans la solitude ou dans la générosité d’une famille unie.

Dieu se félicite de ces grandes âmes identifiées à son Fils ; et il semble parfois leur envoyer régulièrement des surcroîts d’épreuve, chacun accueilli dans un surcroît d’amour. Le futur Pape Benoît xvi avait ces mots : « Ici, Jésus révèle l’essentiel de l’humanité, ce qui en est le véritable accomplissement : non l’intelligence, ni la beauté, encore moins, la richesse ou le plaisir, mais la capacité d’aimer et de consentir amoureusement à la volonté du Père, aussi déconcertant cela soit-il. »

L’Église aime ces hommes et ces femmes, non pour ce qu’elles seront quand elles auront été accueillies au ciel, mais pour ce qu’elles sont déjà :

Images du Christ que nous devons honorer, respecter, aider dans la mesure du possible, très certainement, mais surtout, images du Christ porteuses d’un message essentiel sur la vérité de l’homme. Un message que nous avons trop tendance à oublier : notre valeur devant Dieu ne dépend ni de l’intelligence, ni de la stabilité de notre caractère, ni de la santé qui nous permettent d’exercer de multiples activités généreuses. Ces caractéristiques peuvent disparaître d’un moment à l’autre. Notre valeur devant Dieu ne dépend que du choix que nous faisons d’aimer le plus possible — d’aimer le plus possible en vérité.

Que Notre Dame obtienne donc la conversion de la France. Le pays qui lui est consacré doit renoncer aux voies de morts qui l’hypnotisent. Abréger une vie innocente sera toujours un péché grave.

Si chacun de nous a une dignité inaliénable, chacun a aussi un chemin propre pour atteindre la pleine communion avec Dieu, dans l’Église du Ciel. La profession jubilaire de ce matin pose un jalon de plus sur la route qui mène les générations à la sainteté. Et sur cette route, Notre Dame nous conduit : depuis l’humilité la plus profonde jusqu’aux gloires célestes où la simplicité demeure, la Vierge Marie nous montre le chemin.

Amen.

1Cardinal Sarah, Il nous a tant donné, p. 60-62.

2Ici et pour les citations suivantes : Cardinal Ratzinger, Conférence lors de la XIe Conférence internationale organisée par le Conseil pontifical pour la pastorale des Services de la Santé, 1996 (cité par le Cardinal Sarah, Il nous a tant donné, p. 60-62).